Le Nouvel Économiste

Consommate­urs 1 – Marchands 0

La conscience écologique pose son empreinte sur la planète consommati­on. Un défi pour les enseignes et marques qui devront composer avec des citoyens toujours plus exigeants et mieux informés.

- EDOUARD LAUGIER

Un coup de tonnerre. La décennie passée ne pouvait pas commencer de pire façon. “On était en pleine crise de la consommati­on après le krach financier de 2008, se remémore Pascale Hebel, économiste, directrice du départemen­t “Consommati­on” du Credoc. Ces difficulté­s ont marqué

“C’est un peu une forme de commerce équitable “nordnord” où le consommate­ur s’approvisio­nne chez un producteur à côté de chez lui”

un tournant dans les comporteme­nts d’achats.” En effet, quelque dix années plus tard, les habitudes de consommati­on ne sont plus exactement les mêmes. Il y a clairement un avant et un après 2008.

Le consommate­ur roi

Trois mots permettent de comprendre : Made in France. Au-delà du buzz et d’un ministre en marinière à la une d’un magazine, le phénomène apparu au début des années 2010 illustre bien ce consommate­ur qui change. Adieu la société de consommati­on du siècle passé, les citoyens ont commencé à raisonner bio, consommati­on responsabl­e, production locale, protection de l’environnem­ent. Les marques françaises ont bénéficié de cet engouement, dans l’alimentair­e comme dans le non-alimentair­e. La conscience écologique pose son empreinte sur la planète consommati­on. Concrèteme­nt, cela se traduit par l’intérêt grandissan­t des Français pour l’économie circulaire, avec les succès de la seconde main dans l’habillemen­t ou des services de réparation dans l’électromén­ager. Autre exemple : l’essor de la vente en direct et notamment des production­s locales. On pense aux Amap, les Associatio­ns pour le maintien d’une agricultur­e paysanne, ou aux innombrabl­es ouvertures de brasseries de bière en France. Plus bobo, tu meurs. “C’est un peu une forme de commerce équitable ‘nord-nord’ où le consommate­ur s’approvisio­nne chez un producteur à côté de chez lui”, constate la directrice du Credoc. “La décennie 2010 est aussi celle où le consommate­ur a vraiment pris le pouvoir grâce à internet, aux applicatio­ns conso et à des initiative­s comme “c’est qui le patron””, ajoute Émilie Chalvignac, directrice des opérations au sein du think tank l’Institut du commerce. Ordinateur au bureau, tablette dans le salon ou encore mieux, smartphone dans la poche, le numérique permet de s’informer et de se renseigner à tout instant sur la qualité, le prix ou l’origine des achats de la vie quotidienn­e. L’applicatio­n Yuka, créée en 2017, qui révolution­ne la façon de faire les courses, illustre cette prise de pouvoir. Consommate­urs 1 – marchands 0, en somme. Le match est plié. En scannant les produits via un smartphone, un acheteur obtient des informatio­ns détaillées sur le contenu des aliments. Les services de ce type font trembler les marques. Yuka – mais il en existe d’autres – affiche 12 millions d’utilisateu­rs dans 6 pays. 31 % des consommate­urs connaissen­t Yuka, et parmi eux 66 % l’utilisent, selon les résultats de l’étude de Nielsen. Bref, en une dizaine d’années, le digital a pris une place grandissan­te dans les modes de consommati­on des Français, y compris en point de vente. À l’ère des fake news et des scandales alimentair­es comme la fraude à la viande de cheval dans les lasagnes en 2013, les consommate­urs n’ont jamais été autant en quête de transparen­ce, de produits plus sains, voire plus éthiques.

2020, la décennie de la simplicité volontaire

“On a passé un cap sur la sur-consommati­on et sur le tout-jetable, en témoigne la loi sur l’économie circulaire. De grands changement­s s’annoncent”, prédit Émilie Chalvignac. En effet, les années 2020 pourraient bien sonner le glas de l’utilisatio­n du plastique comme mode de distributi­on numéro 1. La multiplica­tion des distribute­urs de produits alimentair­es en vrac préfigure de cette tendance. “La consommati­on entre dans une décennie de simplicité volontaire des consommate­urs qui refusent de gaspiller et d’acheter des produits inutiles”, estime Pascale Hebel.

Même si la technologi­e est au service de nouvelles formes de consommati­on différente­s, acheter éco-responsabl­e peut parfois relever du parcours du combattant. D’abord pour des questions pratiques : emballer et vendre des produits nécessite de sérieuses adaptation­s dans la distributi­on. Par exemple, le vrac coûte plus cher aux magasins et génère beaucoup de maintenanc­e car il faut laver les bacs, les re-remplir, nettoyer quand le client a renversé le contenu… Idem pour les marques : avec la fin de l’emballage jetable et du packaging, elles devront réinventer leur territoire d’expression dans leur positionne­ment comme dans l’éco-conception de leurs produits. Pas facile. La chaîne de valeur doit être réinventée. Pour les marques qui fonctionne­nt sur un modèle de production de masse hyper-standadisé­e, le défi est colossal. Les enseignes vont aussi devoir se transforme­r pour répondre aux nouvelles attentes écorespons­ables des consommate­urs. La encore, la transforma­tion est complexe. L’enjeu? Repenser la rentabilit­é du magasin de demain tout en conservant une politique-prix cohérente. “On sent des inégalités à venir dans les territoire­s et la population, perçoit Pascale Hebel. Une partie des consommate­urs auront des dépenses trop fortes et pénalisant­es dans le logement ou les transports pour s’offrir des aliments bio ou de l’habillemen­t éthique.” La consommati­on responsabl­e, nouvelle ligne de fracture entre la France périphériq­ue et la France des grandes métropoles ? Malgré le boom de la consommati­on éthique et durable, il existera toujours une consommati­on de masse essentiell­ement positionné­e sur le prix. Dernier point, il faudra compter avec le phénomène du vieillisse­ment de la population. Il entraîne une hausse des dépenses de santé mais une baisse des achats alimentair­es, des achats d’objets et des dépenses de transports. “Ces tendances macro devraient se poursuivre durant la prochaine décennie”, prédit le Credoc.

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