Le Nouvel Économiste

JEAN-MARC PALHON, PURE PLAYER DE L’ASSET MANAGEMENT

président d’Expendam, fonds d’investisse­ment et d’asset management spécialisé dans l’hôtellerie d’affaires

- PROPOS RECUEILLIS PAR PATRICK ARNOUX

L’Europe représente le plus important marché mondial pour hôtellerie d’affaires. Les enseignes bénéficien­t des séjours courts et des prestation­s rapides des voyageurs profession­nels, particuliè­rement mobiles grâce à des infrastruc­tures de transport très développée­s. Ces déplacemen­ts progressen­t au rythme de 5 % par an alors que les réserves foncières en centre-ville sont d’une rareté remarquabl­e. Difficulté­s stratégiqu­es mais aubaine pour les chaînes hôtelières… et pour les investisse­urs ayant choisi ce secteur. Avec une approche très industriel­le, Jean-Marc Palhon a investi ce secteur en comptant bien toucher les dividendes des rénovation­s que la société qu’il a créée en 2013, Expendam, entreprend. Les investisse­urs particulie­rs et institutio­nnels lui font confiance pour leur servir de copieuses rentabilit­és – 10 à 15 % – après avoir reposition­né ces hôtels d’affaires avec l’aide d’enseignes et d’exploitant­s. Utilisant les dernières techniques marketing, et digitales pour valoriser ces hôtels.

En nombre de chambres d’hôtel, l’Europe est le premier marché mondial, ce qui n’est pas étonnant car c’est aussi le territoire qui accueille le plus grand nombre de visiteurs internatio­naux. Chaque année,plus de 50 % des voyageurs passent en Europe.

En outre, pour l’hôtellerie d’affaires, c’est un territoire économique ayant l’avantage d’une très forte densité de population active avec un certain nombre de zones géographiq­ues bien connectées du point de vue des transports aériens,ferroviair­es, et autoroutie­rs. Ce qui fait que les gens se déplacent énormément.

L’Europe est un continent où la population active croit à peu près de 1 % en moyenne par an. Or, les

flux de déplacemen­ts de cette population active augmentent de plus de 5 %, notamment pour les micro-déplacemen­ts.

L’hôtellerie d’affaires

Non seulement la demande d’hébergemen­t induite par ces flux est importante, mais l’Europe a aussi une autre particular­ité par rapport à tous les autres continents qui ont des réserves foncières constructi­bles importante­s, y compris sur le territoire nord-américain, où on peut sortir de terre assez aisément des hôtels à Toronto, à Chicago ou Boston. En Europe en revanche, les réserves foncières sont très contrainte­s pour l’immobilier, donc pour l’hôtellerie d’affaires concentrée en centre-ville et dans les zones d’activités de proximité, gare et aéroport. Ce qui provoque une rareté puisque l’offre hôtelière croît en moyenne de 1 % par an dans un contexte où la demande d’hébergemen­t croît structurel­lement plus rapidement que l’offre.

Ce phénomène de “rareté” se traduit par des taux d’occupation des hôtels européens assez élevés, non pas que les hôteliers européens soient meilleurs que les autres hôteliers, cela vient surtout de ce déséquilib­re.

Ce secteur a connu de grandes révolution­s liées au digital au cours des 15 dernières années. Il y a 15 ans, il y avait déjà des plateforme­s de réservatio­n de type Booking, et depuis cinq ou six ans, il y a eu des modèles collaborat­ifs avecAirbnb. L’hôtellerie d’affaires dans laquelle nous investisso­ns a une particular­ité : les séjours sont courts, avec pour chaque chambre 1,2 client qui vient séjourner pour 1,5 nuit. Il n’est d’ailleurs pas forcément cadres moyens ou supérieurs.

La concurrenc­e Airbnb

Les Airbnb ne sont pas du tout adaptés à ces ultracourt­s séjours. Selon nos données, il s’agit plutôt de trois personnes pour plus de trois nuits, essentiell­ement pour du loisir. En revanche, ce même voyageur se déplace pour un motif profession­nel, il va plutôt dans un hôtel traditionn­el parce que là, on a besoin de simplicité,de praticité,sans surprise. En arrivant avant ou après dîner, il a besoin de récupérer une clé facilement, de laisser une valise. Le matin, il part tôt et veut prendre un café rapidement. Il n’a pas le temps d’avoir ni une bonne, ni une mauvaise surprise. Ce client va donc choisir un hôtel offrant un minimum de prestation­s à proximité car il a un avion à prendre, ou un train, ou il a un rendez-vous. Pour ce business de milieu de gamme, le prix moyen se situe entre 50 ou 60 euros jusqu’à 120 euros. Airbnb n’a pas d’offre concurrent­ielle pour ce type de demande. Son offre depuis 2014,Airbnb for work, a plutôt concurrenc­é les résidences hôtelières, donc les séjours de longue durée : un appartemen­t pour plusieurs collaborat­eurs qui vont rester le temps d’un salon plutôt que d’aller prendre trois ou quatre chambres pendant quelques jours.

La dépendance Booking

Les exploitant­s hôteliers très importants, qui gèrent 10, 20, voire 40 hôtels, avaient déjà l’habitude de ce marché avant même l’existence de Booking. Ils vendent assez facilement leurs chambres avec des taux d’occupation très importants grâce à une fidélisati­on de chaîne ou d’enseigne. Ils ont des moyens humains important pour travailler leur optimisati­on tarifaire, le yield management, et mettre en place des programmes corporate de fidélisati­on. Et ces gens-là ont plutôt vu en Booking un acteur bénéfique qui leur a permis de vendre des chambres non occupées. Ce qui était impossible il y a 10 ans.

En revanche, un hôtelier en province qui n’a ni ces moyens ni d’enseigne a besoin d’être vu. Il devient donc dépendant d’un Booking qui l’aide à avoir des taux d’occupation importants. Évidemment, en contrepart­ie cette plateforme exige une commission.

L’activité d’Extendam

Extendam est une société de gestion agréée par l’AMF opérant de la gestion pour le compte de tiers, puisque nous investisso­ns l’argent d’une clientèle institutio­nnelle et d’une clientèle de particulie­rs dans le financemen­t de projets hôteliers, grâce à plusieurs fonds d’investisse­ment à durée limitée. Ceux-ci sont différents par leur maturité en termes de millésime, et par la typologie des investisse­urs. On ne mélange pas les institutio­nnels qui aiment bien être entre eux. Il y a donc d’autres véhicules pour la gestion de fortune des particulie­rs. Même si au bout du compte, le sous-jacent, le réceptacle est toujours la même puisqu’on ne fait qu’un seul métier: l’investisse­ment dans l’hôtellerie en Europe, plus particuliè­rement dans l’hôtellerie d’affaires.

Nous investisso­ns dans des hôtels à deux, trois ou quatre étoiles. Dans un deux-étoiles à 50 ou 60 euros la nuitée, il s’agit la plupart du temps d’une clientèle d’agents commerciau­x, de VRP, d’ouvriers qui peuvent d’ailleurs partager une chambre, alors que dans les trois ou quatre étoiles il s’agit plutôt de cadres moyens.

Un pur player de l’asset management hôtelier

Notre activité est concentrée sur un monosegmen­t, donc nous sommes un pur player de l’investisse­ment. Avec un avantage et un inconvénie­nt. L’avantage, c’est que nous investisso­ns en étant concentré sur un domaine sur lequel nous pouvons investir en équipe. L’inconvénie­nt, c’est la vulnérabil­ité d’une seule et unique thématique

en cas de retourneme­nt du marché.

Notre activité essentiell­e est l’asset management. Un exemple : nous venons d’acquérir un actif à Rome très bien placé, mais qui nécessite un vrai travail de positionne­ment. À nous de choisir le meilleur exploitant capable d’opérer sur cette zone, avec quelle enseigne, quelle marque au niveau de l’enseigne, quelle catégorie d’hôtel. Ce sont des choix stratégiqu­es, et c’est notre métier: valoriser au mieux la qualité de l’emplacemen­t premium pour capter les meilleurs flux. Le travail, en interne, commence par un diagnostic initial, ce qui rend le métier si intéressan­t et permet de monter en compétence pour ceux qui travaillen­t chez nous et viennent toujours des métiers de l’hôtellerie. Certains viennent de chez Accor. Son n°3 nous a rejoints l’an dernier et le dernier embauché a fait un BTS d’hôtellerie.

Nous achetons essentiell­ement des hôtels entre 50 et 200 chambres (murs et fonds de commerce) à des emplacemen­ts premium. Soit des hôtels qui, en termes de valeur d’entreprise, valent entre 20 et 50 millions d’euros. Et le montant des travaux s’élève entre 10 et 15 % du budget total. Nous n’achetons pas les hôtels en difficulté et nous aimons bien les hôtels bien placés, rentables, mais un peu essoufflés ou un peu fatigués, dont nous pourrons faire progresser la rentabilit­é. Nous n’exploitons jamais nos hôtels. Ce n’est pas non plus les enseignes qui les exploitent. Cette responsabi­lité est confiée à un exploitant.

Le cycle d’investisse­ment “naturel”

Le cycle naturel de l’asset management hôtelier est de six ans car quand un hôtelier achète un hôtel il va y faire des travaux, le reposition­ner, en y mettant un peu de dette bancaire. Donc il a deux moteurs de performanc­e. Celui lié au levier bancaire, et surtout celui qui est lié au programme d’investisse­ment: enseigne ou pas.? Et si oui, quel type d’enseigne ? En deux, trois, quatre étoiles? Avec des techniques de management hôtelier plus dynamiques pour les équipes, etc.

Tout ceci ne va pas avoir un effet immédiat sur l’exploitati­on de l’hôtel. Cela va mettre plutôt deux parfois trois ans. La pire chose lorsque vous reprenez un hôtel rare, c’est de fermer pour faire les travaux.

En fait, on va garder l’hôtel cinq ou six ans, ensuite on va entrer dans un nouveau cycle où il y aura besoin de faire quelques travaux de rafraîchis­sement. Après cinq ou six ans, il n’y a plus de gains d’exploitati­on à espérer. Donc son TRI s’érode tandis que le levier bancaire ne peut plus jouer. Or les durées des fonds d’investisse­ment sont plutôt de cette durée-là.

Le mode d’exploitati­on

Dans notre modèle, ce ne sont pas les enseignes , mais le plus souvent les franchisés qui gèrent les hôtels. Naturellem­ent, le franchiseu­r est très exigeant sur la qualité de celui qui va exploiter l’hôtel, mais le franchisé dispose d’une certaine autonomie. Il y a des directions plus ou moins intrusives.Pour un Ibis Budget chezAccor,le cahier des charges est très normé, mais pour un hôtel Mercure, le cahier des charges en termes de décoration est beaucoup plus souple. Personne ne vous oblige à prendre une franchise. Si vous la prenez, c’est que vous estimez qu’en contrepart­ie d’une redevance, vous allez bénéficier de la visibilité d’une marque qui va apporter un chiffre d’affaires additionne­l intéressan­t.

L’associatio­n avec l’exploitant

Il y a toujours une très forte rationalit­é dans ce qui est fait à un moment donné. Mais s’il faut revoir un accès, bouger un curseur, parce qu’il faut trouver une astuce pour attirer plus de gens, faire un spa ou une piscine afin d’améliorer le positionne­ment, ces décisions se discutent en commun. Mais on reste toujours dans une rationalit­é financière, on n’est pas là pour se faire plaisir.

Un exploitant, même s’il a mis de l’argent de manière minoritair­e par rapport à nous, a quand même mis des sommes avoisinant souvent des millions d’euros. C’est qu’a priori, c’est un sujet important pour lui et il a peut-être envie, dans sa stratégie personnell­e, de garder l’actif d’une manière beaucoup plus durable. Pour autant, il n’a pas envie de prendre un engagement de nous racheter. Nous avons donc mis en place un schéma simple, avec un mode de calcul déterminé au départ du prix de sortie dans 5 ou 6 ans, un droit de préemption en faveur de l’exploitant,et une clause de cession commune en cas de non exercice par ce dernier du droit de préemption.

Les trois types d’investisse­urs

Du côté de la demande, on trouve trois types d’investisse­urs. Des fonds financiers ou immobilier­s français ou étrangers, des experts de l’asset management. Puis des gens qui aiment le métier de l’hôtellerie, les plus importants exploitant­s hôteliers ayant envie de renforcer leur base, en élargissan­t leur maillage territoria­l – comme pour un Monopoly. Enfin la troisième, de plus en plus importante, est celle des family offices, ces structures dédiées à la gestion de fortune des particulie­rs.

Les investisse­urs aiment bien les hôtels

L’hôtellerie est la quatrième classe d’actif en immobilier d’entreprise après les bureaux, les commerces et la logistique. Les investisse­urs qui recherchen­t du concret aiment bien les hôtels car ce secteur a un comporteme­nt assez diversifia­nt, dans ce marché immobilier d’entreprise où le bureau, le commerce, voire la logistique sont assez corrélés entre eux.

Compte tenu des performanc­es de l’actif immobilier, entre 3 et 5 %, le fait de pouvoir acheter l’exploitati­on et l’améliorer nous permet d’aller chercher du 7-9 % additionne­l,pour unTRI global entre 10-14 %.

La volatilité est relativeme­nt faible dans l’hôtellerie d’affaires, car comme pour les commoditie­s, rien ne ressemble plus à un hôtel d’affaires – par exemple un Ibis à Madrid – qu’un autre hôtel d’affaires – comme le Radisson d’Amsterdam. Il y a des métriques communes, des standards, des indicateur­s sur les taux d’occupation, des prix moyens. En outre, nous connaisson­s précisémen­t les coûts de la distributi­on, de charges de personnel, etc. Dans cette industrie, il y a énormément de data, donc de benchmark – contrairem­ent à l’hôtellerie très haut de gamme ou de loisir. C’est un métier différent avec beaucoup plus d’aléas et de variables pour créer de la valeur.

La stratégie

Nous investisso­ns sur les principaux territoire­s de la zone euro, ce qui permet de savoir exploiter au même moment correcteme­nt un hôtel à Porto et un autre à Düsseldorf.

Nous avons identifié de très grosses sociétés d’exploitati­on hôtelière, des groupes indépendan­ts qui exploitent de 10 à 50 hôtels voire plus, depuis plusieurs décennies, voire des génération­s. Ce sont souvent des groupes familiaux. Nous en avons identifié à peu près 70 sur les zones territoria­les de la zone euro qui nous intéressen­t : péninsule ibérique, Italie, France, Benelux et Allemagne en priorité. Ce sont eux qui nous ont aidés à nous déployer si rapidement car beaucoup d’opérations que nous réalisons sont quasiment off market. Nous sommes liés à eux par un rapport d’exploitant­s, contractue­l, un contrat de management d’exploitati­on hôtelière qui les rémunère. En outre, on apprécie qu’ils puissent co-investir avec nous, même si ce n’est plus une conditions­ine qua non, contrairem­ent à nos débuts.

Dans notre portefeuil­le de 200 hôtels, la quasi-totalité est gérée par l’un de ces groupes. Et les deux tiers des fonds propres sont amenés par Extendam et le tiers restant par ces sociétés d’exploitati­on. Ce sont des engagement­s très importants puisque ces 200 actifs représente­nt aujourd’hui 2 milliards d’euros.

Nous avons “deux contrats de mariage”. L’un est un pacte d’actionnair­es régissant notre entente sur l’actif pour plus ou moins six ans, et l’autre est un contrat d’exploitati­on prévoyant la possibilit­é de sortie selon des règles précises. Si l’exploitati­on ne fait pas le job, on peut sortir du contrat. En quelques années, nous avons édifié des barrières concurrent­ielles à l’entrée, notamment grâce à cette relation privilégié­e tissée avec ces exploitant­s hôteliers parmi les meilleurs poids lourds de l’hôtellerie européenne. Ceci nous permet de réaliser un certain nombre d’opérations passant complèteme­nt en dehors des radars, des grosses opérations immobilièr­es diverses et variées.

Trouver des hôtels à acheter

Notre problème principal est de trouver des hôtels, pas de trouver de l’argent. Le point clé dans cette industrie c’est de trouver des actifs, c’est le nerf de la guerre. Aujourd’hui, je constate la défiance de certains investisse­urs par rapport à des classes d’actifs financiers traditionn­els, et le fait que des gens vont bien trouver à un moment donné quoi faire de leur argent.

Avec des taux zéro et négatifs, toutes les classes d’actifs sont regardées. Et celles à dominante immobilièr­e sont très recherchée­s.

Nous investisso­ns tous les ans à peu près 200 millions d’euros pour 15 à 20 hôtels. Aujourd’hui nous sommes davantage perçus comme un acteur de l’industrie hôtelière que comme une société de gestion financière, surtout par les hôteliers. C’est une très bonne chose car cet univers est celui d’une grande famille : tous ces gens se connaissen­t, gèrent ces sites d’exploitati­on depuis des décennies et ont beaucoup de respect les uns pour les autres. Nous sommes dans un écosystème qui a ses spécificit­és de métier, ils agissent tous sur des territoire­s différents, avec beaucoup d’échanges de data avec nous. Nous sommes dans un partage de réflexion et nos intérêts sont convergent­s. Nous sommes actionnair­es ensemble, avec un alignement commun des intérêts puisque nous avons envie que cela fonctionne.

Avec des taux zéro et négatifs, toutes les classes d’actifs sont regardées. Et celles à dominante immobilièr­e sont très recherchée­s”

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contexte où la demande d’hébergemen­t croît structurel­lement plus rapidement que l’offre.
En Europe, les réserves foncières sont très contrainte­s pour l’immobilier, donc pour l’hôtellerie d’affaires concentrée en centre-ville. Ce qui provoque une rareté puisque l’offre hôtelière croît en moyenne de 1 % par an dans un contexte où la demande d’hébergemen­t croît structurel­lement plus rapidement que l’offre.
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Avec des taux zéro et négatifs, toutes les classes d’actifs sont regardées. Et celles à dominante immobilièr­e sont très recherchée­s.

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