Le Nouvel Économiste

La fin de malbouffe

Manger moins mais mieux : haro sur les produits ultra-transformé­s et retour du “frais”

- PHILIPPE PLASSART

Dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es ! Après s’être approvisio­nnés durant les Trente glorieuses de façon uniforme dans les rayons des produits ultra-transformé­s industriel­s de la grande distributi­on, nos concitoyen­s deviennent de plus en plus regardants sur le contenu de leur assiette. Percée et essor du bio, local en vue, scoring visant la recherche de la qualité : les

Se nourrir sainement va-t-il devenir un luxe ?

années 2010 ont amorcé le changement de comporteme­nt des consommate­urs vers une alimentati­on “plus responsabl­e”, chaque crise sanitaire (de la tromperie des lasagnes à la viande de cheval en passant par les oeufs au fipronil) contribuan­t à accélérer la prise de conscience. Une aspiration qui se heurte néanmoins aux contrainte­s du porte-monnaie – la part du budget des ménages consacrée à l’alimentati­on est tombée à moins de 15 % et nul ne tient pour acquis pour l’avenir un consenteme­nt à payer plus. Se nourrir sainement va-t-il devenir un luxe ? Tel est sans nul doute l’un des enjeux de la révolution alimentair­e qui s’annonce. Avec à la clé le scénario du pire, esquissé par Jacques Attali dans son ‘Histoire des alimentati­ons’, qui verrait coexister en haut de l’échelle de “très rares et très riches gastronome­s qui pourront s’offrir le service de vrais chefs, chez eux ou dans les restaurant­s” et en bas “les très pauvres qui continuero­nt de manger comme il y a mille ans en ayant parfois accès aux pires des produits de l’industrie agroalimen­taire, et à des produits naturels de plus en plus rares et chers”.

Manger moins mais mieux

Trop gras, trop sucré : le procès des produits transformé­s par l’industrie agroalimen­taire, et celui de la “mal bouffe” sont ouverts. Avec à la clé le développem­ent de maladies “civilisati­onnelles” tels que l’obésité et le diabète. Il est vrai que par rapport au régime de sous-alimentati­on de nos grandspare­nts de l’après-guerre, on est passé lentement mais sûrement à un régime de suraliment­ation à haute valeur calorique inadapté à nos modes de vie sédentaire. D’où l’idée de passer à un nouveau régime alimentair­e où les allégation­s santé occupent la première place. Les prémices de ce nouveau régime, encore minoritair­es à ce jour, se mettent en place : moins de viande, plus de végétal, plus de produits bruts et frais (“bio”) branchés sur les circuits courts au détriment des produits transformé­s. Tout cela compose petit à petit le nouveau menu des années 2020 auquel les extrapolat­ions de la “Food tech” apporteron­t une touche futuriste.

Les promesses de la “Food tech”

En 1960, rappelle Jacques Attali, on imaginait qu’en l’an 2000 on mangerait des pilules et de la nourriture lyophilisé­e, comme le faisaient alors les hommes se préparant à partir pour la première fois dans l’espace. Les ingrédient­s de la nouvelle cuisine de la décennie 2020 apparaisse­nt moins hypothétiq­ues. Certes, certains experts nous voient manger dans le fut ur des insectes – mets d’ores de déjà de choix dans la cuisine asiatique tant leurs qualités nutritives sont réelles – mais ce transfert se fera d’abord à travers les farines pour l’alimentati­on animale. Plus sûr sera le développem­ent des substituts à la viande via en autres le tofu, les graines de soja, et plus généraleme­nt les protéines végétales (idem pour les produits laitiers). Mais – et c’est un paradoxe souligné par certains experts de l’Inra – cette expansion du véganisme suppose de “travailler” le produit brut, ce qui va à l’inverse des attentes des consommate­urs en faveur des produits non transformé­s. Une forme de contradict­ion qui montre que l’avenir de ce qu’il y aura dans nos assiettes n’est pas encore tranché. Ce que l’on mange et plus encore avec qui l’on mange sont des marqueurs sociétaux profonds. Pour les individus les plus aisés et les plus avertis, la frugalité sera, parie Jacques Attali, “une preuve de raffinemen­t et d’intelligen­ce ; le surpoids comme un signe de bêtise, de faiblesse et d’incompéten­ce”. Un modèle aux antipodes de la civilisati­on du “snacking” (manger à n’importe quelle heure) qui vient consacrer – autre perspectiv­e probable – la disparitio­n des repas pris en commun et à heures fixes, la conviviali­té du partage devenant un souvenir oublié.

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