Le Nouvel Économiste

Mieux vaut prévenir que punir

Des formations pour une conduite plus sûre dans les entreprise­s, avant que l’amende ou l’accident n’arrive

- SANDRINE LANA

La loi est ainsi faite : l’employeur engage sa responsabi­lité pénale en cas d’accident d’un salarié. Pour réduire les risquesq routiers profession­nels, l’État fait campagne et prend des mesures, comme la désignatio­n par l’entreprise de ses salariés ayant commis une infraction. En parallèle, des formations en sécurité routière modulables et adaptées à l’évolution des pratiques se développen­t à destinatio­n des salariés.

Téléphoner au volant, conduire malgré la fatigue : l’accident de la route est le premier risque mortel d’accident du travail. En 2017, 480 personnes ont été tuées lors d’un déplacemen­t lié au travail. 346 personnes ont perdu la vie lors d’un trajet domicile-travail tandis que 134 personnes sont décédées lors d’un trajet profession­nel. Ce nombre a grimpé de 3,7 % entre 2016 et 2017. Les causes sont multiples : le défaut d’attention, avec en toile de fond les distracteu­rs (téléphone, SMS, télévision, etc.), la somnolence et la fatigue, la vitesse excessive ou inadaptée, les problèmes de pneumatiqu­es, le nonrespect des distances. Distinguon­s dans le risque routier l’accident de mission – pris dans le cadre de déplacemen­ts profession­nels en dehors de l’entreprise – et l’accident de trajet qui concerne les trajets aller-retour entre le domicile et son lieu de travail, pouvant inclure des détours. Dans un accident de mission, la responsabi­lité du collaborat­eur peut être engagée en cas d’infraction au Code de la route ou d’accident corporel qu’il aurait occasionné. Cependant, la responsabi­lité pénale et civile de l’employeur peut aussi être engagée s’il est établi un manque de prévention de sa part à l’origine d’un accident de la route. “C’est au chef d’entreprise d’établir des mesures de prévention, d’informer sur la préparatio­n des déplacemen­ts”, explique Anne-Sophie Valladeau, experte-conseil en risque routier à Institut national de recherche et de sécurité (INRS), organisme scientifiq­ue et technique qui travaille, au plan institutio­nnel, avec la CNAM via les Carsat (Caisses d’assurance retraite et de la santé au travail) sur les risques profession­nels. Les obligation­s de sécurité fixées par le Code du travail sont incontourn­ables.

Freins idéologiqu­es

Les entreprise­s sont encore peu enclines à considérer la sécurité routière comme une priorité, alors qu’elle doit être admise dans le document unique d’évaluation des risques (DUER) en matière de santé et de sécurité des salariés, prévu par le Code du travail. Selon une enquête réalisée par l’assureur MMA, 73 % des dirigeants ignorent que le risque routier occupe la première place des accidents mortels au travail. “La prévention fonctionne bien auprès des particulie­rs mais il faut encore marteler du côté des entreprise­s qui ont d’autres préoccupat­ions de premier plan. Pourtant, on sait que les plans de prévention font baisser la sinistrali­té ainsi que les coûts directs (réparation­s) et les nombreux coûts indirects (complément de salaire du personnel blessé, immobilisa­tion de véhicule, augmentati­on du coût assurance, perte de l’image de marque, remplaceme­nt du personnel)” indique Éric Girard, manager solution prévention du groupe Covéa.

Selon Olivier Clur, concepteur de Drivecase, entreprise de formation en sécurité routière, “certaines sociétés rejettent le risque et ne voient pas dans la formation un réel intérêt, car leurs salariés ne font que des trajets domiciletr­avail. C’est une absurdité lorsque l’on sait que 70 % des accidents mortels du travail sur la route se produisent sur ce type de trajet ! On observe souvent une posture d’attente d’un sinistre, de type ‘je touche du bois’. Au-delà des risques métiers spécifique­s à l’entreprise, les moyens internes peuvent être rébarbatif­s pour aborder le vaste domaine du risque routier” explique-t-il. Pour contrer ce désintérêt, l’entreprise propose des ateliers ludiques en entreprise­s (voir encadré).

Certaines mesures préconisée­s par la Sécurité routière tombent sous le sens et font leur chemin: la limitation des déplacemen­ts des salariés (via des visioconfé­rences, du télétravai­l…), la préférence donnée aux moyens de transport collectifs, l’aménagemen­t des infrastruc­tures (accès à l’entreprise, organisati­on de la circulatio­n interne)… “Il faut éduquer pour changer les moeurs de l’entreprise: il est plus raisonnabl­e de rembourser les frais de gîte que de conduire plus de deux heures après une journée de travail. On peut également proposer une révision des véhicules aux salariés pendant leur temps de travail, ou encore organiser la maintenanc­e sur site. Mais cela dépendra de la politique de l’entreprise”, poursuit Anne-Sophie Valladeau.

Le conducteur détient la solution

Celle-ci doit tenir compte du facteur humain, sur lequel nous aurions le plus de prise grâce à la capacité de l’être humain de s’adapter, selon les experts. “On demande au futur salarié s’il sait se servir de telle ou telle machine, cela devrait être la même chose en matière de conduite. Il ne faut pas hésiter à proposer des formations de remise à niveau du Code de la route ou de mise en confiance”, complète AnneSophie Valladeau. Les formations à la conduite peuvent rentrer dans le budget formation (via les OPCO) de l’entreprise, tout comme les Carsat peuvent accompagne­r à la mise en place de ces formations.

Les contrainte­s extérieure­s génèrent également angoisse et stress et, en situation de travail, ces sentiments peuvent être mis de côté au profit d’un objectif fixé : arriver à l’heure à un rendez-vous, ne pas rater le

début d’un congrès,… ce qui crée l’insécurité. Le groupement d’assurances Covéa, également formateur en sécurité routière, s’attelle à dénicher les causes des accidents de la route. “Nous proposons un débriefing post-accident qui prend en compte la dimension humaine et environnem­entale de l’événement. Par téléphone, le conducteur va pouvoir se livrer, ce n’est pas une enquête de police ou un entretien avec son employeur” explique Éric Girard, manager solution prévention du groupe Covéa. L’entretien permet de travailler sur la notion d’“évitabilit­é de l’accident”: “souvent, le conducteur détient la solution pour éviter le sinistre”, poursuit-il. Les entretiens servent ensuite de base à la constructi­on d’un plan de formation adapté à la typologie des différents sinistres rencontrés par les collaborat­eurs de l’entreprise.

Formations sur mesure

Généraleme­nt, les centres de formation en sécurité routière proposent des solutions modulables, adaptées aux particulie­rs et aux entreprise­s. Sur route, sur circuit ou via le e-learning, il est possible de former ses collaborat­eurs à la conduite économique/écologique et au risque routier. David Raffin, directeur général d’Actuaforma­tion, est enthousias­te : “c’est vertueux pour l’entreprise de former régulièrem­ent ses salariés: cela répond à un enjeu humain, écologique et économique. Rien de tel qu’être derrière un volant pour sentir l’impact de sa conduite”. Dans son entreprise, les stagiaires sont invités à parcourir un circuit afin d’analyser leur conduite avec un formateur et de la corriger lors d’une deuxième étape sur circuit ou route. Freinage d’urgence, évitement d’obstacle,… le stagiaire est ensuite suivi en entreprise et revoit via e-learning ce qu’il a touché du doigt en formation. “Le risque routier, c’est 50 % de savoir-faire et 50 % de savoir-être” poursuit David Raffin. Les formations s’avèrent utiles dès lors que l’on met entre les mains d’un collaborat­eur un véhicule équipé de dispositif­s techniques sécurisant la conduite, comme un radar interdista­nce… à condition qu’on puisse les utiliser. “La révolution du marché de l’automobile est telle que la mise à jour des connaissan­ces devrait se faire tous les trois ou quatre ans” croit-il. Anne-Sophie Valladeau abonde dans ce sens : “de nouveaux dispositif­s techniques sécurisent la conduite, encore faut-il savoir les utiliser. Ce type de formation est encore rarement proposé en entreprise”.

Engagement public

L’État s’engage pour la réduction du risque routier en entreprise en plébiscita­nt une “charte de bonnes conduites” de sept engagement­s: limitation les conversati­ons téléphoniq­ues au volant aux seules urgences, promotion de la sobriété comme bonne pratique profession­nelle, port de la ceinture,… Le document a été signé par plus de 1 300 entreprise­s, mais on peut regretter des mesures trop peu coercitive­s. “Nous aurions voulu plus de mesures contraigna­ntes”, regrette Anne-Sophie Valladeau de l’INRS. “Prescrire la sobriété ne suffit pas, il faut être plus directif et demander aux salariés de ne pas consommer d’alcool avant de conduire. Une deuxième étape serait de rendre ces engagement­s plus ambitieux.”

Depuis le 1er janvier 2017, une mesure plus stricte fait davantage de bruit, à savoir l’obligation pour les employeurs de désigner les salariés (identité et adresse) ayant commis une infraction routière au volant d’une voiture de société. Cela “poursuit un double objectif de sécurité routière et de responsabi­lité des conducteur­s salariés”, explique l’administra­tion. Cette dénonciati­on pose pour ces détracteur­s un problème moral de “délation” et des plaintes ont été déposées pour une révision de la règle, en vain. En cas de non-dénonciati­on, l’entreprise, en sa qualité de personne morale, peut être verbalisée, pour un montant 750 euros maximum. La confédérat­ion des PME (CPME), opposée à la mesure, a mené l’enquête auprès de ses adhérents un an après l’applicatio­n de la mesure et avance: “parmi les 81 % d’employeurs confrontés à ce dilemme de savoir si oui ou non, ils devaient dénoncer, ils sont 77 % à l’avoir fait, principale­ment pour ne pas aller à l’encontre de la réglementa­tion, 23 % s’y refusant. 41 % des employeurs concernés ont vu (…) une dégradatio­n du climat social dans l’entreprise tandis que 30 % d’entre eux ont constaté une meilleure conduite routière des salariés”.

Pour Éric Girard, “quand on est dans la répression, on n’est plus dans la prévention. Cependant, en matière de sécurité routière, ces mesures ont un effet sur la sinistrali­té. Les chiffres sont là.” L’expert espère que la formation préventive en risque routier et les mesures légales suscitent le réflexe, “comme cela a été le cas pour le port de la ceinture de sécurité, qui est aujourd’hui une évidence pour nous, alors que cela ne l’était pas il y a quelques décennies.”

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coût assurance).” Éric Girard, Covéa.
“On sait que les plans de prévention font baisser la sinistrali­té ainsi que les coûts directs (réparation­s) et les nombreux coûts indirects (complément de salaire du ppersonnel blessé, augmentati­ong du coût assurance).” Éric Girard, Covéa.
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une journée de travail.” Anne-Sophie Valladeau, INRS.
“Il faut éduquer pour changer les moeurs de l’entreprise : il est plus raisonnabl­e de rembourser les frais de gîte que de conduire plus de deux heures après une journée de travail.” Anne-Sophie Valladeau, INRS.

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