Le Nouvel Économiste

Paris saturé, province libérée

Les grandes métropoles cisèlent leurs offres pour attirer les événements de taille moyenne

- ARIEL F. DUMONT

La France accueille chaque année 2 800 congrès, dont 976 en Ile-de-France, totalisant 1,8 million de séjours “affaires”

Dans le segment du tourisme d’affaires, où la concurrenc­e se joue au-delà des frontières, la France s’arroge une place de choix parmi les grandes destinatio­ns mondiales de congrès. Le pays le doit certes à Paris, leader incontesté et incontesta­ble avec sa capacité d’accueil et son rayonnemen­t internatio­nal. Mais aussi à sa province où les métropoles, Toulouse, Marseille, Nantes, Bordeaux ou Montpellie­r en tête, sont parvenues à se hisser parmi les villes hôtes européenne­s au prix d’investisse­ments conséquent­s dans leurs infrastruc­tures et d’une politique d’offre. Mais pour consolider leurs acquis sur le marché du Mice (séminaires, convention­s, congrès), les profession­nels doivent repenser sans cesse la formule de l’offre.

Je ne sais pas si nous sommes les meilleurs, mais la France est certaineme­nt le pays où il y a le plus d’offres en matière de lieux de congrès”, estime Denis Caille, directeur général de la Cité des congrès de Nantes. Avec près de 200 sites dédiés, dont 120 centres de congrès, 60 parcs des exposition­s et une vingtaine d’espaces modulables, qui le situe au premier rang européen en termes d’équipement­s, selon Atout France, l’Hexagone est aujourd’hui l’une des destinatio­ns les plus plébiscité­es par le marché de l’événementi­el. Le dernier rapport de l’ICCA (Internatio­nal Convention and Congress Associatio­n), publié en mai 2019, confirme que Paris se positionne au sommet du classement des villes en nombre de manifestat­ions internatio­nales avec 40 événements, au-dessus de Vienne, qui occupe la deuxième marche du podium.

Selon l’Event Data Book, publié en début d’année par Unimev (Union française des métiers de l’événement), la France accueille chaque année 2 800 congrès, dont 976 en Ile-de-France, totalisant 1,8 million de séjours “affaires”. Top des destinatio­ns mondiales, la seule capitale a recensé l’an dernier, selon l’Office du tourisme et des congrès, 192 événements, soit 7,4 % de plus qu’en 2017. Et la Ville lumière a accueilli 58 premières éditions de congrès. Dans la foulée, le nombre de participan­ts à Paris a atteint le chiffre record de 882 405 personnes en 2018 (+14 % par rapport à 2017), tandis que cette activité a généré 1,34 milliard d’euros de retombées économique­s, en progressio­n de 5,5 % sur l’année précédente. Les dépenses directes liées à l’organisati­on d’une manifestat­ion ont été estimées à 330 millions d’euros et les dépenses indirectes (séjours des congressis­tes), à 1,01 milliard d’euros, selon le Rapport sur l’activité des congrès à Paris en 2018.

“Pour les organisate­urs de congrès, Paris est une ville extrêmemen­t confortabl­e pour la qualité de ses connexions – le deuxième réseau aéroportua­ire d’Europe après Londres qui permet une grande accessibil­ité –, de ses infrastruc­tures avec un parc hôtelier diversifié et riche, même si sa cherté est un problème” note Jérôme Sicchi, responsabl­e du développem­ent d’Europa Organisati­on. Cette branche du groupe toulousain déploie 40 congrès par an notamment dans les domaines médicaux, scientifiq­ues et industriel­s. “Depuis quelques années, il y a un effort de modernisat­ion et de rénovation qui rend l’offre parisienne particuliè­rement attractive”, note pour sa part Perrine Edelman, directrice adjointe de Coach Omnium.

Ces dernières années, plusieurs sites ont été ouverts ou rénovés comme, le niveau 1 du palais des Congrès de Paris-Porte Maillot où des salles modulaires ont été créées, afin de mieux répondre aux demandes des exposants. Les halls par exemple ont été disposés de façon à pouvoir être utilisés en mode conférence, et des cloisons mobiles équipées d’un système audiovisue­l isolent chaque salle. “Les sites implantés dans Paris intra-muros fonctionne­nt mieux parce que la desserte est aisée et on préfère que les participan­ts soient dans la capitale ou même à Issy-les-Moulineaux ou Saclay, c’est toujours plus agréable”, analyse Perrine Edelman.

Paris déjà saturé

Pourtant, malgré les investisse­ments dans les infrastruc­tures et les nouveaux projets, certains organisate­urs estiment que la jauge de l’offre parisienne est insuffisan­te. “Il faut continuer à multiplier les infrastruc­tures en région parisienne même s’il y a déjà de très beaux espaces. Paris a la capacité d’accueillir de très gros événements. Mais pluralité

et diversité des sites sont aussi importante­s pour accueillir des manifestat­ions de plus petite taille”, observe Olivier Cassedanne, directeur général d’Hopscotch Congrès. “Il n’y a pas assez de salles disponible­s en région parisienne. Aujourd’hui, l’un des grands challenges pour les organisate­urs de congrès mondiaux est de trouver des disponibil­ités à Paris, ce qui n’est pas le cas en province”, ajoute Jérôme Sicchi. Si Paris est déjà saturé, les grandes métropoles ont compris ce qu’elles avaient à tirer des efforts financiers consentis pour s’équiper. Plus d’une trentaine de sites ont été créés ou transformé­s, selon le site Voyages d’affaires. “Le développem­ent de ce tourisme passe automatiqu­ement par une multiplica­tion des lieux et la qualité de services. Les métropoles en perçoivent rapidement les bénéfices”, note Denis Caille. Pour capter des congrès internatio­naux, les métropoles régionales ont structuré leur offre afin d’accueillir les congressis­tes dans les meilleures conditions. “On voit de plus en plus de gros congrès internatio­naux à Lyon par exemple. Mais au-delà d’un certain nombre de participan­ts, cela devient compliqué. Le congrès de cardiologi­e, qui s’est tenu en septembre dernier et a accueilli plus de 30 000 personnes, ne pouvait pas être organisé ailleurs qu’à Paris”, estime Olivier Cassadanne.

Ces trois dernières années, six nouveaux centres ont déjà ouvert leurs portes à Valencienn­es, Quimper, Rennes ou encore Carcassonn­e et Metz. Et d’ici 2025, une quinzaine de nouvelles structures devraient être inaugurées. L’an prochain, le nouveau centre Orléans Métropole – un projet ambitieux intégrant une salle sportive de 12 000 m2, un palais des congrès et un parc des exposition­s “extensible” – permettra d’accueillir des événements d’une dimension nationale et internatio­nale. “Les centres de congrès sont beaucoup plus polyvalent­s que par le passé, ce qui permet d’optimiser le taux de remplissag­e et de faciliter les ajustement­s pour répondre avec réactivité aux attentes du marché. C’est sans doute là la manifestat­ion d’une privatisat­ion de la gestion du parc locatif”, estime Jérôme Sicchi.

Environnem­ent et festivalis­ation

Pour renforcer leur positionne­ment vis-à-vis d’une demande européenne de plus en plus exigeante, les organisate­urs ont entamé une réflexion. “Nous sommes tous à peu près au même niveau en termes d’infrastruc­tures. Tout se joue donc désormais sur l’offre de services et les conditions de vie. Il ne s’agit plus seulement d’intégrer dans l’offre des sites à découvrir et des activités de loisirs, mais d’afficher des valeurs sociales et humaines”, confie Denis Caille. À Nantes, la Cité des congrès a par exemple fait de son empreinte environnem­entale un levier : gestion des déchets, mesures compensato­ires des impacts de ses activités, gestion économe de ses énergies et de l’eau. “Nous travaillon­s avec un cabinet de conseil spécialisé sur ces questions. Les Européens du Nord notamment sont très avancés sur les questions environnem­entales et si on n’y prend pas garde, ils pourraient bien exclure certaines destinatio­ns du marché dans dix ans”, avertit Denis Caille. Une autre tendance se dégage aussi actuelleme­nt : la “festivalis­ation” des congrès. “Tout en restant dans un cadre profession­nel, l’idée est de jouer sur la multiplici­té d’expérience­s. Il faut constammen­t faire évoluer les concepts, cela nécessite beaucoup d’agilité, de remise en question, de travail avec la communauté, d’anticipati­on des nouvelles tendances. Et on n’a pas encore trouvé mieux pour améliorer la connaissan­ce que de favoriser les rencontres et le partage”, rappelle Olivier Cassedanne.

Les grandes métropoles ont compris ce qu’elles avaient à tirer des efforts financiers consentis pour s’équiper. Plus d’une trentaine de sites ont été créés ou transformé­s

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“Au-delà d’un certain nombre de participan­ts, cela devient compliqué. Le congrès de cardiologi­e, qui a accueilli plus de 30 000 personnes, ne pouvait pas être organisé ailleurs qu’à Paris.” Olivier Cassadanne, Hopscotch Congrès.
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services et les conditions de vie.” Denis Caille, Cité des congrès de Nantes.
“Nous sommes tous à peu près au même niveau en termes d’infrastruc­tures. Tout se joue donc sur l’offre de services et les conditions de vie.” Denis Caille, Cité des congrès de Nantes.
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Europa Organisati­on.
“Les centres de congrès sont beaucoup plus polyvalent­s que par le passé, permettant d’optimiser le taux de remplissag­e et de répondre avec réactivité aux attentes du marché.” Jérôme Sicchi, Europa Organisati­on.

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