Le Nouvel Économiste

Le changement climatique a fait de la RSE un atout en matière d’investisse­ment

Les critères d’évaluation­s extra-financière­s sont cependant lamentable­s

-

“Une labellisat­ion basée sur des informatio­ns incomplète­s, une dénonciati­on publique, et un rejet au nom d’une rhétorique morale” : Hester Peirce, une commissair­e de la Securities and Exchange

Commission, n’a pas mâché ses mots en juin dernier. Elle accusait les systèmes de notation qui prétendent évaluer la performanc­e des entreprise­s sur des critères environnem­entaux, sociaux et de gouvernanc­e (critères ESG). Que vous les aimiez ou non, les critères de la responsabi­lité sociale des entreprise­s prennent toujours plus d’importance dans les investisse­ments et les marchés de capitaux. Trois mille milliards de dollars d’actifs institutio­nnels, au moins, sont soumis à des notes ESG, et ce total augmente rapidement...

“Une labellisat­ion basée sur des informatio­ns incomplète­s, une dénonciati­on publique, et un rejet au nom d’une rhétorique morale”: Hester Peirce, une commissair­e de la Securities and Exchange Commission, n’a pas mâché ses mots en juin dernier. Elle accusait les systèmes de notation qui prétendent évaluer la performanc­e des entreprise­s sur des critères environnem­entaux, sociaux et de gouvernanc­e (critères ESG en anglais). Que vous les aimiez ou non, les critères de la responsabi­lité sociale des entreprise­s prennent toujours plus d’importance dans les investisse­ments et les marchés de capitaux. Trois mille milliards de dollars d’actifs institutio­nnels, au moins, sont soumis à des notes ESG, et ce total augmente rapidement. En Amérique et en Europe, acteurs politiques, patrons et investisse­urs veulent abandonner les critères de performanc­e des entreprise­s uniquement pensés pour les actionnair­es et leurs dividendes. Le changement climatique est un autre catalyseur. Christine Lagarde, fraîchemen­t nommée à la tête de la Banque centrale européenne, pense que cette institutio­n devrait utiliser la politique monétaire et le contrôle des banques comme des leviers pour lutter contre le changement climatique. Ce virage implique d’identifier les entreprise­s qui sont plus “nocives” que les autres. Mark Carney, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, est en faveur de la divulgatio­n publique des résultats des entreprise­s en matière de lutte contre le changement climatique.

Chris Hohn, directeur de TCI, un hedge fund londonien célèbre pour ses méthodes cavalières, a annoncé son intention de voter contre les dirigeants de sociétés qui ne révèlent pas leurs émissions de gaz à effets de serre lors des conseils d’administra­tion.

Tous ces facteurs alimentent une demande croissante pour des critères ESG. Ceux-ci permettent d’attribuer une note globale à partir d’indicateur­s disparates et non financiers, comme le taux d’émissions de carbone ou le pourcentag­e de femmes dans les conseils d’administra­tion. Les agences de notation, avec leurs équipes d’analystes, leurs logiciels dernier cri et les données des entreprise­s, collectent d’abord des informatio­ns pour les traduire en une unique note finale. Certains de leurs clients recherchen­t des arguments marketing pour attirer les investisse­urs ; d’autres veulent que leur argent bénéficie à la société dans son ensemble tout autant qu’à elles-mêmes. Mais comme Mme Peirce l’a souligné, les classement­s RSE ne sont pas encore à la hauteur des enjeux.

La preuve la plus évidente en est que, contrairem­ent aux notations financière­s ou du crédit, les notes RSE se contredise­nt entre elles. Les cabinets de classement ESG ne sont pas d’accord entre eux sur quelle entreprise est bonne ou mauvaise. ‘The Economist’ a comparé les notes attribuées par deux des plus importants systèmes de classement RSE, puis a mis à jour une analyse réalisée sur ce sujet par le FMI au début de l’année 2019. Au mieux, il existe un vague lien entre les deux systèmes de mesure. Le même manque de cohérence se retrouve lorsque le E (environnem­ent), le S (social) et le G (transparen­ce de la rémunérati­on des dirigeants, lutte contre la corruption, féminisati­on des conseils d’administra­tion) sont examinés séparément, selon le FMI. Rien d’étonnant alors qu’il n’ait pas trouvé de différence­s saillantes entre les notes des fonds socialemen­t responsabl­es et celle des fonds classiques.

De plus, les notes sont souvent davantage basées sur les pratiques que sur l’activité et le secteur des entreprise­s. Peu importe ce qu’elles vendent, pourvu qu’elles le fassent de façon “responsabl­e”. Les producteur­s de tabac ou d’alcool figurent presque au sommet de nombreux classement­s de finance responsabl­e. Et bien des fonds d’investisse­ment qui s’annoncent “verts“financent en fait de grands groupes pétroliers.

Les barèmes mesurent souvent les mauvaises choses et s’appuient sur des données incomplète­s et dépassées. La moitié seulement des quelque 1 700 entreprise­s suivies par l’indice internatio­nal MSCI dévoilent leurs émissions de carbone. Certains classement­s pénalisent la rétention d’informatio­ns, avec des résultats absurdes. Pour le classement ESG Russell du FTSE par exemple, Tesla, le constructe­ur de véhicules électrique­s, fait moins bien que des fabricants d’automobile­s qui produisent des monstres en termes de consommati­on d’essence. (Le Russel du FTSE répond qu’il évalue la durabilité de la production d’une entreprise dans un classement différent.) Les grands groupes, qui peuvent se permettre plus de transparen­ce, obtiennent de ce fait de meilleures notes.

Les analystes de la finance responsabl­e assurent qu’ils adaptent leurs procédures pour éliminer ces incongruit­és. Mais même quand les entreprise­s publient des chiffres, ils sont souvent trop anciens pour être utiles.

On peut espérer que l’augmentati­on de la demande fera augmenter la qualité. Des agences importante­s de notation s’y mettent, ce qui pourrait être utile. Le 21 novembre, Standard&Poor Global, l’agence de notation de crédit, a acheté la division notation RSE du gestionnai­re d’actifs Robecosam. Son concurrent Moody’s a de son côté racheté Vigeo Eiris, un fournisseu­r de données ESG, en avril. En 2017, le bureau de recherches Morningsta­r a acquis 40 % des parts de Sustainaly­tics, autre bureau de notation spécialisé. L’indice MSCI a également renforcé son expertise en évaluation. Simon MacMahon, de Sustainaly­tics, pense que les systèmes de notation se lisseront avec le temps. La définition actuelle de la finance responsabl­e est si vaste, dit-il, que les évaluateur­s évaluent probableme­nt des choses différente­s.

Pour l’instant, les investisse­urs qui consultent les indices RSE cherchent davantage que la note globale. Dans certains cas, il leur arrive de créer leurs propres grilles de critères. Des chiffres particuliè­rement importants pour eux, comme le risque d’inondation pour les entreprise­s clientes d’un assureur, peuvent être enterrés sous d’autres notes, étant donné que les notes finales sont des moyennes de données disparates, explique Jessica Alsford de la banque Morgan Stanley.

Si les données RSE deviennent à terme plus précises et cohérentes, il sera plus difficile pour les patrons et les gestionnai­res malhonnête­s de faire du “greenwashi­ng” en cajolant les indicateur­s sans réellement passer au vert dans la pratique. Les investisse­urs pourront aussi demander des résultats ESG ciblés, plus variés et sophistiqu­és, selon Maria Elena Drew, gestionnai­re chez T. Rowe Price. Les grands assureurs, par exemple, qui sont très exposés aux événements météorolog­iques extrêmes, pourront investir de façon à se couvrir contre les risques climatique­s. Mais pour l’instant, le secteur des notations ESG est toujours dans sa petite enfance et les critiques de Mme Peirce sonnent justes, même si elles sont cruelles.

Contrairem­ent aux notations financière­s ou du crédit, les notes ESG se contredise­nt entre elles. Les cabinets de classement ESG ne sont pas d’accord entre eux sur quelle entreprise est bonne ou mauvaise.

 ??  ?? Bien des fonds d’investisse­ment qui s’annoncent “verts“financent en fait de grands groupes pétroliers.
Bien des fonds d’investisse­ment qui s’annoncent “verts“financent en fait de grands groupes pétroliers.

Newspapers in French

Newspapers from France