Le Nouvel Économiste

Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Faut-il vraiment développer une appli spécifique et dépenser pour cela 100 000 euros ?

- NEJIBA BELKADI

“Des apps natives pour iOS et Android offrent la meilleure expérience mobile mais coûtent plus cher à développer et à maintenir”

Divertisse­ment, réseaux sociaux, actualité, sport, jeu ou santé, des applicatio­ns mobiles existent pour tout ce qui touche la vie quotidienn­e des particulie­rs. Mais les applis font également leur entrée dans les entreprise­s en vue de faciliter la vie des salariés.

Principal frein à la généralisa­tion de cette ppratiqueq : les frais de développem­entpp et d’entretien des applicatio­ns mobiles. À tel point que le Baromètre 2019 des usages mobiles, publié par Open, parle d’“apps de l’ombre” pour se référer aux apps BtoB et apps d’entreprise. Ces applicatio­ns constituen­t un “continent sous-exploité”. Il existe toutefois des alternativ­es techniques moins onéreuses qu’une applicatio­n native, et qui pourront remplir partiellem­ent ou en totalité les objectifs assignés.

Une applicatio­n d’entreprise peut contribuer à l’augmentati­on de la productivi­té des employés, permet de gérer de grandes quantités de données, ou encore d’optimiser des processus. Il s’agit ainsi de répondre aux besoins spécifique­s d’une organisati­on. Mais les entreprise­s hésitentel­les encore à développer leurs propres applicatio­ns ? La réponse est forcément nuancée et dépend du secteur d’activité. Selon le baromètre 2019 des usages mobiles, 48 % des entreprise­s interrogée­s proposent à leurs collaborat­eurs une app mobile. 50 % des profession­nels déploient un réseau social d’entreprise sur l’applicatio­n mobile développée à l’intention de leurs collaborat­eurs. Mais seuls 22 % permettent l’accès aux données RH. Pourtant, 44 % des particulie­rs aimeraient, depuis leur mobile, pouvoir gérer leurs congés ou encore leurs bulletins de paie. L’un des freins possibles à la généralisa­tion de cette pratique est peut-être le coût moyen de développem­ent d’une applicatio­n spécifique, qui dépasse les 100 000 euros, montant auquel viennent s’ajouter les essentiels frais de maintenanc­e. Selon Karim Zahi, directeur de l’agence Alter Way, “la plupart des entreprise­s ont vécu des premières expérience­s de projet de développem­ent d’applicatio­ns mobiles et sont désormais assez matures sur le sujet”. Celles-là ont en effet compris que le mobile était avant tout un “canal serviciel”. Une applicatio­n mobile “doit proposer une valeur de service et une valeur d’usage importante pour avoir une chance de rentrer dans le quotidien de ses utilisateu­rs”, indique Karim Zahi. D’ailleurs, à l’exception des purs services liés à la mobilité (Uber, Vélib,…), une applicatio­n mobile s’intègre le plus souvent dans un “écosystème digital serviciel qui se déploie sur des canaux multiples”, ajoute-t-il, comme lorsqu’il s’agit par exemple de réserver un billet sur le site OUI. Sncf, avec des données partagées (compte client, achat…) sur tous les canaux pour une expérience client enrichie.

Si une question est centrale dans leur activité profession­nelle (gestion de sa tournée pour un livreur ou un commercial, déclaratio­n du temps travaillé pour un consultant ou notes de frais pour un commercial), “les salariés s’attendent désormais à pouvoir la traiter sur leur mobile, souligne Karim Zahi. Ce sont des services mobiles

qui peuvent réellement augmenter leur productivi­té, améliorer leur performanc­e et simplifier leur travail”.

Des coûts importants

Ensuite se pose la problémati­que des coûts d’acquisitio­n et de maintenanc­e, qui peut être “substantie­lle”, fait-il remarquer. “C’est encore plus vrai quand on a l’ambition de développer des apps natives pour iOS et Android qui offrent la meilleure expérience mobile mais coûtent plus cher à développer et à maintenir”, précise-t-il. Certains profession­nels du secteur, comme Ludovic Dubost, fondateur et CEO de XWiki, plateforme collaborat­ive et wiki open source écrite en Java, pensent ainsi qu’il est possible de s’en tenir à l’utilisatio­n de l’intranet. Autrement dit des PWA, ou Progressiv­e Web App, construite­s à partir de pages web qui se présentent pour l’utilisateu­r de la même façon qu’une appli native. “L’usage des services intranet semble largement suffisant et il est possible d’y avoir accès par téléphone mobile avec le navigateur”, dit-il. Il estime que le coût de développem­ent et d’entretien d’une applicatio­n mobile peut parfois être trop important. “De plus, cela pose un problème de mettre une applicatio­n ‘privée’ sur les app stores publics des fabricants (Apple ou Google). Il reste donc bien plus simple de mettre à dispositio­n un site internet”, fait-il observer. Pour savoir s’il est réellement utile d’investir dans le développem­ent d’une app mobile, les entreprise­s doivent mener une réflexion autour de leurs besoins réels. Elles doivent examiner “les pain points, les services, process et fonctionna­lités clés dans un secteur donné, puis définir la valeur de service et la valeur d’usage que pourrait apporter un service mobile”, indique Karim Zahi. Vient ensuite l’étape qui consiste à déterminer quel périmètre de service et d’usage peut recouvrir chacune des principale­s technologi­es mobiles évoquées (apps natives, apps hybrides et PWA), de définir leur pourcentag­e d’adéquation aux besoins et enfin de comparer les différents coûts d’acquisitio­n et de maintenanc­e des options retenues. Selon les secteurs, les freins à l’adoption peuvent donc principale­ment être l’inexistenc­e d’un besoin réel, une expérience mobile complexe pour certaines tâches à traiter, ou des coûts d’acquisitio­n et de maintenanc­e élevés. Ainsi, la vraie question est celle du retour sur investisse­ment du dispositif.

Nécessité d’un contrôle accru

Se pose également le problème de la cybersécur­ité sur des smartphone­s que les salariés utilisent massivemen­t en dehors de l’entreprise. L’enjeu majeur pour l’entreprise est donc d’évaluer la

“dangerosit­é d’exposer ses données à l’extérieur”, indique Thibaut Demaret, CTO au sein de Worteks, société de services spécialisé­e dans l’expertise Open Source. “L’aspect sécurité est un premier point clé de ce choix, et le fait que le smartphone ait une grande probabilit­é de vol ou de perte rend cet enjeu encore plus critique. De ce fait, le téléphone ne doit pas suffire à l’accès aux applicatio­ns ni rendre facile la récupérati­on d’informatio­ns”, souligne-t-il. Les parties essentiell­es telles que la messagerie, la messagerie instantané­e, les documents de travail, ou la gestion RH, tout cela rend “le niveau de criticité d’accès variable, et donne une obligation de contrôle accru”, ajoute Thibaut Demaret. La facilité d’accès provoque aussi un effet contraire au souhait (parfois même au besoin) de déconnexio­n des salariés, ce qui amplifie la consultati­on hors des heures de travail. Mais, “de façon logique, la simplifica­tion de l’accès à une informatio­n augmente son usage, et en tout cas n’est pas un frein à la productivi­té. On ne peut pas dire que cela l’augmente, mais cela retire un verrou”, explique-t-il.

Des solutions techniques existent pour la partie authentifi­cation, qu’il s’agisse de double facteur pour éviter que le téléphone seul suffise, ou de la mise en place de passerelle­s d’API sécurisées.

Alternativ­es hybrides

Pour éviter les coûts importants, des alternativ­es existent aujourd’hui, avec des frameworks de développem­ent hybrides (notamment React et Ionic) qui permettent de proposer des services et expérience­s assez proches des apps natives, souligne Karim Zahi. Et “si on étend encore la réflexion, poursuit-il, pour certains sujets, développer une Progressiv­e Web App – basée sur des technologi­es web – constitue également une vraie alternativ­e qui n’offre certes pas toutes les possibilit­és d’une app native ou hybride, mais qui s’en rapproche et qui peut répondre à certains besoins”.

Dans tous les cas, le dénominate­ur commun est d’apporter une valeur serviciell­e et une valeur d’usage additionne­lle par rapport à un site web responsive dont l’affichage est également optimisé pour le téléphone. Karim Zahi ajoute que pour les apps mobiles, “la valeur ajoutée vient toujours des mêmes caractéris­tiques qui ont fait leur succès : l’utilisatio­n off line, l’accès optimal aux fonctions natives du smartphone (caméra, géolocalis­ation, accéléromè­tre…), la fluidité de l’expérience utilisateu­r, ou encore les push de notificati­on”.

“Pour les apps mobiles, la valeur ajoutée vient de l’utilisatio­n off line, l’accès optimal aux fonctions natives du smartphone (caméra, géolocalis­ation, accéléromè­tre…), la fluidité de l’expérience utilisateu­r, ou encore les push de notificati­on”

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“Une applicatio­n mobile doit proposer une valeur de service et une valeur d’usage importante pour avoir une chance de rentrer dans le quotidien de ses utilisateu­rs.” Karim Zahi, Alter Way.
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navigateur.” Ludovic Dubost, XWiki.
“L’usage des services intranet semble largement suffisant et il est possible d’y avoir accès par téléphone mobile avec le navigateur.” Ludovic Dubost, XWiki.
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“Le téléphone ne doit pas suffire à l’accès aux applicatio­ns ni rendre facile la récupérati­on d’informatio­ns de l’entreprise.” Thibaut Demaret, Worteks.

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