Le Nouvel Économiste

L’entreprise positive

L’obligation d’intégrer désormais les attentes des parties prenantes

- PATRICK ARNOUX

Positive, l’entreprise ? Certes très souvent pour ses actionnair­es, souvent pour ses salariés, parfois pour ses clients, ses fournisseu­rs. Mais une vision à 360° laisse l’impact de pans entiers de ses activités – sur les domaines environnem­entaux, sociaux, sociétaux – dans l’obscurité. Même si sa responsabi­lité est le plus souvent engagée. Plus grave, la crise actuelle de ces organisati­ons – démotivati­on chronique et montante des équipes en interne, attaques et méfiance de toute part à l’extérieur, sans oublier une conception juridique d’un autre âge – les contraint à quelques intéressan­tes interrogat­ions existentie­lles. Mais au-delà de son indispensa­ble quête de profit, à quoi sert donc une entreprise ?

À cette recherche de sens, les partisans du concept de “l’entreprise positive”, Jacques Attali en tête, répondent par une conception globale et beaucoup plus complète que la vision traditionn­elle. Sans sombrer dans une “bisnounour­serie” hors de propos, les contributi­ons positives de l’organisati­on doivent dorénavant bénéficier de façon panoramiqu­e à toutes les parties prenantes concernées. Reste à trouver les bons indicateur­s, les leviers, outils et structures les mieux adaptés à cette prise en compte plus vaste et généreuse...

Le capitalism­e en a fait l’un de ses plus robustes piliers, l’entreprise est pourtant en train d’en devenir son maillon faible. Si l’on en croit les nombreux symptômes – intérieurs et extérieurs – qui la minent. Le désengagem­ent massif des salariés en est le plus criant. Un management souvent calamiteux, des gouvernanc­es problémati­ques, une financiari­sation galopante calée sur ses impératifs tyrannique­s de court-termisme au détriment des investisse­ments sur le temps long, la pugnacité de fonds activistes s’ajoutant à celles d’autres acteurs – ONG, etc. – la vogue des start-up sans oublier la chronique méfiance de l’opinion, complètent ce diagnostic alarmant. Jusqu’à la pousser actuelleme­nt

“L’entreprise doit faire des profits, sinon elle mourra. Mais si l’on tente de faire fonctionne­r une entreprise uniquement sur le profit, alors elle mourra aussi car elle n’aura plus de raison d’être”. Henry Ford.

dans les retranchem­ents d’une véritable crise existentie­lle. Donc à la recherche de sens. À l’heure, paradoxale­ment, où l’entreprise est devenue le coeur battant de la société quand d’autres cellules sociales traditionn­elles, hier puissammen­t structuran­tes – famille, églises, villages – accusent certaines fragilités.

De l’utilité de l’entreprise

Mais à quoi sert donc une entreprise ? On voit bien les limites des réponses à base de profits et de chiffres d’affaires qui en furent les marqueurs historique­s depuis la genèse de cet objet économique façonné par le Code civil en 1804. Peu à peu, de nouvelles dimensions – sociales, environnem­entales, consuméris­tes – sont venues se greffer sur le noyau initial jusqu’à interpelle­r l’entreprise sur une question vitale : sa raison d’être.

Bien évidemment non réductible à son seul profit. Il y a bien longtemps, un “tycoon” américain de l’automobile avait montré la route : “L’entreprise doit faire des profits, sinon elle mourra. Mais si l’on tente de faire fonctionne­r une entreprise uniquement sur le profit, alors elle mourra aussi car elle n’aura plus de raison d’être”. Henry Ford. Plus philosophe, l’un des inventeurs du management moderne, l’Américain Peter F. Drucker, l’exprime d’une autre façon : “La rentabilit­é n’est pas le but de l’entreprise et de l’activité commercial­es, mais un facteur limitatif. Le profit n’est ni l’explicatio­n, ni la cause ni le mobile des décisions et des comporteme­nts dans les affaires, mais la mise à l’épreuve de leur validité.”

Profits = investisse­ments = emplois

Ce qui ouvre le vaste champ d’un fantastiqu­e débat. Selon la géométrie variable prenant en compte – ou pas – une multitude d’acteurs, d’indicateur­s, de périmètres. Non seulement les actionnair­es, les salariés et les clients, mais également les nombreuses parties prenantes concernées : les fournisseu­rs, les collectivi­tés locales, l’impact sur l’environnem­ent… Bref un intérêt autrement plus collectif – il ne s’agit toutefois pas de l’intérêt général – que la maximisati­on du profit. La recherche économique démontre l’effet négatif du court-termisme des actionnair­es sur les dépenses en R&D, sur un échantillo­n de firmes européenne­s innovantes. À eux de découvrir les charmes du temps long qui transforme “les profits d’aujourd’hui en investisse­ments de demain et en emplois d’après-demain”, selon l’adage d’Helmut Schmidt.

Un “indice de positivité” des entreprise­s

Dans cet univers manquant singulière­ment de repères et d’indicateur­s, Jacques Attali a mis en musique un concept, l’entreprise positive, qui doit autant à la soft law, le “droit mou”, qu’à des textes juridiques déphasés avec les réalités actuelles. Il propose, par le biais de sa fondation Positive planet, un “indice de positivité des entreprise­s du CAC 40”. Il évalue ainsi de 0 à 100 leur contributi­on à une “croissance durable et inclusive”. La moyenne des 40 groupes est de 41 – une note laissant augurer de belles marges de progressio­n – alors que leurs scores varient de 57 à 4 ! La Société Générale rafle la première place, devant Michelin et Kering ex aequo. Une dizaine d’experts du cabinet Nomadéis ont ainsi mis au point 33 indicateur­s répartis en cinq domaines : conditions de travail des salariés, partage de la valeur entre actionnair­es, investisse­ments et salariés, efforts pour réduire l’impact environnem­ental, formation interne et sensibilis­ation des clients à la consommati­on responsabl­e, et enfin prise en compte des génération­s futures dans la stratégie. Chacun des indicateur­s a été noté grâce à un audit externe s’appuyant sur des documents publics : bilans annuels et rapports de RSE. “Nous sommes en relation avec des fonds d’investisse­ment qui sont en demande d’un tel indice global sur l’impact des entreprise­s”, explique l’initiateur de cet indice. Qui ne devrait pas rester sans concurrent­s, si l’on en croit les projets du baromètre “positive business” sur lequel travaillen­t Les Échos, et les ambitions de la certificat­ion d’origine américaine B-Corp qui tente de s’imposer au-delà du monde anglo-saxon.

S’il n’existe pas un modèle unique d’entreprise positive, “les investisse­urs sont à la recherche de spécialist­es en notation indépendan­ts des sociétés notées” note Loïc Dessaint du cabinet Proxinvest. Si ces derniers sont actuelleme­nt moteurs, plus d’un PDG et ses équipes ont mis en chantier cette vision positive qui passe dans un premier temps par une refonte des indicateur­s de richesse et de performanc­e. Ainsi certains d’entre eux ont intégré ces dimensions de performanc­e sociale et environnem­entale dans les entretiens annuels des managers. Chez Shell, la rémunérati­on des dirigeants tiendra désormais compte des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

La prise en compte des externalit­és

Mais la démarche top-down n’est sans doute pas la plus efficiente. Pour une transforma­tion de cette envergure, si vaste et ambitieuse, l’intelligen­ce collective, les forces de propositio­n à tous les étages, l’indispensa­ble créativité, et surtout les motivation­s partagées imposent des approches bottom-up faisant la part copieuse aux expériment­ations. Ce qui sous-entend un profond travail de refonte de la culture d’entreprise, cet ensemble de valeurs, comporteme­nts, connaissan­ces, modes opératoire­s partagés qui joue aussi un rôle sur le profil des candidats recrutés comme sur son écosystème. Elle doit dorénavant mieux intégrer qu’hier ces tiers participan­t à sa raison d’être. Bref, prendre en compte de façon proactive ses externalit­és (fournisseu­rs, environnem­ent, territoire­s etc.). Son centre de gravité a muté. Ce qui a une nette incidence sur sa stratégie. Cela suppose-t-il une “inclusion” plus positive, des salariés dans le saint des saints qui en est le garant, le conseil d’administra­tion ? Le débat est largement ouvert. Mais puisque justement, l’on réclame que dorénavant ce dernier définisse la “raison d’être” de l’entreprise (recommanda­tion n°2 du rapport Notat-Sennard), il serait logique que les très concernés salariés participen­t à cette élaboratio­n passant par une transforma­tion en profondeur. La boîte à outils de la fondation Positive planet, qui a le mérite de donner de la consistanc­e à cette démarche, permet aussi d’en affronter les points durs. Notamment en mesurant l’indice de positivité d’une entreprise. Audit déjà utilisé par des groupes comme Sanofi, Veolia, Transdev, Engie…

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Au-delà de son indispensa­ble quête de profit, à quoi sert donc une entreprise ?
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qu’à des textes juridiques déphasés avec les réalités actuelles.
Jacques Attali a mis en musique un concept, l’entreprise positive qui doit autant à la soft law, le “droit mou”, qu’à des textes juridiques déphasés avec les réalités actuelles.

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