La jungle du commerce international
Le bilatéralisme sauvage est en passe de régenter la future décennie de relations commerciales
“I am a Tariff Man.” Deux ans déjà que Donald Trump signait ce tweet, qui marque la fin de décennies dédiées à la baisse continue des tarifs douaniers. C’est la mort annoncée de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont c’était la mission historique. Attention, l’homme de la MaisonBlanche ne fait que chevaucher la tendance de fond au retour des politiques impériales. Le moment n’est plus au consensus entre plusieurs États s’accordant autour d’une table multilatérale sur des traités de libre-échange. La place est laissée au choc du deal entre le “fort” et le “faible”, ou carrément à la guerre de représailles entre “égaux”. Le bilatéralisme sauvage est en passe de régenter la future décennie de relations commerciales. L’accord sino-américain signé le 15 janvier n’est qu’une paix armée douanière...
“I am a Tariff Man.” Deux ans déjà que Donald Trump signait ce tweet, qui marque la fin de décennies dédiées à la baisse continue des tarifs douaniers. C’est la mort annoncée de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont c’était la mission historique. Attention, l’homme de la MaisonBlanche ne fait que chevaucher la tendance de fond au retour des politiques impériales. Le moment n’est plus au consensus entre plusieurs États s’accordant autour d’une table multilatérale sur des traités de libre-échange. La place est laissée au choc du deal entre le “fort” et le “faible”, ou carrément à la guerre de représailles entre “égaux”. Le bilatéralisme sauvage est en passe de régenter la future décennie de relations commerciales. L’accord sino-américain signé le 15 janvier n’est qu’une paix armée douanière. C’est une désescalade bienvenue, mais qui ne correspond qu’à des intérêts réciproques de très court terme.
Encerclement de l’Union européenne
En cette année charnière, la conception “trumpienne” gagne les esprits sans avoir encore gagné tous les champs de bataille. Une fois de plus, ce sont les vingtsept États de l’Union européenne – leur marché unique, leur statut de première puissance commerciale au monde par leur degré d’ouverture, leur zone euro pour certains – qui sont en première ligne pour devenir la variable d’ajustement entre les grands pôles commerciaux. Mais les Vingt-Sept veulent croire qu’ils ont encore du ressort. D’aucuns en tout cas montent au front en revendiquant leur capacité à susciter un multilatéralisme newlook. “Fantomatique”, trancheront certains. N’empêche, Emmanuel Macron, à la tête d’une “puissance d’équilibre”, ainsi qu’il définit la France au plan diplomatique, entend rebondir sur ce registre pour desserrer l’étau. Car il y a étau : sans en avoir encore une conscience politique claire, l’UE connaît un véritable encerclement. Face à l’impérialisme néoottoman (naguère il était question de l’adhésion de la Turquie !) qui pratique un chantage sur le contrôle de l’immigration. Face à l’expansionnisme russe qui à son tour prend des positions jusqu’en Libye, au grand dam de l’Italie. Face à la duplicité chinoise qui a tellement engrangé sous le parapluie de l’OMC “ancien monde”. Face enfin à son allié américain qui a cessé d’être un partenaire transatlantique sûr et qui déploie sans vergogne des sanctions économiques “extraterritoriales”. Derrière la recomposition de grands courants commerciaux s’avancent toujours des fractures existentielles. Nous y sommes.
Le second rêve d’une mondialisation heureuse
Les prochains mois seront stratégiquement décisifs. Tout d’abord, l’UE va négocier d’ici au 31 décembre un nouveau traité de libre-échange avec le RoyaumeUni. L’enjeu est double. Pour la première fois dans l’histoire du commerce, il s’agira d’organiser la divergence au lieu d’approfondir la convergence. Pour la première fois, ce sera le test grandeur nature de la solidité des Vingt-Sept autour de leurs intérêts commerciaux communs, malgré de vraies césures sur les valeurs.
Ensuite, l’urgence climatique va recomposer les relations économiques entre États à une vitesse que l’on ne soupçonne pas. Vu de Bruxelles, l’outil suprême s’appelle “taxe carbone aux frontières” de l’Union. Un job tout trouvé pour une OMC renaissant de ses cendres pour régenter le marché mondial du CO2 sous les auspices bienveillants de l’Union européenne. Passe le second rêve d’une mondialisation heureuse ! En attendant, la liste des chocs attestant de la fin de la “première” mondialisation heureuse est longue. Elle se mesure au délitement de l’ONU et à la paralysie de l’OMC. En 1994, à l’apogée du néolibéralisme, les 123 pays membres du GATT donnaient naissance à l’OMC qui étendait son magistère des marchandises au commerce des services, à la propriété intellectuelle et à l’investissement. Le point d’orgue en fut l’installation d’un Organe de règlements des différends (ORD) – que Donald Trump vient de torpiller – et le maintien du principe multilatéral d’une voix pour chacun des 164 pays membres (chiffre actuel). Selon une étude de la fondation Bertelsmann sur les vingt-cinq dernières années, les États-Unis sont les premiers bénéficiaires d’un différentiel positif de 87 milliards de dollars, suivis de la Chine à 86 milliards, la France émargeant à 24 milliards. Un tel tableau n’efface en rien la conviction des classes moyennes occidentales qu’elles sont les perdantes de ce processus de mondialisation.
L’abandon du ‘doux commerce’ par Washington
C’est sur ce terreau que prospère Donald Trump. “America first” reste son slogan simple qui justifie à tout propos un protectionnisme ciblé. Le “pas de deux douanier” avec la Chine en est une bonne illustration. L’annonce de la taxation des vins français en rétorsion à la décision de Bercy de lever l’impôt sur le chiffre d’affaires des GAFA en territoire français en est une autre. La menace d’un relèvement brutal des droits de douane sur l’automobile fait trembler Berlin. Tous les moyens sont bons pour Washington. Sous couvert de moralisation des relations économiques internationales, une politique juridique extérieure consacrée à la défense des intérêts strictement américains est à l’oeuvre (voir le numéro “hiver” de Politique étrangère de l’IFRI). Ce n’est qu’un protectionnisme juridique et fiscal déguisé sur lequel l’OMC n’a aucune prise. Via leurs lois extraterritoriales, les États-Unis imposent en effet aux entreprises du monde entier leurs principes de gouvernance et la compétence de leurs propres autorités judiciaires. Le recours à un seul dollar dans les transactions commerciales suffit à déclencher la procédure des sanctions ! En une dizaine d’années, le Trésor US aura encaissé près de 350 milliards de dollars d’amendes, dont 40 % facturés aux banques européennes. Tout récemment, Washington a de facto interdit tout commerce de l’Occident, “usager” du dollar par beaucoup de ses entreprises, avec l’Iran. Pour mémoire, en octobre 2018, Pascal Lamy, président émérite de l’Institut Jacques-Delors, appelait à une “extraterritorialité européenne” en réplique à l’annonce du retrait trumpien de l’accord nucléaire avec l’Iran. Aucune concrétisation à ce jour.
Le rejet du “doux commerce” est aussi incarné par le refus américain de tout traité commercial avec l’Asie, et l’exigence d’une renégociation du traité de libreéchange avec le Mexique et le Canada. Mine de rien, au coeur de l’Europe, la même contestation se déroule contre les traités de libre-échange. Le CETA, celui entre l’UE et le Canada, est de ce point de vue en haut de l’affiche. Les courants populistes n’en veulent pas au motif qu’il organise une concurrence désastreuse au détriment de l’agriculture et de la petite industrie. Les courants écologiques n’en veulent pas
Sans en avoir encore une conscience politique claire, l’UE connaît un véritable encerclement. Face à l’impérialisme néo-ottoman, à l’expansionnisme russe, et à la duplicité chinoise. Face enfin à son allié américain qui a cessé d’être un partenaire transatlantique sûr