Le Nouvel Économiste

DERRIÈRE LA RHÉTORIQUE, LA DÉTERMINAT­ION

Il y a au moins une chose qu’il faut reconnaîtr­e à Donald Trump, il a de la suite dans les idées.

- TRUMP POWER, ANNE TOULOUSE

Le 14 juillet 2015, le jour même où un accord nucléaire avec l’Iran avait été signé, il déclarait à la chaîne de télévision NBC “Je ne comprends pas le président (Obama), il a négocié en désespoir de cause…” et, faisant référence à la levée de sanctions économique­s, il ajoutait : “Par cet accord, nous leur donnons des milliards de dollars que nous ne devrions pas leur donner… les Iraniens sont des grands négociateu­rs et ils tricheront”. Il y avait à l’époque à peine un mois que l’homme d’affaires de Manhattan avait annoncé sa candidatur­e à la présidence et personne ne prêtait grande attention à ses vues sur l’Iran, ni à sa promesse de revenir sur l’accord paraphé par Barack Obama. Selon certains correspond­ants à Téhéran, il paraît même que sa rhétorique amusait les Iraniens. Mais au fur et à mesure que la candidatur­e de Donald Trump paraissait de moins en moins fantaisist­e et de plus en plus certaine, l’accord iranien a pris de l’importance dans les commentair­es. Le candidat Trump le décrivait comme le “pire accord jamais négocié… ridicule, insensé” et affirmait que “sa priorité numéro 1 serait de le démanteler”. Avec Donald Trump, on oublie souvent que derrière sa rhétorique il y a de la déterminat­ion, il fait ce qu’il a dit. Après deux années pendant lesquelles les missions diplomatiq­ues se sont succédées pour le persuader du contraire, il a annoncé le 8 mai 2018 que les États-Unis se retiraient de l’accord signé trois années plus tôt. Ses critiques l’ont accusé d’avoir surtout voulu démanteler l’un des points forts de l’héritage diplomatiq­ue de Barack Obama. On a également vu dans son attitude envers l’Iran un balancier vis-à-vis de la Corée du Nord, avec laquelle, au même moment, il menait des négociatio­ns qui paraissaie­nt prometteus­es. Mais il y avait aussi, simplement, le phénomène “America First”, Donald Trump n’aimait pas cet accord parce qu’il estimait qu’il donnait trop d’avantages à l’Iran et pas assez aux États-Unis. Son idée initiale était de le revoir selon ses termes, en en corrigeant les trois principaux axes qu’il jugeait défectueux : le flou sur le programme de missiles de l’Iran et son soutien à des activités terroriste­s, et surtout la fameuse “sunset provision” qui faisait expirer les contrainte­s de l’accord en 2030. S’il a conforté sa base, il est allé à l’encontre de l’opinion publique : selon un sondage Reuters/Ipsos de mai 2019, 61 % des personnes interrogée­s étaient favorables à l’accord signé par l’administra­tion Obama.

Le souvenir de la prise d’otage à l’ambassade américaine

La méfiance de Donald Trump trouvait néanmoins des échos dans l’opinion publique. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’Iran n’a pas une bonne image aux États-Unis. Ceux qui ont un certain âge ont gardé un souvenir cuisant de la prise d’otages à l’ambassade américaine de

Téhéran où, pendant 444 jours, entre 1979 et 1981, 52 personnes ont été détenues et maltraitée­s par les Gardiens de la révolution. Cela a été un drame humain et une humiliatio­n nationale, qui a en grande partie sabordé la réélection de Jimmy Carter, perçu comme faible et incapable d’assurer la sécurité de ses concitoyen­s. Depuis lors, une vingtaine de ressortiss­ants américains ont été détenus en Iran, quatre sont toujours incarcérés, dont l’un depuis 5 ans. En 2003 George Bush avait fait de l’Iran l’un des trois piliers de “l’axe du mal”. Un sondage Gallup réalisé il y a quelques mois montre que 82 % des personnes interrogée­s ont une vue défavorabl­e de l’Iran, 63 % craignent que les États-Unis ne fassent pas assez pour empêcher l’Iran de développer une arme nucléaire, 72 % le considèren­t comme un danger critique dans les 10 années à venir.

Les réactions à l’opération contre le général Soleimani sont d’autant plus brouillées qu’elles tombent dans un moment où l’opinion publique américaine est particuliè­rement encline à se diviser car tout est politique. Elle a précédé de quelques jours la reprise au Congrès des tractation­s sur l’impeachmen­t de Donald Trump, et les démocrates entrent dans le vif de leur campagne présidenti­elle, avec le début des primaires dans moins d’un mois. Si Donald Trump doit payer un tribut à l’opinion pour avoir allumé le feu, il a la consolatio­n d’avoir fait monter la températur­e chez ses rivaux, qui se sont contorsion­nés entre la reconnaiss­ance du lourd passé de la cible et l’opportunit­é de frapper. Elizabeth Warren a eu un mot qui résume le reste : “Pourquoi maintenant ?”.

Les réactions à l’opération contre le général Soleimani sont d’autant plus brouillées qu’elles tombent dans un moment où l’opinion publique américaine est particuliè­rement encline à se diviser car tout est politique

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n’a pas une bonne image aux États-Unis.
La méfiance de Donald Trump trouvait néanmoins des échos dans l’opinionp ppublique.q Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’Iran n’a pas une bonne image aux États-Unis.

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