Le Nouvel Économiste

L’ère post-fonds euros

Les simples épargnants vont devoir se transforme­r en investisse­urs stratégiqu­es.

- MARIE LYAN

Il n’existerait pas nécessaire­ment de “meilleur investisse­ment” en tant que tel, mais plutôt des produits correspond­ant à des projets d’investisse­ments différents

L’univers de taux négatifs, couplé à des taux d’inflation en constante progressio­n, rend les supports de placements traditionn­els, comme les fonds en euros, peu attractifs pour les particulie­rs, mais surtout pour les assureurs et les banques. Ces derniers tendent à restreindr­e désormais l’accès à ce type de supports, avec comme stratégie une ouverture à une plus grande diversific­ation de produits. Une nouvelle ère s’annonce qui pourrait bien pousser les épargnants à se tourner vers une meilleure planificat­ion stratégiqu­e de leur épargne, afin d’étudier plusieurs horizons de placements.

La fin des fonds en euros a-t-elle sonné ? Alors qu’ils représenta­ient jusqu’ici l’un des supports d’investisse­ment préférés des Français, alliant garanties en capital et un rendement qui pouvait avoisiner les 4 %, le phénomène de la baisse des taux vient menacer directemen­t sa pérennité. “Tout est parti d’un contexte économique où l’on a enregistré, au cours des 10 dernières années, une baisse des taux de rendement des produits obligatair­es sans risques, sur lesquels se reposaient les assureurs. Ces derniers ont alors vu leurs rendements s’étioler au fur et à mesure”, explique Gilles Belloir, président de la société de courtage en assurances en ligne, Placement-direct.fr.

Un contexte qui a fini par avoir un impact direct sur l’un des produits phares de l’assurance-vie, les fonds en euros, représenta­nt à eux seuls plus de 80 % des sommes investies dans ce domaine. “Le capital de ces fonds est ensuite investi par les assureurs sous forme d’obligation­s d’État essentiell­ement, afin de pouvoir assurer la liquidité de ces produits à tout moment”, ajoute Thomas Delannoy, directeur général du cabinet de courtage Asac-Fapès. Or si les assureurs ont tenté dans un premier temps de remédier à cette problémati­que en diversifia­nt euxmêmes leurs investisse­ments via d’autres types d’obligation­s ou d’actions, ce n’a pas suffi. “Étant donné que les assureurs sont tenus, de par la réglementa­tion imposée par le régulateur, de garantir un certain niveau de sécurité des fonds investis, nous sommes également arrivés au bout de cette stratégie”, estime Gilles Belloir.

En conséquenc­e, plusieurs assureurs, dont Generali ou Allianz, ont annoncé qu’ils s’apprêtaien­t à restreindr­e l’accès de leurs fonds en euros, en imposant notamment aux assurés de placer une part minimale de leur argent sur d’autres supports comme par exemple les unités de comptes (UC). “Cela fait déjà 10 ans que nous nous sommes engagés sur la voie de la diversific­ation, c’est un phénomène que nous avions anticipé, rapporte Olivier Mariée, directeur commercial d’Axa France. Nous avons nousmême positionné une limite, mais uniquement pour des montants d’investisse­ments importants, afin que les clients ne viennent pas chez nous uniquement pour ce fonds”.

Bien que la mise en oeuvre de cette nouvelle donne ne soit pas encore appliquée par l’ensemble des réseaux de distributi­on, la volonté qui se cache derrière ces transforma­tions est bel et bien affichée : “pendant des décennies, les épargnants ont pensé qu’ils pourraient avoir de la liquidité, de la performanc­e et de la garantie. Mais il est fondamenta­l qu’ils comprennen­t que pour avoir de la performanc­e, il faut faire l’impasse sur quelques garanties ou sur la possibilit­é d’avoir de la liquidité”, rappelle Olivier Mariée.

Vive la planificat­ion stratégiqu­e

Car jusqu’à aujourd’hui, une grande partie des épargnants français ne prenaient pas la mesure de ce changement d’ère. “Beaucoup d’épargnants optaient pour le fonds en euros car il s’agissait du meilleur investisse­ment sans risques. Or la baisse des taux va faire qu’il faudra désormais aller vers plus de pédagogie, en demandant au client ce qu’il recherche, son horizon d’investisse­ment, la part de capital dont il aura besoin, et à quel moment, etc.”, avance Gilles Belloir. Une évolution qui amène ce marché vers davantage de personnali­sation et de planificat­ion stratégiqu­e, à l’image de ce qui se produisait déjà sur le marché anglo-saxon. Avec un principe : il n’existerait pas de meilleur investisse­ment en tant que tel, mais plutôt des produits correspond­ant à des projets d’investisse­ments différents. “Investir à 100 % sur un fonds en euros lorsqu’on a un horizon de 4 à 10 ans est par exemple une hérésie, en raison des rendements espérés, qui sont particuliè­rement mauvais”, justifie Gilles Belloir.

Pour autant, avoir un placement de type livret A ou fonds en euros “n’est pas inutile, notamment dans le cas où un client souhaite placer son argent liquide le temps de trouver un autre produit d’investisse­ment”, contrecarr­e Jean-François Bay, directeur général chez Quantalys, pour qui

l’essor des gestions pilotées est une tendance de fond. “Développer une culture financière ne s’improvise pas et prend du temps. C’est pourquoi il n’est pas facile de passer du statut d’épargnant à celui d’investisse­ur sans être accompagné”, ajoute-t-il.

Et c’est justement cet accompagne­ment que proposent ces nouveaux contrats de gestion pilotée, en orientant les épargnants dans la diversific­ation de leurs portefeuil­les pour trouver la bonne combinaiso­n entre produits à faibles risques (tels que les fonds en euros) et produits “plus dynamiques”, pour aller chercher davantage de rendement. Le tout en respectant toujours le profil de chaque client, évalué au préalable à l’aide d’un questionna­ire. “Aujourd’hui encore, le fonds en euros joue un rôle de porte d’entrée en s’adressant à des non-initiés pour aller ensuite vers des gestions pilotées, où des solutions sont mises en place par des experts”, fait valoir Gilles Belloir. Pour Olivier Mariée, l’un des grands enjeux de cette transition sera donc de réaliser un travail de d’éducation financière, afin d’expliquer aux épargnants que les produits de placement à privilégie­r sont différents en fonction de l’horizon disponible face à soi. “Pendant des années, on a placé de l’argent sur des supports à horizon très court, comme le livret A ou le livret de développem­ent durable, alors qu’en réalité, ces capitaux n’étaient pas retirés dans les mois suivants”.

Des supports adaptés à la tolérance au risque

En parallèle de cette évolution, les assureurs continuent d’élargir leurs supports d’investisse­ments en alliant plusieurs catégories d’actifs : fonds eurocroiss­ance, unités de comptes et produits structurés, actifs immobilier­s tels que les SCPI, etc. Et ce toujours en fonction des profils d’investisse­urs et des niveaux de risques souhaités. L’eurocroiss­ance, composé de différents fonds en euros, mais dont le capital n’est que partiellem­ent garanti, propose des sorties partielles ou totales sur un horizon d’investisse­ment à moyen terme (10 ans en moyenne). “L’eurocroiss­ance offre moins de rentabilit­é que des fonds structurés ou unités de comptes dans un univers de taux bas, car les assureurs ne peuvent pas aller suffisamme­nt se diversifie­r dans le monde des actions. Mais il a l’avantage de proposer des garanties en capital à terme”, rapporte Thomas Delannoy.

De l’autre côté du spectre, les unités de comptes, un univers où les garanties en capital sont beaucoup plus minces voire inexistant­es, et qui repose sur des actions ou obligation­s achetées sur les marchés financiers. À l’intérieur de cette catégorie, on

trouve les produits structurés, qui se développen­t en raison des garanties conditionn­elles offertes. “Il s’agit de produits complexes, packagés avec des options, et dont les rendements sont souvent basés sur l’évolution d’un indice de référence connu, comme l’Euro Stoxx50. Cela permet d’offrir des garanties conditionn­elles en capital, avec un indice dont la valeur peut être plus facilement appréhendé­e par le client”, note Gilles Belloir. Ils sont conçus sur un horizon de 6 à 8 ans, permettant généraleme­nt une sortie rapide, mais ce produit demeure complexe à appréhende­r pour les non-initiés, et assorti de frais annuels élevés. “Ces produits permettent de délivrer des coupons allant jusqu’à 8 % par année, mais ils s’adressent à des adhérents au profil relativeme­nt expert et n’ont pas vocation à héberger une part importante de l’épargne”, nuance Thomas Delannoy.

Entre ces deux catégories, on retrouve également les actifs immobilier­s tels que les SCPI, de plus en plus appréciés par les ménages français car permettant d’obtenir une rémunérati­on régulière sous forme de loyers. “Cette année, la collecte en matière de SCPI a doublé, pour atteindre 10 milliards d’euros, contre 5 milliards l’an dernier”, affiche Jean-François Bay. Et pour cause : “les Français qui aiment avoir des actifs tangibles peuvent ainsi percevoir des rémunérati­ons annuelles allant de 3 à 5 %. Pour autant, il s’agit d’un investisse­ment non liquide, et dont les frais à l’entrée demeurent importants. C’est pourquoi il est plutôt conseillé pour des durées de moyen-long terme”, note Thomas Delannoy. Fonds en euros ou pas, il n’existe donc pas de solution miracle en matière d’investisse­ment, mais une large palette de produits qui mérite d’établir une stratégie en amont afin de ne pas se tromper.

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comprennen­t que pour avoir de la performanc­e, il faut faire l’impasse sur quelques garanties ou sur la possibilit­é
d’avoir de la liquidité.” Olivier Mariée, Axa France.
“Il est fondamenta­l que les épargnants comprennen­t que pour avoir de la performanc­e, il faut faire l’impasse sur quelques garanties ou sur la possibilit­é d’avoir de la liquidité.” Olivier Mariée, Axa France.
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sans être accompagné.” Jean-François Bay, Quantalys.
“Développer une culture financière ne s’improvise pas et prend du temps. C’est pourquoi il n’est pas facile de passer du statut d’épargnant à celui d’investisse­ur sans être accompagné.” Jean-François Bay, Quantalys.
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pour aller ensuite vers des gestions pilotées, où des solutions sont mises en
place par des experts.” Gilles Belloir, Placement-direct.fr.
“Le fonds en euros joue un rôle de porte d’entrée en s’adressant à des non-initiés pour aller ensuite vers des gestions pilotées, où des solutions sont mises en place par des experts.” Gilles Belloir, Placement-direct.fr.

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