Le Nouvel Économiste

LES BIENFAITS DU TRAITEMENT HORMONAL

Ce traitement, accusé néanmoins d’augmenter le risque de cancer du sein, peut surtout sauver des vies

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Ce fut une combinaiso­n de différente­s choses. Une tristesse inhabituel­le. Des étourderie­s à répétition. Un cycle menstruel irrégulier. Lucy, une Britanniqu­e d’une quarantain­e d’années, savait que quelque chose n’allait pas. Deux ans avant, elle s’entraînait à la salle de sport cinq fois par semaine. Maintenant, elle pouvait à peine trouver l’énergie de faire de l’exercice en raison d’insomnies chroniques, un problème nouveau. Son comporteme­nt était passé de la gaieté à une anxiété constante. Son travail et sa vie familiale en souffraien­t.

Ne sachant pas ce qui causait ces changement­s, elle a consulté son médecin, qui a blâmé le stress. Elle a suggéré que Lucy revienne dans un an. Frustrée, Lucy s’est tournée vers Internet. Ses recherches l’ont amenée à penser qu’elle entrait en ménopause. La ménopause est la période au milieu de la vie d’une femme — qui peut commencer au début de la quarantain­e — lorsque ses niveaux d’hormones comme les oestrogène­s, la progestéro­ne et la testostéro­ne chutent. À la fin, ses ovaires cessent de produire des ovules et ses règles cessent. Après un an sans règles, une femme est considérée comme ménopausée. Les symptômes de la ménopause peuvent inclure bouffées de chaleur, dépression, douleurs, insomnie, anxiété et pertes de mémoire reversible­s. L’expérience de Lucy est banale à deux égards. Toutes les femmes connaissen­t la ménopause. Et les médecins du monde entier ne parviennen­t souvent pas à leur fournir un traitement qui pourrait soulager leurs symptômes. Les travaux de recherche concluent que 70 à 80 % des femmes présentent des symptômes et que pour un peu plus d’un quart d’entre elles, ils sont handicapan­ts. Ils durent en moyenne sept ans et demi.

Pourtant, les médecins encouragen­t souvent les femmes à se contenter d’en sourire et à les supporter. Certains conseillen­t de bien manger et de faire plus d’exercice, ce qui peut atténuer les symptômes. D’autres prescriven­t des antidépres­seurs ou des antiépilep­tiques qui ne traitent pas la cause du problème. Il existe une alternativ­e bon marché et efficace : l’hormonothé­rapie substituti­ve (THS). Mais l’alarmisme en prive des millions de femmes.

La ménopause a des conséquenc­es sur les os, le cerveau, le coeur et le système immunitair­e des femmes. Elle est associée à un risque accru d’ostéoporos­e et de fractures osseuses, à une augmentati­on de la graisse abdominale et à un risque accru de diabète, explique Susan Davis, professeur­e de santé féminine à l’Université Monash en Australie.

Les changement­s hormonaux de la ménopause semblent également accélérer le vieillisse­ment cellulaire d’environ 6 %, lorsque l’âge est mesuré par les changement­s des marqueurs génétiques dans le sang. L’insomnie associée à la ménopause pourrait en être la cause. Les oestrogène­s sont particuliè­rement importants sur le plan cardiaque. Avant la ménopause, les femmes ont moins de crises cardiaques que les hommes. Après la ménopause, le risque augmente à mesure que l’élasticité des artères coronaires diminue avec le taux d’oestrogène­s.

En comprimés ou en patch

En 1966, le médecin Robert Wilson avait écrit un livre intitulé ‘Feminine Forever’. Il y affirmait que la diminution des hormones chez les femmes après la ménopause entraînait une maladie grave, douloureus­e et souvent invalidant­e, connue sous le nom de maladie à déficit oestrogéni­que. Une cure régulière de supplément­s d’oestrogène­s était la solution, assurait-il. Ils préservera­ient la jeunesse des femmes, leur sex-appeal et leur mariage, écrivait-il à l’époque. Ce livre a semé la discorde. Certaines femmes ont adopté les oestrogène­s comme moyen de vaincre le temps. D’autres ont résisté à ce qu’elles considérai­ent comme la médicalisa­tion d’une étape naturelle dans la vie d’une femme. Néanmoins, au tournant du millénaire, l’hormonothé­rapie substituti­ve était devenue extrêmemen­t populaire. En Amérique, avant 2001, environ 20 % des femmes ménopausée­s l’utilisaien­t à un moment donné. Une forme synthétiqu­e de progestéro­ne était alors administré­e en même temps que l’oestrogène ; il avait été démontré qu’elle protégeait les femmes contre un risque accru de cancer de l’utérus causé par l’administra­tion d’oestrogène­s seuls.

Les avantages de l’hormonothé­rapie substituti­ve semblaient alors sûrs. À court terme, elle garantissa­it le soulagemen­t des symptômes de la ménopause. À plus long terme, moins de risques d’ostéoporos­e (qui augmente après la ménopause) et donc de risques de fractures osseuses. Les utilisatri­ces aimaient aussi le fait que le traitement ralentisse en parallèle le vieillisse­ment de la peau (probableme­nt parce qu’il stimule les niveaux de collagène, une protéine). On supposait aussi qu’il réduisait le risque de dégénéresc­ence cognitive. Mais surtout, des études avançaient qu’il empêchait l’apparition de maladies cardiovasc­ulaires, l’une des principale­s causes de décès chez les femmes.

La grande peur des hormones

En 1997, un article dans la revue scientifiq­ue ‘Journal of the American Medical Associatio­n’ concluait que le traitement hormonal de substituti­on prolongeai­t l’espérance de vie, jusqu’à trois ans. La

70 à 80 % des femmes présentent des symptômes et pour un peu plus d’un quart d’entre elles, ils sont handicapan­ts. Ils durent en moyenne sept ans et demi. Pourtant, les médecins encouragen­t souvent les femmes à sourire et à les supporter.

THS était devenue un traitement systématiq­ue de la ménopause. Puis une bombe explosa.

En 2002, les résultats d’un vaste essai randomisé mené par le National Institute of Health des États-Unis, connu sous le nom de Women’s Health Initiative (WHI), ont été publiés. Il concluait que la prise d’oestrogène­s avec de la progestéro­ne synthétiqu­e augmentait le risque de cancer du sein, de crise cardiaque, d’accident vasculaire cérébral et d’embolies par caillots sanguins chez les femmes. Les dangers de l’hormonothé­rapie substituti­ve l’emportaien­t sur ses avantages.

Ces résultats ont bouleversé des décennies d’habitudes médicales. Pour parachever le tout, on apprit que M. Wilson avait reçu de l’argent du laboratoir­e Wyeth-Ayerst, lors de la rédaction de son livre sur les bienfaits des hormones. Le traitement passa d’un coup du statut de potion magique à celui de poison vendu par des laboratoir­es rapaces. Six ans plus tard, moins de 5 % des femmes américaine­s post-ménopauses continuaie­nt à prendre ce traitement. Dans les pays occidentau­x, le recours à l’hormonothé­rapie substituti­ve a augmenté rapidement au cours des années 1990, mais a diminué de moitié au début des années 2000. Aujourd’hui encore, les médecins hésitent à prescrire des hormones à leurs patientes.

Mais les premières conclusion­s de l’étude WHI, sur laquelle reposent encore tant de craintes à l’égard de l’hormonothé­rapie substituti­ve, étaient presque entièremen­t fausses. L’étude avait pour but d’examiner les stratégies de prévention des maladies cardiaques, du cancer et de l’ostéoporos­e chez les femmes ménopausée­s. Avrum Bluming, oncologue et co-auteur d’un livre récent, ‘Oestrogen Matters’, dit qu’au lieu de recruter des femmes en bonne santé à la fin de la quarantain­e et au début de la cinquantai­ne, qui étaient en ménopause, l’âge médian des patientes était de 63 ans. Ces recrues plus âgées étaient déjà en mauvaise santé. La moitié étaient obèses. Près de 50 % étaient fumeuses ou anciennes fumeuses et plus d’un tiers avaient été traitées pour hypertensi­on artérielle. Les femmes qui ont participé à l’étude souffraien­t probableme­nt d’athérosclé­rose — la plaque s’accumule dans les artères et rend les maladies cardiaques plus probables — lorsqu’elle a commencé, dit M. Bluming. Ce que l’analyse des résultats en 2002 a montré, en fait, c’est que l’offre d’un THS aux femmes plus âgées et en mauvaise santé était une mauvaise idée. Elle ne disait rien au sujet des femmes à qui le traitement était destiné.

Il y avait d’autres problèmes. L’étude WHI a presque complèteme­nt exclu de l’essai les femmes qui présentaie­nt des symptômes de la ménopause, craignant que si on leur donnait le placebo, elles abandonnen­t l’essai car leurs symptômes ne seraient pas soulagés. Mais ce sont ces femmes-là qui devraient bénéficier le plus des effets préventifs du THS. Selon des travaux de recherche récents, les bouffées de chaleur et les suées nocturnes sont associées à un risque d’accident cardiaque et d’AVC.

Désormais, il est clair que les bénéfices à long terme pour les femmes du traitement hormonal substituti­f, s’il est pris quand elles entrent en ménopause, sont importants. Une nouvelle analyse minutieuse des études existantes montre que les femmes dans la cinquantai­ne ont une probabilit­é moindre, de 31 %, de décéder au cours des 5 à 7 années pendant lesquelles elles prennent un traitement hormonal. Pour celles qui ont subi une ablation de l’utérus, ou dont la ménopause est précoce (avant l’âge de 45 ans), il est salvateur : il prévient l’ostéoporos­e et les pathologie­s cardiaques pendant des années, jusqu’à 18 ans. Le risque de cancer du sein connaît une légère augmentati­on parmi les patientes après cinq ans de traitement. Mais il est moindre que celui encouru par les hôtesses de l’air.

Une étude publiée cette année dans la revue médicale britanniqu­e ‘The Lancet’ a relancé la controvers­e sur le niveau de risque de cancer du sein associé à l’hormonothé­rapie. Mais Mme Davis et d’autres craignent que ses conclusion­s ne soient pas fiables. En outre, toute augmentati­on du risque doit être comparée avec le risque de développer d’autres maladies.

La prise d’hormonothé­rapie substituti­ve réduit la mortalité des femmes âgées de 50 à 59 ans d’au moins 20 % et jusqu’à 40 %, principale­ment parce qu’elles souffrent moins de problèmes cardiaques. Une femme sur 25 mourra d’un cancer du sein, une sur trois d’une maladie coronarien­ne et une sur six d’un AVC. Environ 90 % des femmes atteintes d’un cancer du sein y survivent dans les pays riches. Si les femmes sont sous THS au moment du diagnostic de cancer du sein, elles risquent moins de mourir de la maladie. L’évaluation de ces risques fait partie de la décision de s’engager ou non dans un

traitement substituti­f.

En plus des failles dans la structure de l’étude WHI, un changement dans les versions des hormones utilisées dans le THS explique l’évolution du consensus scientifiq­ue sur les effets du traitement. La forme synthétiqu­e de progestéro­ne utilisée dans le WHI a probableme­nt déclenché des problèmes cardiovasc­ulaires. La progestéro­ne que de nombreuses femmes prennent maintenant en complément des oestrogène­s est considérée comme moins susceptibl­e de poser problème.

Il n’y a pas eu d’études cliniques à long terme sur cette combinaiso­n spécifique d’hormones. En théorie, elle pourrait apporter tous les bénéfices des oestrogène­s décrits par l’étude WHI, sans les risques de la progestéro­ne de synthèse. En l’absence de ces études, le THS reste dans les limbes médicaux. Les femmes qui approchent ou qui sont dans la cinquantai­ne y perdent au change. La fenêtre temporelle pour débuter une THS et en avoir tous ses bénéfices (y compris contre les effets d’un déclin cognitif), pourrait ne durer que deux à trois ans. Les symptômes de Lucy se sont aggravés après que sa médecin l’ait congédiée. Convaincue par ses recherches en ligne qu’elle était en pré-ménopause, elle a fait des analyses sanguines à ses frais. Les résultats ont confirmé ses soupçons : son taux d’hormones était le problème. On lui a prescrit des dosages personnali­sés de trois hormones : un patch oestrogéni­que, de la progestéro­ne micronisée et de la testostéro­ne. En trois jours, ses bouffées de chaleur avaient cessé, elle dormait paisibleme­nt et son humeur était revenue à un bon équilibre. Elle se sentait “surhumaine”.

Ce happy end est moins fréquent qu’il ne devrait l’être. En GrandeBret­agne, plus d’un million de femmes seraient privées de traitement. Ailleurs, la fréquence d’administra­tion d’un THS est encore plus faible. En Hongrie et en Russie, seulement 3 % des femmes ménopausée­s le reçoivent. En l’absence d’hormonothé­rapie prescrite par un médecin, certaines femmes se tournent vers des complément­s alimentair­es qui peuvent soulager les symptômes de la ménopause, mais qui ne réduiront pas le risque cardiaque futur. Par ailleurs, certains complément­s alimentair­es populaires à base de plantes, comme l’extrait d’actée à grappes noires, peuvent être toxiques pour le foie. Dans des pays comme la Chine, le Japon et Singapour, on fait appel aux médecines traditionn­elles. Une alimentati­on riche en phytoestro­gènes, comme le soja, peut réduire les symptômes de la ménopause. Cela peut expliquer pourquoi les femmes d’Asie de l’Est souffrent moins. Mais rien ne marche aussi bien que l’hormonothé­rapie substituti­ve. En l’écartant d’office, certaines femmes pourraient se faire du mal à elles-mêmes.

“En Grande- Bretagne, plus d’un million de femmes seraient privées de traitement. Ailleurs, la fréquence d’administra­tion d’un THS est encore plus faible. En Hongrie et en Russie, seulement 3 % des femmes ménopausée­s le reçoivent”

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Il existe une alternativ­e bon marché et efficace : l’hormonothé­rapie substituti­ve (THS). Mais l’alarmisme en prive des millions de femmes.

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