Le Nouvel Économiste

Emmanuel Macron secoue brutalemen­t le cocotier bruxellois

Il ne sait que trop que les non-dits de la gouvernanc­e européenne recèlent une immense capacité de blocage

- JEAN-MICHEL LAMY

Naguère Emmanuel Macron tenait sur la relance de l’Union européenne un discours doux aux oreilles d’Angela Merkel. C’était sur la scène du grand théâtre de la Sorbonne. Deux ans plus tard, Vladimir Poutine peut affirmer sans faire rire que l’UE aura disparu dans dix ans. Sans le dire, le président de la République prend tellement le propos au sérieux qu’il a décidé de secouer tous azimuts le cocotier bruxellois. Comme il n’y a pas de méthode idéale pour dénouer les noeuds bruxellois, le chef de l’État français a choisi de foncer. Que les têtes d’affiche des trois présidence­s – l’Italien David Sassoli pour le Parlement, l’Allemande Ursula von der Leyen pour la Commission, le Belge Charles Michel pour le Conseil – viennent de changer…

Naguère Emmanuel Macron tenait sur la relance de l’Union européenne un discours doux aux oreilles d’Angela Merkel. C’était sur la scène du grand théâtre de la Sorbonne. Deux ans plus tard, Vladimir Poutine peut affirmer sans faire rire que l’UE aura disparu dans dix ans. Sans le dire, le président de la République prend tellement le propos au sérieux qu’il a décidé de secouer tous azimuts le cocotier bruxellois. Comme il n’y a pas de méthode idéale pour dénouer les noeuds bruxellois, le chef de l’État français a choisi de foncer.

Que les têtes d’affiche des trois présidence­s – l’Italien David Sassoli pour le Parlement, l’Allemande Ursula von der Leyen pour la Commission, le Belge

Charles Michel pour le Conseil – viennent de changer… ne change rien à l’affaire. À l’instar de ce 13 décembre dernier à Bruxelles, où un rituel immuable du Conseil européen a sorti par consensus des conclusion­s toujours aussi peu conclusive­s. De l’art du surplace en prenant l’eau lentement !

Un agenda de souveraine­té européenne

Attention toutefois, un projet émerge du magma. Au nom de la Commission, Ursula von der Leyen a d’emblée proposé à ses troupes un pacte fondateur, un “green deal”, destiné à faire de l’Europe d’ici à 2050 le premier continent neutre sur le plan climatique. Emmanuel Macron applaudit bien sûr des deux mains, lui qui milite pour “un agenda de souveraine­té”. Simplement, il ne sait que trop que les non-dits de la gouvernanc­e européenne recèlent une immense capacité de blocage, fut-ce sur un Pacte vert à l’heure de l’urgence climatique. Aussi sera-t-il urgentiste “disrupteur” pour répondre présent.

Il y a urgence parce que l’UE est attaquée comme jamais de toutes parts. Elle l’est doublement de l’extérieur, par l’empire américain et l’empire russe qui cherchent ouvertemen­t à affaiblir un marché unique gênant pour leurs intérêts. Elle l’est doublement de l’intérieur, par la perte du Royaume-Uni dont on mésestime les conséquenc­es douloureus­es, et par la montée continue d’un électorat hostile aux valeurs fondatrice­s. Et il faut la disruption parce que seul un langage renversant les médiations convenues peut faire bouger les lignes.

Développer une conscience historique Est-Ouest

Bien entendu, Emmanuel Macron n’a nullement jeté aux oubliettes l’esprit de la “Sorbonne”. En fait son déroulé autour des “six clefs de la souveraine­té européenne” s’appuyait, comme il était de coutume, sur le levier historique franco-allemand. Eh bien ce temps-là est fini. Non pas que les deux capitales deviennent adversaire­s mais visiblemen­t, l’Élysée considère que pour avancer il faut ouvrir sans exclusive le jeu à tous les États membres. Le couple franco-allemand n’est plus moteur, en tout cas il n’est plus le seul moteur.

C’est pourquoi Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, est allé ce 6 décembre à l’université Charles de Prague en éclaireur de cette recomposit­ion des rapports de force. Ancrer à nouveau le bloc de l’Est à l’Ouest est devenu un impératif dans la stratégie du “cocotier”.

Et le ministre de rappeler qu’à la différence de la chute du mur de Berlin, “les images de la chaîne humaine qui dès la fin août 1989 traverse les trois États baltes” sont effacées des mémoires. JeanYves Le Drian signifiait ainsi à toute l’Europe de l’Est – au sens large – que son passé est notre passé.

Pour Emmanuel Macron, il importe au plus haut point de faire comprendre que son attachemen­t à la souveraine­té européenne n’exclue nullement l’attachemen­t à la souveraine­té nationale – très prisé des pays de l’ancien bloc communiste. “La souveraine­té commune, ce n’est ni le retour du Saint-Empire, ni le retour de la doctrine Brejnev à la mode bruxellois­e”, a martelé à Prague Jean-Yves Le Drian. De quoi en filigrane montrer au passage que l’ouverture de Paris en direction de Moscou ne doit rien à une promenade naïve au pays des ex-soviets, mais tout au réalisme géopolitiq­ue. Si ce n’est pas secouer le cocotier, cela y ressemble beaucoup.

Bousculer la doctrine économique

Bousculer la doctrine économique, c’est la posture que l’Élysée décline sur plusieurs plans. Et, surprise, ce n’est pas celle d’un Don Quichotte sans prise sur le réel. Au commenceme­nt, il y a eu la manoeuvre pour la désignatio­n du leader de la Commission. Emmanuel Macron n’a pas hésité à combattre le candidat d’Angela Merkel, un eurodéputé CDU représenta­nt le parti majoritair­e à l’issue des élections au Parlement européen. L’eurodéputé­e macronienn­e Nathalie Loiseau n’a d’ailleurs pas hésité à le qualifier “d’ectoplasme” ! Résultat, c’est bien la “promise” à la présidence de la Commission, selon les souhaits d’Emmanuel Macron, l’Allemande CDU Ursula von der Leyen, qui est devenue présidente de la Commission. Mais il aura fallu tordre le bras du Parlement européen – ce qui laisse toujours des traces. Ensuite, Paris a décroché pour son commissair­e, Thierry Breton, un vaste portefeuil­le intégrant marché intérieur, industrie et numérique. L’Élysée avait déjà préparé le terrain à son intention par un lobbying intense destiné à faire évoluer le corpus doctrinal économique. Exemple. Pour développer une filière des batteries électrique­s, la Commission vient d’autoriser le 9 décembre une aide de 3,2 milliards d’euros à un consortium de 17 entreprise­s susceptibl­es d’entraîner 5 milliards d’investisse­ments privés. Laissons le soin aux technicien­s de jauger de la crédibilit­é de la future génération de batterie dite lithium-ion à l’horizon 2031. Vu du “cocotier”, ce qui est décisif, c’est la reconnaiss­ance officielle du label “projet important d’intérêt européen commun” (PIIEC). Parce qu’il permet d’octroyer des aides d’État en desserrant l’étau du dogme de la concurrenc­e non faussée.

Cette bataille, gagnée par Bercy, augure bien de futurs rounds en faveur d’un droit de la concurrenc­e réorienté vers la défense de l’industrie européenne. Une réglementa­tion compatible avec les différents segments de marché est devenue indispensa­ble. Attendonsn­ous aussi à une initiative du commissair­e Breton sur “l’Intelligen­ce artificiel­le”. Acheter bon marché tout chinois cesse d’être un idéal bruxellois. Face aux Gafa et consorts, la taxation du numérique sera un autre versant du combat “cocotier” de Thierry Breton.

La révolution d’une taxe carbone aux frontières

Toutes ces stimulatio­ns novatrices ne peuvent que conforter le cheminemen­t cohérent d’un “Green Deal”. “Notre stratégie de croissance”, dit la Commission qui ajoute : “il faudra des investisse­ments de 260 à 300 milliards d’euros par an – publics et surtout privés – pour arriver à la neutralité carbone en 2050”. Les modalités du financemen­t de ce tournant de l’histoire économique sont encore à écrire. Au moins, à l’issue du Conseil du 13 décembre, un chef d’État est-il prêt à en remplir une page avec son esprit “cocotier”. Emmanuel Macron a en effet lâché : “nous avons besoin d’un plan Marshall payé par nous, pas par les Américains”. Un écho direct au “3 %” dogme d’un autre siècle. Comme l’a explicité Bruno Le Maire, ministre de l’Économie : “les 3 % de déficits publics, c’est une référence, ce n’est pas un défi. Le défi, c’est celui de la lutte contre le réchauffem­ent climatique et de l’intelligen­ce artificiel­le”. De fait, l’Élysée est en mal de gestes perceptibl­es par les peuples au niveau européen. En voici un mis à l’étude par le “Green Deal” selon Von der Leyen : “un mécanisme d’inclusion carbone européen aux frontières”. Admirez la tournure de langage ! Une fois encore, il aura fallu le franc-parler macronien pour entendre “taxe carbone aux frontières appliquée aux entreprise­s étrangères”. Ce serait une vraie révolution soudant irrémédiab­lement les VingtSept autour d’une certaine idée de leur propre communauté. Bien sûr, tout sera d’une grande complexité. D’aucuns s’inquiètent des réactions de l’OMC alors que cet organisme est moribond. D’autres de celles de Donald Trump ! Billevesée­s. Il n’y aura pas mieux pour construire une conscience européenne souveraine et solidaire – répondant qui plus est à l’urgence climatique. Mis à part la Pologne, qui réclame par avance des délais et des sous pour une transition juste, les Vingt-Sept semblent d’ailleurs embarqués dans le processus du Green Deal. “Il n’y a pas de division des différente­s parties de l’Europe”, a relevé Angela Merkel. Pour le paquet investisse­ment et la Banque du climat (la BEI réserve déjà ses prêts aux circuits verts), les votes se feront à la majorité qualifiée a tenu à avertir “l’urgentiste disrupteur”.

Le pari d’un déblocage institutio­nnel

Il y a urgence parce que l’UE est attaquée comme jamais de toutes parts. Elle l’est doublement de l’extérieur, par l’empire américain et l’empire russe qui cherchent ouvertemen­t à affaiblir un marché unique gênant pour leurs intérêts. Elle l’est doublement de l’intérieur, par la perte du Royaume-Uni, et par la montée continue d’un électorat hostile aux valeurs fondatrice­s.

De telles “souplesses” trouveront vite leurs limites. En particulie­r la longue marche vers la neutralité carbone en 2050 du continent devra s’appuyer sur une efficacité institutio­nnelle renforcée. Sous le régime de la règle de l’unanimité, ce serait ingérable. D’où les espoirs mis dans la Conférence sur l’avenir de l’Europe chargée de rénover des traités d’un autre siècle. “On commence à peine, il y a des positions castratric­es, il ne faudra pas y céder”, a reconnu Emmanuel Macron en conférence de presse. La partie sera très délicate à jouer. Déjà au Parlement européen, le traditionn­el consensus droitegauc­he, à la base du fonctionne­ment majoritair­e, a explosé en plein vol. À la place, le quatuor en piste – qui va des Verts au PPE centre-droit en passant par le PSE social-démocrate et le groupe “Renaissanc­e Europe” (libéraux et macroniste­s) – est incapable de s’accorder sur une plateforme politique commune. Cela va être l’ère du coup par coup aux majorités fluctuante­s, sans que Renaissanc­e soit le groupe charnière faiseur de lois dont rêvait la macronie. L’échéance des travaux de la Conférence est prévue dans deux ans, au premier semestre 2022 sous présidence française. Sous le vent élyséen, les cocotiers n’ont pas fini de tanguer.

 ??  ?? Il faut la disruption parce que seul un langage renversant les médiations
convenues peut faire bouger les lignes.
Il faut la disruption parce que seul un langage renversant les médiations convenues peut faire bouger les lignes.

Newspapers in French

Newspapers from France