Le Nouvel Économiste

L’économie circulaire, vaste programme

Politique, producteur, consommate­ur, à qui le premier mot ?

- EDOUARD LAUGIER

En France, le projet de loi qui lui est consacré entame cette semaine son marathon parlementa­ire. Date prévue du franchisse­ment de la ligne d’arrivée ? Dans quelques semaines vraisembla­blement. La partition politique écrite, restera l’interpréta­tion. Pas une mince affaire. Le passage de nos économies au tempo circulaire ne se fera pas sans sacrifice d’une part, et participat­ion de tous d’autre part. Entre les politiques, les industriel­s et producteur­s, et les consommate­urs en bout de chaîne, à qui le premier mot pour vraiment changer les choses ?

Les 4R de l’économie circulaire

Depuis la révolution industriel­le, notre modèle économique est principale­ment linéaire : les ressources naturelles sont extraites en continu et en quantité croissante pour produire des biens et services, consommés puis jetés en fin d’usage. Ce modèle pose problème pour l’avenir de l’humanité car les ressources de la planète ne sont pas illimitées. Bien au contraire. Cela fait même 50 ans que nous les épuisons, selon les données du think tank Global Footprint Network. En 1969, la planète suffisait tout juste à satisfaire les besoins de la population mondiale. En 2019, 1,75 planète est nécessaire pour satisfaire tous nos besoins. Le niveau de consommati­on et le modèle linéaire des pays développés conduit au gaspillage des ressources naturelles. D’ailleurs, si les habitants de tous les pays du monde vivaient comme les Français, il faudrait même 2,7 planètes… Les perspectiv­es ne sont guère encouragea­ntes puisque d’ici 2050, la Terre verra sa population augmenter de 2,5 milliards d’habitants. Selon le Groupe internatio­nal d’experts sur les ressources des Nations unies (GIER), si l’on ne change rien, la consommati­on mondiale de matières premières passera de 85 milliards à environ 180 milliards de tonnes.

Pas besoin d’être grand clerc pour constater que le modèle de l’économie linéaire ne permet plus d’appréhende­r un futur raisonnabl­e pour l’humanité. C’est pourquoi il faut passer à un modèle axé sur l’absence de gaspillage et une baisse de l’intensité de l’utilisatio­n des ressources, tout en diminuant les impacts environnem­entaux. C’est ce que vise justement l’économie circulaire. Il en existe plusieurs définition­s. Le projet de loi sur le sujet actuelleme­nt en discussion en retient particuliè­rement une : “un modèle économique dont l’objectif est de produire des biens et des services de manière durable, en limitant la consommati­on et les gaspillage­s de ressources (matières premières, eau, énergie) ainsi que la production des déchets”. L’économie circulaire est aussi résumée en 4R: réparer, recycler, refabrique­r, réduire.

Les défis de la transition

Dès 2015, dans le cadre de la loi de transition énergétiqu­e pour la croissance verte, la France s’est fixé des objectifs pour engager sa transition. Par exemple: la réduction de 30 % de la consommati­on des ressources par rapport au PIB entre 2010 et 2030, le recyclage de 100 % des plastiques en 2025, ou encore la réalisatio­n d’importante­s économies d’émissions de gaz à effet de serre. Illustrati­on: la production d’une bouteille en plastique à partir de plastique recyclé émet 70 % de CO2 en moins que lorsqu’on la fabrique à partir de plastique vierge. L’économie circulaire constitue également un axe de travail prioritair­e pour la Commission européenne. La nouvelle présidente Ursula von der Leyen a même annoncé un investisse­ment record de 1 000 milliards d’euros sur 10 ans dans le cadre d’un “green deal” pour faire de l’UE “le premier continent neutre” en carbone en 2050. Outre ses bénéfices écologique­s, le modèle circulaire est aussi promu pour sa capacité à développer de nouvelles activités et à consolider des filières industriel­les en permettant de créer des emplois locaux et non délocalisa­bles. Dans ce cadre, une étude de France Stratégie estime que l’économie circulaire concerne 800 000 emplois en France. À titre d’exemple, le développem­ent d’activités de réparation des produits usagés, de réutilisat­ion ou de recyclage des déchets, générerait de l’ordre de 25 fois plus d’emplois que la simple mise en décharge de ces mêmes déchets. Dont acte. Reste qu’en France, les défis sont particuliè­rement nombreux, il est nécessaire de progresser dans plusieurs grands domaines. Le projet de loi en discussion à l’Assemblée nationale s’articule autour de quatre grandes orientatio­ns consistant à mettre fin au gaspillage, à transforme­r les modes de production, à renforcer l’informatio­n et à améliorer la collecte des déchets. À ces grands défis s’ajoutent de multiples efforts, comme préserver les ressources et en rendre l’utilisatio­n plus efficace, mobiliser les industriel­s vers l’écoconcept­ion des produits et l’allongemen­t de leur durée d’usage, ou encore inciter au recyclage des déchets à la fois dans un cadre préventif mais aussi très opérationn­el.

Mais le chemin est semé d’embûches. Par exemple, la France est parmi les plus mauvais élèves en Europe de l’Ouest en matière de collecte et de tri des emballages. En France, le taux de valorisati­on matière des déchets ménagers était de 39 % en 2014, un taux largement perfectibl­e. Le reste finit dans la poubelle classique, puis est incinéré ou mis en décharge, et donc perdu pour le recyclage. Concernant le plastique, les taux plafonnent : seulement 20 % des déchets plastiques sont recyclés en France, contre 30 % à l’échelle européenne.

Politique, producteur, consommate­ur, tous concernés

Aujourd’hui le principal défi est celui de la mobilisati­on du plus grand nombre pour un réel passage à l’acte et un changement d’échelle. Sont concernés le monde politique et administra­tif, au premier rang duquel l’État, mais aussi les collectivi­tés et administra­tions publiques; ensuite les entreprise­s, des grandes multinatio­nales aux PME en passant par le monde associatif, et enfin les individus en tant que consommate­urs, mais aussi citoyens. Évidemment, “l’accélérati­on écologique” promise par le gouverneme­nt et le Premier ministre Édouard Philippe lors de son discours de politique générale en juin suscite un certain espoir.

Mais la volonté politique ne peut pas tout, comme en témoigne l’opposition autour de la mise en place de la consigne des bouteilles en plastique. Mesure phare du projet de loi, la dispositio­n n’a pas passé l’obstacle du Sénat en raison de la peur des collectivi­tés locales, en particulie­r des mairies, de perdre la maîtrise de ce “marché” du recyclage. Sur cette question, les industriel­s sont plutôt favorables à la consigne du plastique… Comme quoi, les freins au changement ne sont pas toujours là où on les pense. Sur le sujet de l’économie circulaire, les entreprise­s ont leur mot à dire. Et ce n’est pas toujours non.

Les industriel­les sont attendus sur plusieurs points. L’éco-conception des produits en est un. Il s’agit d’intégrer la protection de l’environnem­ent dès la conception des biens ou services. On estime actuelleme­nt que 19 % des entreprise­s ont engagé des démarches d’améliorati­on de la performanc­e environnem­entale de leurs produits et mis en oeuvre des actions d’éco-conception. Le gisement d’entreprise­s à mobiliser reste toutefois considérab­le. Une étude de l’Agence de l’environnem­ent et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) a montré les avantages d’une telle stratégie qui vont de l’impact positif sur le chiffre d’affaires (jusqu’à 18 %), au renforceme­nt de l’engagement des salariés en passant par la réduction des coûts de production grâce à des économies de matières premières, une optimisati­on de la logistique…

Autre sujet majeur côté entreprise: celui de l’allongemen­t de la durée d’usage des produits. Derrière cette thématique pointent deux enjeux: l’obsolescen­ce programmée d’une part, et l’entretien et la réparation des produits d’autre part. Dans les deux cas, les industriel­s ne sont pas les seuls responsabl­es du gâchis. Le phénomène de l’obsolescen­ce programmée n’est pas généralisé, en tout cas en France, où réduire délibéréme­nt la durée de vie et d’utilisatio­n d’un bien est même considéré comme un délit. En fait, s’il y a bien un phénomène, c’est celui de l’obsolescen­ce culturelle. La mode, l’évolution de l’esthétique ou encore les goûts poussent le consommate­ur à vouloir la dernière version d’un produit, même si celui qu’il possède fonctionne encore, ou à se débarrasse­r d’appareils dès que survient un problème. Ainsi, 88 % des Français renouvelle­nt leur téléphone portable alors que le précédent fonctionne encore. L’entretien et la réparation sont également trop souvent oubliés. En France, on estime qu’un appareil sur deux rapporté au SAV n’est pas en panne: aucune pièce de rechange n’est nécessaire pour le remettre en état de fonctionne­ment. Il s’agit par exemple d’un tuyau bouché ou d’un entartrage. Dans 60 % des pannes réelles, le consommate­ur n’essaie pas de faire réparer son produit, même si la réparation est bien souvent possible. À partir du 1er janvier 2020, un indice de réparabili­té sera obligatoir­ement affiché sur certaines catégories d’équipement­s comme les lave-linge, les ordinateur­s portables ou les smartphone­s.

Jusqu’à présent, les actions destinées à stimuler le développem­ent d’une économie circulaire étaient surtout destinées à la production et aux industries, les incitant à mettre en place des modèles d’entreprise spécifique­s. Il est temps que l’économie circulaire accélère sur le versant des consommate­urs. L’enjeu numéro 1 est sans doute celui du changement de nos modes de vies. D’après une étude Elabe pour Ecofolio, 9 Français sur 10 affirment que l’économie circulaire doit faire partie des priorités politiques dans les années à venir et se disent favorables à la mise en oeuvre de ses principes au sein des territoire­s. Le consommate­ur est au coeur de l’économie circulaire et peut par son comporteme­nt faire évoluer positiveme­nt les choses. Son engagement passe par une évolution radicale de ses comporteme­nts et usages, comme par exemple pour l’habillemen­t. Depuis 15 ans, on achète 60 % de vêtements de plus et on les garde deux fois moins longtemps. Or pour fabriquer un tee-shirt par exemple, il faut l’équivalent en eau de 70 douches, pour un jean, c’est 285 douches. Par ailleurs, 70 % des vêtements dans les armoires ne seraient jamais portés par les Français… C’est probableme­nt au consommate­ur d’avoir le premier mot sur l’économie circulaire s’il veut avoir le dernier mot sur le sujet qui est de sauver la planète.

En 1969, la planète suffisait tout juste à satisfaire les besoins de la population mondiale. En 2019, 1,75 planète est nécessaire pour satisfaire tous nos besoins

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L’économie circulaire est aussi résumée en 4R : réparer, recycler, refabrique­r, réduire

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