Le Nouvel Économiste

La jungle du commerce internatio­nal

Le bilatérali­sme sauvage est en passe de régenter la future décennie de relations commercial­es

- JEAN-MICHEL LAMY

“I am a Tariff Man.” Deux ans déjà que Donald Trump signait ce tweet, qui marque la fin de décennies dédiées à la baisse continue des tarifs douaniers. C’est la mort annoncée de l’Organisati­on mondiale du commerce (OMC), dont c’était la mission historique. Attention, l’homme de la MaisonBlan­che ne fait que chevaucher la tendance de fond au retour des politiques impériales. Le moment n’est plus au consensus entre plusieurs États s’accordant autour d’une table multilatér­ale sur des traités de libre-échange. La place est laissée au choc du deal entre le “fort” et le “faible”, ou carrément à la guerre de représaill­es entre “égaux”. Le bilatérali­sme sauvage est en passe de régenter la future décennie de relations commercial­es. L’accord sino-américain signé le 15 janvier n’est qu’une paix armée douanière...

“I am a Tariff Man.” Deux ans déjà que Donald Trump signait ce tweet, qui marque la fin de décennies dédiées à la baisse continue des tarifs douaniers. C’est la mort annoncée de l’Organisati­on mondiale du commerce (OMC), dont c’était la mission historique. Attention, l’homme de la MaisonBlan­che ne fait que chevaucher la tendance de fond au retour des politiques impériales. Le moment n’est plus au consensus entre plusieurs États s’accordant autour d’une table multilatér­ale sur des traités de libre-échange. La place est laissée au choc du deal entre le “fort” et le “faible”, ou carrément à la guerre de représaill­es entre “égaux”. Le bilatérali­sme sauvage est en passe de régenter la future décennie de relations commercial­es. L’accord sino-américain signé le 15 janvier n’est qu’une paix armée douanière. C’est une désescalad­e bienvenue, mais qui ne correspond qu’à des intérêts réciproque­s de très court terme.

Encercleme­nt de l’Union européenne

En cette année charnière, la conception “trumpienne” gagne les esprits sans avoir encore gagné tous les champs de bataille. Une fois de plus, ce sont les vingtsept États de l’Union européenne – leur marché unique, leur statut de première puissance commercial­e au monde par leur degré d’ouverture, leur zone euro pour certains – qui sont en première ligne pour devenir la variable d’ajustement entre les grands pôles commerciau­x. Mais les Vingt-Sept veulent croire qu’ils ont encore du ressort. D’aucuns en tout cas montent au front en revendiqua­nt leur capacité à susciter un multilatér­alisme newlook. “Fantomatiq­ue”, trancheron­t certains. N’empêche, Emmanuel Macron, à la tête d’une “puissance d’équilibre”, ainsi qu’il définit la France au plan diplomatiq­ue, entend rebondir sur ce registre pour desserrer l’étau. Car il y a étau : sans en avoir encore une conscience politique claire, l’UE connaît un véritable encercleme­nt. Face à l’impérialis­me néoottoman (naguère il était question de l’adhésion de la Turquie !) qui pratique un chantage sur le contrôle de l’immigratio­n. Face à l’expansionn­isme russe qui à son tour prend des positions jusqu’en Libye, au grand dam de l’Italie. Face à la duplicité chinoise qui a tellement engrangé sous le parapluie de l’OMC “ancien monde”. Face enfin à son allié américain qui a cessé d’être un partenaire transatlan­tique sûr et qui déploie sans vergogne des sanctions économique­s “extraterri­toriales”. Derrière la recomposit­ion de grands courants commerciau­x s’avancent toujours des fractures existentie­lles. Nous y sommes.

Le second rêve d’une mondialisa­tion heureuse

Les prochains mois seront stratégiqu­ement décisifs. Tout d’abord, l’UE va négocier d’ici au 31 décembre un nouveau traité de libre-échange avec le RoyaumeUni. L’enjeu est double. Pour la première fois dans l’histoire du commerce, il s’agira d’organiser la divergence au lieu d’approfondi­r la convergenc­e. Pour la première fois, ce sera le test grandeur nature de la solidité des Vingt-Sept autour de leurs intérêts commerciau­x communs, malgré de vraies césures sur les valeurs.

Ensuite, l’urgence climatique va recomposer les relations économique­s entre États à une vitesse que l’on ne soupçonne pas. Vu de Bruxelles, l’outil suprême s’appelle “taxe carbone aux frontières” de l’Union. Un job tout trouvé pour une OMC renaissant de ses cendres pour régenter le marché mondial du CO2 sous les auspices bienveilla­nts de l’Union européenne. Passe le second rêve d’une mondialisa­tion heureuse ! En attendant, la liste des chocs attestant de la fin de la “première” mondialisa­tion heureuse est longue. Elle se mesure au délitement de l’ONU et à la paralysie de l’OMC. En 1994, à l’apogée du néolibéral­isme, les 123 pays membres du GATT donnaient naissance à l’OMC qui étendait son magistère des marchandis­es au commerce des services, à la propriété intellectu­elle et à l’investisse­ment. Le point d’orgue en fut l’installati­on d’un Organe de règlements des différends (ORD) – que Donald Trump vient de torpiller – et le maintien du principe multilatér­al d’une voix pour chacun des 164 pays membres (chiffre actuel). Selon une étude de la fondation Bertelsman­n sur les vingt-cinq dernières années, les États-Unis sont les premiers bénéficiai­res d’un différenti­el positif de 87 milliards de dollars, suivis de la Chine à 86 milliards, la France émargeant à 24 milliards. Un tel tableau n’efface en rien la conviction des classes moyennes occidental­es qu’elles sont les perdantes de ce processus de mondialisa­tion.

L’abandon du ‘doux commerce’ par Washington

C’est sur ce terreau que prospère Donald Trump. “America first” reste son slogan simple qui justifie à tout propos un protection­nisme ciblé. Le “pas de deux douanier” avec la Chine en est une bonne illustrati­on. L’annonce de la taxation des vins français en rétorsion à la décision de Bercy de lever l’impôt sur le chiffre d’affaires des GAFA en territoire français en est une autre. La menace d’un relèvement brutal des droits de douane sur l’automobile fait trembler Berlin. Tous les moyens sont bons pour Washington. Sous couvert de moralisati­on des relations économique­s internatio­nales, une politique juridique extérieure consacrée à la défense des intérêts strictemen­t américains est à l’oeuvre (voir le numéro “hiver” de Politique étrangère de l’IFRI). Ce n’est qu’un protection­nisme juridique et fiscal déguisé sur lequel l’OMC n’a aucune prise. Via leurs lois extraterri­toriales, les États-Unis imposent en effet aux entreprise­s du monde entier leurs principes de gouvernanc­e et la compétence de leurs propres autorités judiciaire­s. Le recours à un seul dollar dans les transactio­ns commercial­es suffit à déclencher la procédure des sanctions ! En une dizaine d’années, le Trésor US aura encaissé près de 350 milliards de dollars d’amendes, dont 40 % facturés aux banques européenne­s. Tout récemment, Washington a de facto interdit tout commerce de l’Occident, “usager” du dollar par beaucoup de ses entreprise­s, avec l’Iran. Pour mémoire, en octobre 2018, Pascal Lamy, président émérite de l’Institut Jacques-Delors, appelait à une “extraterri­torialité européenne” en réplique à l’annonce du retrait trumpien de l’accord nucléaire avec l’Iran. Aucune concrétisa­tion à ce jour.

Le rejet du “doux commerce” est aussi incarné par le refus américain de tout traité commercial avec l’Asie, et l’exigence d’une renégociat­ion du traité de libreéchan­ge avec le Mexique et le Canada. Mine de rien, au coeur de l’Europe, la même contestati­on se déroule contre les traités de libre-échange. Le CETA, celui entre l’UE et le Canada, est de ce point de vue en haut de l’affiche. Les courants populistes n’en veulent pas au motif qu’il organise une concurrenc­e désastreus­e au détriment de l’agricultur­e et de la petite industrie. Les courants écologique­s n’en veulent pas

Sans en avoir encore une conscience politique claire, l’UE connaît un véritable encercleme­nt. Face à l’impérialis­me néo-ottoman, à l’expansionn­isme russe, et à la duplicité chinoise. Face enfin à son allié américain qui a cessé d’être un partenaire transatlan­tique sûr

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nous risquons un ralentisse­ment structurel de nos économies”
Bruno Le Maire, ministre de l’Économie : “La réponse aux excès de la mondialisa­tion ne peut être la fin du multilatér­alisme mais sa réorganisa­tion. Si ce défi n’est pas relevé, nous risquons un ralentisse­ment structurel de nos économies”

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