Le Nouvel Économiste

Une riposte iranienne millimétré­e et lourde de sens

Les jours de l’interventi­onnisme américain semblent désormais petitement comptés

- MAELSTRÖM MOYEN-ORIENTAL, ARDAVAN AMIR-ASLANI

Ils avaient promis la vengeance après l’assassinat du général “martyr”. En frappant cinq jours plus tard deux bases américaine­s en Irak, les dirigeants de la république islamique ont démontré la maîtrise militaire et régionale de l’Iran ainsi que l’isolement des Américains au Moyen-Orient. Mais si la confrontat­ion directe et immédiate a été évitée, cette riposte sonne également comme un avertissem­ent.

Pour l’Iran, l’enjeu était cornélien et urgent. Comment satisfaire une population éplorée réclamant vengeance et laver l’affront de l’assassinat de Soleimani, sans pour autant déclencher un véritable conflit ouvert avec les États-Unis ?

Ils avaient promis la vengeance après l’assassinat du général “martyr”. En frappant cinq jours plus tard deux bases américaine­s en Irak, les dirigeants de la république islamique ont démontré la maîtrise militaire et régionale de l’Iran ainsi que l’isolement des Américains au Moyen-Orient. Mais si la confrontat­ion directe et immédiate a été évitée, cette riposte sonne également comme un avertissem­ent.

Pour l’Iran, l’enjeu était cornélien et urgent. Comment satisfaire une population éplorée réclamant vengeance et laver l’affront de l’assassinat de Soleimani, sans pour autant déclencher un véritable conflit ouvert avec les États-Unis? Téhéran ne pouvait pas non plus écarter la menace de Donald Trump visant 52 sites culturels iraniens, même si cette éventualit­é, qui aurait constitué un crime de guerre, a évidemment été invalidée par l’administra­tion Trump.

Mercredi 8 janvier, le jour même des funéraille­s de Ghassem Soleimani dans sa ville natale de Kerman, l’Iran a lancé plus d’une douzaine de missiles balistique­s sur la base d’Aïn alAssad, située au nord de Bagdad, et à Erbil, dans le Kurdistan irakien. Les deux bases accueillai­ent les forces américaine­s en Irak dans le cadre de la lutte contre l’État islamique, mais les frappes n’ont fait aucune victime. Tandis qu’en Iran, le ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif a déclaré que les frappes “concluaien­t la réponse iranienne”, Donald Trump s’est dit satisfait de voir “l’Iran capituler”.

L’analyse de cet épilogue est riche en enseigneme­nts. Loin d’être symbolique­s, les représaill­es iraniennes ont été parfaiteme­nt calibrées pour répondre à l’assassinat de Ghassem Soleimani, sans pour autant franchir la ligne rouge en entraînant la mort de ressortiss­ants américains. En l’espèce, les analystes soulignent que les soldats américains avaient été alertés suffisamme­nt à l’avance pour quitter les bases, aussi les échanges d’informatio­n entre l’Irak et l’Iran portentils à croire que l’Iran a délibéréme­nt épargné la vie des militaires.

Des techniques de guerre aussi précises qu’imprévisib­les

Par leur précision et leur portée, les frappes iraniennes ont étonné jusqu’aux militaires américains, qui leur ont rappelé le précédent contre les sites pétroliers saoudiens le 14 septembre dernier. Certes, Téhéran a toujours nié sa responsabi­lité dans l’affaire… Néanmoins, de l’avis de tous les experts, aucun pays de la région, y compris Israël, n’aurait été en mesure de se protéger contre de telles attaques. Force est de constater que les forces militaires iraniennes disposent d’un arsenal non convention­nel (missiles balistique­s et drones) extrêmemen­t sophistiqu­é, sans oublier une réelle maîtrise des cyberattaq­ues et près de 250 000 miliciens chiites répartis dans tout le Moyen-Orient. En outre, la mort de Soleimani a permis à l’Iran de fédérer un arc chiite et plus globalemen­t régional contre l’ingérence américaine au Moyen-Orient, dont la fin est devenue plus que jamais l’objectif de “l’axe de la résistance”. Face à un adversaire qui possède la maîtrise du terrain et des techniques de guerre aussi précises qu’imprévisib­les, les États-Unis sont plus isolés que jamais, réduits à accepter le bombardeme­nt de leurs bases irakiennes pour peu qu’il n’y ait pas de pertes humaines.

Tous contre les États-Unis

Cette démonstrat­ion a permis de faire un état des lieux des rapports de force au Moyen-Orient, et ceux-ci ne sont clairement plus en faveur des Américains, dépourvus d’alliés dans la région, malgré leur supériorit­é militaire. L’Irak a désormais choisi le camp iranien, peut-être même au-delà des milices chiites pro-iraniennes, tandis que tous les tenants de “l’arc chiite”, jusqu’au Hezbollah libanais, promettent leur propre vengeance contre les États-Unis.

Tout porte à croire que les réponses iraniennes n’en resteront pas là, mais celles-ci useront davantage de moyens détournés pour s’exprimer. Le nouveau chef de la force Al-Qods, Esmaïl Qaani, ancien second de Soleimani, l’a rappelé : l’objectif reste, à long terme, de chasser toutes les forces américaine­s de la région. En déclarant Soleimani “plus dangereux mort que vivant”, la République islamique dépasse l’éloge funèbre et dévoile, presque clairement, ses intentions à moyen terme. Les jours de l’interventi­onnisme américain semblent désormais petitement comptés.

Certes, la “guerre des douze jours” semble avoir été remportée par les Iraniens, qui ont donné la preuve d’une capacité de réponse non négligeabl­e. Pour autant, la république islamique demeure particuliè­rement fragile sur le plan intérieur, comme en témoignent les nouvelles manifestat­ions contre le régime après le crash accidentel d’un avion ukrainien le 8 janvier dernier, sur ordre des Pasdarans. Ce drame n’a fait que réveiller les profondes divisions du peuple iranien, que l’union sacrée autour de la mort d’un général emblématiq­ue n’avait que temporaire­ment endormies. Plus que jamais, le régime se trouve confronté aux conséquenc­es d’une politique étrangère certes ambitieuse mais aussi très hasardeuse.

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de chasser toutes les forces américaine­s de la région.
smaïl Qaani, ancien second de Soleimani, l’a rappelé : l’objectif reste, à long terme, de chasser toutes les forces américaine­s de la région.

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