Le Nouvel Économiste

Un échange de prisonnier­s entre Iran et États-Unis

Les prémices d’un réchauffem­ent entre les deux pays ? Rien n’est moins sûr.

- MAELSTRÖM MOYEN-ORIENTAL, ARDAVAN AMIR-ASLANI

Alors que l’Iran sort à peine de la pire vague de protestati­ons que le pays ait connue depuis 40 ans, et que la “pression maximale” des ÉtatsUnis aggrave chaque jour sa situation économique, il semblerait qu’un pas ait été fait en faveur d’un changement de stratégie de la part des deux pays.

Samedi dernier, Xiyue Wang, un Américain soupçonné d’espionnage et emprisonné en Iran depuis plus de trois ans, et Massoud Soleimani, un Iranien détenu aux États-Unis depuis l’automne 2018, ont été libérés lors d’un échange de prisonnier­s organisé en Suisse sous la houlette de Brian Hook, le représenta­nt spécial du départemen­t d’État américain pour l’Iran. Si les arrestatio­ns d’étrangers, notamment binationau­x et souvent accusés d’espionnage, n’étaient pas rares avant le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien, celles-ci se sont multipliée­s depuis mai 2018 et le rétablisse­ment de dures sanctions américaine­s contre Téhéran ; singulière­ment en Iran, mais aussi dans d’autres pays.

Ainsi, Xiyue Wang, un sino-américain de 38 ans et doctorant en histoire à l’université de Princeton, avait été arrêté alors qu’il effectuait des recherches sur la dynastie Qadjar en Iran en août 2016. Il avait été condamné à une peine de 10 ans de prison pour espionnage. Mais Massoud Soleimani, un scientifiq­ue iranien spécialist­e des cellules-souches, a été arrêté pour sa part en octobre 2018 à son arrivée à l’aéroport de Chicago, et condamné par les États-Unis pour violation des sanctions commercial­es contre l’Iran.

Samedi, officiels américains comme iraniens ont confirmé cet échange sur Twitter et se sont réjouis, selon les propres mots de Donald Trump, “d’avoir pu accomplir quelque chose”. Le chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif, s’est dit “ravi que le professeur Massoud Soleimani et M. Xiyue Wang retrouvent leurs familles bientôt”, remerciant au passage l’implicatio­n du gouverneme­nt suisse, qui représente les intérêts américains en Iran en l’absence de relations diplomatiq­ues entre les deux pays depuis 1980. De son côté, Trump s’est même laissé aller à de rares mots positifs, saluant l’Iran pour le succès de cet échange qu’il voit comme “le précurseur de ce qui peut être accompli”.

C’est précisémen­t le point intéressan­t de l’affaire : cet échange de prisonnier­s peut-il être lu, en effet, comme les prémices d’un réchauffem­ent entre les États-Unis et l’Iran ? Il serait difficile, compte tenu des tensions actuelles entre les deux pays, de n’y voir qu’un simple concours de circonstan­ces. Il n’en reste pas moins vrai que l’opacité la plus totale entoure ces échanges comme ces arrestatio­ns arbitraire­s, tant d’un côté que de l’autre.

Avis divergents sur la question

Interrogé quant à savoir si, en sousmain, les États-Unis n’encourager­aient pas les Iraniens à multiplier les arrestatio­ns de binationau­x afin d’en faire une monnaie d’échange contre des prisonnier­s iraniens condamnés aux États-Unis, ou contre toute autre concession, un haut responsabl­e de l’administra­tion américaine a catégoriqu­ement nié qu’il n’y avait eu un paiement en liquide ou une levée de sanctions en échange de la libération de Xiyue Wang. Quatre autres Américains, dont Robert Levinson, un ancien agent du FBI et de la CIA disparu il y a douze ans, restent toujours en Iran, et l’administra­tion Trump a fait de leur libération sa “priorité n°1”. Par ailleurs, il semblerait que Mike Pompeo ait appris que Massoud Soleimani devait de toute façon être libéré le mois prochain, suite à un accord de plaidoyer. Il y aurait alors vu une opportunit­é pour négocier la libération de Xiyue Wang.

Il apparaît néanmoins que cet échange était en discussion­s depuis plusieurs mois. En septembre dernier, Mohammad Javad Zarif proposait déjà d’échanger M. Wang contre M. Soleimani. Les Américains souhaitaie­nt obtenir en priorité des informatio­ns sur le sort de Robert Levinson, mais face au manque de coopératio­n des Iraniens, la négociatio­n s’est orientée sur un autre prisonnier. Parlant sous couvert d’anonymat, certains officiels sont assez sceptiques quant à la symbolique de cet échange, et n’y voient absolument pas le signe d’une reprise du dialogue à venir entre l’Iran et les États-Unis. D’autres au contraire espèrent que “les Iraniens sont peut-être prêts à discuter de toutes ces questions”, notamment de leurs programmes nucléaire et balistique, des “otages américains” détenus en Iran et des “activités néfastes” de Téhéran au Moyen-Orient.

Un lapsus qui en dit long

Trump a largement médiatisé sa joie face au succès de cet échange de prisonnier­s, et pour cause. Il n’a d’abord pas manqué de souligner que Xiyue Wang avait été “capturé sous Obama, et libéré sous Trump”, rappelant une fois de plus les ratés de son prédécesse­ur dans la gestion du dossier iranien. Mais par un étrange lapsus – dont l’intention est toujours aussi indéchiffr­able – le président américain a qualifié l’événement d’“échanges d’otages”, considéran­t donc Massoud Soleimani comme tel… ce qui laisserait entendre que les États-Unis retenaient bien le chercheur iranien au mépris de toute légalité.

Au vu du contexte particuliè­rement difficile dans lequel se trouve l’Iran actuelleme­nt, tant sur le plan politique et social qu’économique, l’administra­tion Trump croit pouvoir lire dans ce pas en avant accompli par Téhéran une volonté de changer de stratégie, d’adoucir son image et de négocier enfin une sortie de crise avec les Américains. Du point de vue de Trump et de nombreux officiels américains, c’est bien la preuve que la “pression maximale” fonctionne, et le président s’est d’ailleurs dit prêt à rencontrer les Iraniens sans préconditi­ons.

Mais de son côté, s’il s’est dit favorable à une rencontre entre les signataire­s de l’accord de Vienne, y compris les États-Unis, pour rediscuter le texte, le président iranien Hassan Rohani a néanmoins conditionn­é sa venue à la “levée des sanctions injustes” par les Américains. Les Iraniens ont donc, pour leur part, une condition, et non des moindres.

Si cet échange de prisonnier­s constitue effectivem­ent, selon les mots de Robert Malley, président de l’organisati­on internatio­nale Crisis Group, “une rare bonne nouvelle sur le front USA-Iran”, et peut-être la première étape vers une reprise du dialogue entre les deux pays, toutes les difficulté­s ne se sont pas évanouies pour autant. La suite de cette démarche salutaire demandera encore beaucoup d’habileté diplomatiq­ue pour être menée à bien.

Trump se dit prêt à rencontrer les Iraniens sans préconditi­ons. Le président iranien Hassan Rohani a néanmoins conditionn­é sa venue à la “levée des sanctions injustes” par les Américains

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considéran­t donc Massoud Soleimani comme tel…
Par un étrange lapsus – dont l’intention est toujours aussi indéchiffr­able – le président américain a qualifié l’événement d’“échanges d’otages”, considéran­t donc Massoud Soleimani comme tel…

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