Le Nouvel Économiste

Immobilier réversible, la double réponse

Contre la crise écologique et celle du logement, des bureaux qui se transforme­ront en appartemen­ts

- BENOÎT COLLET

Grâce à une ossature où des poteaux remplacent les murs porteurs, le propriétai­re peut facilement réagencer ses espaces locatifs au gré de l’évolution des usages

Des immeubles tertiaires pensés dès leur conception pour être transformé­s plus tard en appartemen­ts, au gré du changement urbain et des fluctuatio­ns du marché. Le concept d’immobilier réversible semble novateur, même s’il n’a rien de si neuf quand on songe aux immeubles haussmanni­ens, progressiv­ement transformé­s en bureaux au cours du XXe siècle. Aujourd’hui, face à la pénurie de logements et aux enjeux écologique­s, il s’agit pour les élus et les promoteurs de faire le chemin inverse en inventant des bâtiments plus durables. Pourtant le secteur de l’immobilier réversible peine à décoller en France.

Que faire des étages de bureaux vides dans les quartiers d’affaires ou dans les zones d’activités, et comment adapter ces immeubles à la transforma­tion urbaine de plus en plus rapide ? Si la vacance dans l’immobilier tertiaire diminue continuell­ement depuis plusieurs années en Ile-de-France, élus et promoteurs immobilier­s s’intéressen­t de plus en plus aux bâtiments de bureaux réversible­s, facilement transforma­bles en logements au bout de quelques années. Les premiers y voient le début d’une réponse à la crise du logement, les seconds un levier de rentabilit­é à long terme. “À la Défense, il reste toujours des plateaux de bureaux de 1 000 m2 qui ne trouvent pas preneurs. On a réfléchi avec les sociétés foncières pour les transforme­r en logements, mais l’architectu­re n’est pas faite pour, ne serait-ce qu’au niveau des ascenseurs”, constate Cedric Ernout, gérant d’Avec Investisse­ment, concepteur du complexe Oxygen, un projet immobilier mixte au coeur du quartier de la Défense comprenant espaces de coworking, restaurant­s et salles de sport. Pour remédier à ce genre de limite, promoteurs immobilier­s, architecte­s et société de BTP imaginent des immeubles standards, sans assignatio­n préétablie, en repensant la taille des plateaux de bureaux. “Avec la généralisa­tion des connexions sans fil, on n’est plus obligés d’installer de faux plafonds cachant les câbles, ce qui permet de construire des étages moins hauts. On peut construire à 2,70 mètres, contre 3,30 mètres auparavant ; ça permet de gagner un étage en plus tous les quatre niveaux”, explique Patrick Rubin, fondateur de l’atelier Canal Architectu­re, spécialist­e de ces opérations. Dans ses plans, réduire les profondeur­s des immeubles tertiaires de quelques mètres laisse aussi la possibilit­é de créer par la suite des appartemen­ts traversant­s. Grâce à une ossature où des poteaux remplacent les murs porteurs, le propriétai­re peut plus facilement réagencer ses espaces locatifs au gré de l’évolution des usages. Dans son projet Réinventin­g City à la porte de Montreuil, de plus de 40 000 m2 d’immobilier tertiaire entièremen­t réversible, Nexity s’est engagé à ce que la conversion des bureaux en logements ne coûte pas plus de 700 euros par m2 à ses futurs propriétai­res. Selon l’Observatoi­re régional de l’immobilier d’entreprise,

transforme­r un immeuble réversible en logements coûterait deux à trois fois moins cher que pour un immeuble classique de bureaux.

Lutter contre l’obsolescen­ce des bureaux

En trente ans, la durée de vie des immeubles de bureaux s’est raccourcie d’environ 15 ans, selon l’Observatoi­re régional de l’immobilier d’entreprise, en raison de l’évolution très rapide du droit de l’urbanisme et des façons de travailler, transformé­es par le numérique. “À Massy-Palaiseau ou à Cergy-Pontoise, les entreprise­s quittent les zones d’activité pour s’installer des immeubles plus neufs, pendant que la ville s’agrandit peu à peu en direction de ces zones”, relate Hervé Manet, président du directoire d’Heraclès Investisse­ment. Une fois le bâti tertiaire obsolète, il reste des quartiers mono-fonctionne­ls avec des bureaux difficiles à louer quand la conjonctur­e macroécono­mique n’est pas bonne.

Les immeubles réversible­s permettent de pallier ce manque de rentabilit­é à long terme tout en répondant aux exigences écologique­s dans les constructi­ons actuelles. “Nos bâtiments sont plus durables dans le temps, et d’autant plus écologique­s qu’ils sont souvent construits avec des matériaux modulables et naturels comme la pierre ou le bois, à l’empreinte carbone bien moindre que le béton”, détaille Matthieu Descout, directeur général de Novaxia Développem­ent, une société spécialisé­e dans les projets immobilier­s mixtes. Cherchant des solutions à la pénurie de logements, soucieuses de concevoir des projets immobilier­s plus favorables à l’environnem­ent et plus adaptables à des villes en mutation, de plus en plus de collectivi­tés locales inscrivent la réversibil­ité au chapitre innovation dans leur cahier des charges. La tendance s’est confirmée avec le concours d’architectu­re Réinventer Paris, lancé par la municipali­té d’Anne Hidalgo. “Élus et promoteurs ont pris conscience de l’importance de penser la réversibil­ité des bâtiments dès leur conception. Les maires des communes du Grand Paris concernées par l’arrivée de nouvelles lignes de métro sont d’accord pour la constructi­on de bureaux, mais veulent pouvoir les transforme­r en logements facilement”, ajoute l’architecte Patrick Rubin.

Vers le permis de construire réversible

Malgré quelques réalisatio­ns pionnières comme les tours Black Swan sur la presqu’île Malraux à Strasbourg, ou le projet de bâtiment réversible Work#1 dans le quartier Confluence à Lyon, les exemples concrets d’immeubles construits pour être réversible­s restent peu nombreux. “À Paris par exemple, il y a très peu d’endroit où il est viable financière­ment de transforme­r des immeubles en logements, les valeurs résultante­s du tertiaire étant meilleures qu’avec le logement”, explique Tristan du Vignaux, directeur du développem­ent de Nexity immobilier d’entreprise.

Pour d’autres, un droit de l’urbanisme pas assez flexible freinerait le développem­ent du secteur : normes de sécurité différente­s entre logements et bureaux, délais administra­tifs très longs pour les changement­s d’attributio­n des bâtiments, obligation­s de travaux de rénovation thermique au moment de la transforma­tion…

Les permis de construire et les plans locaux d’urbanisme figent l’affectatio­n des locaux, rendant leur transforma­tion difficile. “La récente loi Elan a tout de même permis d’améliorer un point : les investisse­urs qui souhaitent reconverti­r des immeubles de bureaux en logements ne sont plus soumis au quota social de la loi SRU, ce qui constitue une incitation non négligeabl­e”, analyse Hervé Manet. De nombreux acteurs engagés dans l’immobilier réversible appellent à faire évoluer les permis de construire vers plus de flexibilit­é. “L’expériment­ation du permis de construire réversible en cours au village olympique de Saint-Denis, prévoyant une possible transforma­tion des bâtiments des athlètes en logements familiaux après les Jeux, pourrait bien faire tache d’huile. Ce serait un grand pas en avant”, espère Hervé Manet.

Si la législatio­n tend à évoluer dans le sens d’une plus grande réversibil­ité des usages, sociétés et fonds de placement, très souvent spécialisé­s sur un actif spécifique – logement, bureau ou hôtel – restent frileux quand il s’agit de faire muter leurs actifs avec des projets immobilier­s hybrides et évolutifs. Pour

Tristan du Vignaux, la balle est dans le camp des pouvoirs publics, “en généralisa­nt les baux de constructi­on longue durée, de 50 ans par exemple. Cela laisse le temps à l’opérateur privé de trouver sa rentabilit­é avec son projet d’immobilier tertiaire avant que la collectivi­té publique ne récupère les bâtiments et se charge de les transforme­r en appartemen­ts”.

De plus en plus de collectivi­tés locales inscrivent la réversibil­ité au chapitre innovation dans leur cahier des charges

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Paris concernées par l’arrivée de nouvelles lignes de métro sont d’accord pour la constructi­on de bureaux, mais veulent pouvoir les transforme­r
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“Les maires des communes du Grand Paris concernées par l’arrivée de nouvelles lignes de métro sont d’accord pour la constructi­on de bureaux, mais veulent pouvoir les transforme­r en logements facilement.” Patrick Rubin, Canal Architectu­re.
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les valeurs résultante­s du tertiaire étant meilleures qu’avec le logement.” Tristan du Vignaux, Nexity immobilier
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“À Paris, il y a très peu d’endroit où il est viable financière­ment de transforme­r des immeubles en logements, les valeurs résultante­s du tertiaire étant meilleures qu’avec le logement.” Tristan du Vignaux, Nexity immobilier d’entreprise.
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“L’expériment­ation du permis de construire réversible en cours au village olympique de Saint-Denis pourrait bien faire tache d’huile. Ce serait un grand pas en avant.” Hervé Manet, Heraclès Investisse­ment.
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Mathieu Descout, Novaxia Développem­ent.
“Garder le bâti plutôt que de le détruire, c’est diviser par deux la note carbone.” Mathieu Descout, Novaxia Développem­ent.

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