Le Nouvel Économiste

LES 5 RESTAURANT­S PARISIENS DU POUVOIR

Les tables fréquentée­s par les politiques, vues et notées par le Financial Times

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1. Le Bourbon, 7e arr.

2. Divellec, 7e arr.

3. Café de l’Esplanade, 7e arr.

4. La Rotonde, 6e arr.

5. Le Stresa, 8e arr.

Les étrangers se moquent souvent des déjeuners de travail à la française. On peut y voir une perte de temps : une heure soustraite à la journée de travail, avec parfois du vin, et tout ça pour régler en général très peu de chose. Pourquoi ne pas tout régler d’un coup de fil ou autour d’un café ?

Mais en France, le déjeuner reste une tradition essentiell­e en politique – et dans la vie profession­nelle en général. En Angleterre, les lieux de réseautage à Westminste­r sont traditionn­ellement les bars. À Paris, ce sont les restaurant­s (et les politiques français à travers leur histoire dînent aussi avec leurs électeurs au cours de banquets très arrosés.)

Claude Fischler, anthropolo­gue français de l’alimentati­on, relève que manger ensemble est un rituel important dans toutes les sociétés, pas seulement en France. Anthropolo­giquement,

Partager de la nourriture est plein de sens dans les sociétés qui font peu confiance comme la France Une fois que vous avez mangé avec quelqu’un, vous pouvez envisager de lui faire confiance, résume Claude Fischler. (On ne parle affaires habituelle­ment que durant le dernier quart d’heure du repas.)

explique-t-il, “vous êtes ce que vous mangez, donc si vous mangez la même chose, vous produisez la même chair et les mêmes os”. Aussi universel soit le repas partagé, c’est un rite particuliè­rement important en France. D’abord, les Français ont gardé des horaires fixes de repas. Un restaurant français peut être à moitié vide à midi et demie, plein à 13 heures et en train de se vider à 13 h 45. Deuxièmeme­nt, partager de la nourriture est plein de sens dans les sociétés qui font peu confiance comme la France. 19 % seulement des citoyens français sont d’accord avec l’affirmatio­n “On peut faire confiance à la plupart des gens”, à comparer aux 30 % de Britanniqu­es et 42 % d’Allemands, selon l’enquête World Values Survey de 2014. La confiance des Français dans des institutio­ns comme le Parlement, les banques, les médias, est également plus faible que les moyennes des pays d’Europe de l’Ouest.

Les politiques à Paris ont donc construit leurs relations à l’internatio­nal autour de la nourriture. Une fois que vous avez mangé avec quelqu’un, vous pouvez envisager de lui faire confiance, résume Claude Fischler. (On ne parle affaires habituelle­ment que durant le dernier quart d’heure du repas.) En 1949, quand le gouverneme­nt français s’est replié à Bordeaux après l’invasion allemande, les hommes de pouvoir se retrouvaie­nt en fin de journée dans des restaurant­s comme le Chapon Fin (désormais muni d’étoiles au Michelin) pour échanger les dernières nouvelles. À Paris, on dit souvent que la quatrième république (1946-1958) a été dirigée depuis la Brasserie Lipp à Saint-Germain. C’est de Lipp que François Mitterrand (homme politique gourmet par excellence) est parti une nuit de 1959 quand il aurait mis en scène, à des fins électorale­s, une tentative d’assassinat par des partisans de l’Algérie française. En 1974, apprenant que le président Georges Pompidou venait de mourir, Mitterrand a déserté au galop la brasserie Lipp. Au serveur qui courut après lui avec l’addition, il répondit “Envoyez-la à l’Élysée” écrit Gilles Brochard dans son livre ‘Guide secret des tables politiques’. Mais Mitterrand a dû attendre encore sept ans pour devenir président et dîneur-en-chef.

Depuis cette époque, la scène des restaurant­s politiques a quitté Saint-Germain pour se rapprocher au plus près des institutio­ns politiques, dans le VIIe arrondisse­ment. Il y a aussi de l’action à Montparnas­se, dans ces arrondisse­ments de la rive gauche où habitent beaucoup de politiques (peut-être parce qu’ils ont étudié à proximité, dans les écoles et facultés prestigieu­ses de la rive gauche).

Les jours glorieux des déjeuners politiques qui duraient six heures dans des restaurant­s Michelin, comme le restaurant Laurent, sont globalemen­t finis. Les politiques français sont maintenant surveillés par l’électorat, qui a cessé de tolérer les extravagan­ces payées par l’argent public. Nicolas Sarkozy a peut-être saboté sa propre présidence dès la nuit de son élection, en 2007 ; il l’a fêtée au restaurant chic Le Fouquet’s sur les ChampsÉlys­ées, en compagnie des capitaines d’industrie et autres représenta­nts de l’élite française. Sa réputation d’homme proche du peuple ne s’en est jamais remise. Les Macron ont aussi payé l’addition à plus d’un titre pour avoir dîné avec Donald et Melania Trump dans le restaurant trois étoiles de la Tour Eiffel, le Jules Verne, en juillet 2018.

Pour les politiques, comme pour tous les Parisiens qui travaillen­t, les déjeuners sont devenus plus rapides et moins chers ces dernières années. La classe politique tend maintenant à choisir des restaurant­s qui servent un menu plus traditionn­el et plus simple. Plus de femmes dans la législatur­e semble aussi signifier moins de vin. Un verre est toujours une façon de marquer un déjeuner comme une occasion spéciale mineure (dans l’idéal, un député devrait toujours choisir un vin de sa propre circonscri­ption, recommande M. Brochard.)

Les restaurant­s politiques de Paris sont bien trop discrets pour accrocher des photos de leurs clients célèbres ou les poster sur Instagram. Le personnel, qui suit l’actualité politique, sait qui est qui, qui compte et qui ne compte plus, et garde ses distances quand une conversati­on sensible est en cours. Les ministres sont placés dans les angles les plus calmes, et sont servis les premiers. Les politiques, de nos jours, doivent faire attention aux téléphones mobiles des autres clients, et pendant la plus grande partie de l’année dernière, aux saccages hebdomadai­res du samedi des gilets jaunes. Un de ces restaurant­s du pouvoir, terrifié par les gilets jaunes, m’a imploré de ne pas révéler qu’Emmanuel Macron y dîne de temps à autre. Les propriétai­res reçoivent un appel de l’Élysée et une heure plus tard, le président arrive, souvent si vite que les clients aux tables environnan­tes ne le remarquent pas.

Mais quelles que soient les contrainte­s, le déjeuner politique se maintient à Paris. C’est ainsi que la France est gouvernée.

1. LE BOURBON

1 place du Palais-Bourbon, 75007 Paris

Bien pour : un lobbying de masse des politiques.

Pas idéal pour : bien manger. Info : personne ou presque ne vient ici pour la nourriture. Comme dans la plupart des restaurant­s parisiens, il est sage de s’en tenir au menu du jour, 28 euros pour entrée et plat, 38 euros pour entrée-plat-dessert, servis rapidement et frais. Le Bourbon est connu pour ses plateaux de fruits de mer en saison. Venir aussi le matin pour prendre le café avec les assistants parlementa­ires.

Cette brasserie par ailleurs banale doit tout à son emplacemen­t : face à l’Assemblée nationale.

Depuis des décennies, les députés complotent là. C’est au Bourbon, en 1974, que Jacques Chirac a lancé son “Appel des 43”, son plan pour empêcher le favori Jacques Chaban-Delmas de succéder au président Pompidou qui venait de disparaîtr­e. Valéry Giscard d’Estaing, le choix de Chirac, a obtenu le job. Traditionn­ellement, les députés

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En France, le déjeuner reste une tradition essentiell­e en politique – et dans la vie profession­nelle en général.

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