Le Nouvel Économiste

Nouveau financeur de l’intérêt général ?

Mais l’articulati­on entre les structures et avec les politiques publiques ne va pas de soi

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Ces fonds privés sont une aubaine pour les associatio­ns qui peuvent ainsi agir sur des sujets où les pouvoirs publics semblent dépassés

Depuis plus de dix ans, le mécénat connaît un succès croissant en France, avec pour conséquenc­e la multiplica­tion des fondations ou associatio­ns financées par des acteurs issus du privé. Pour les entreprise­s, ces actions permettent de véhiculer une bonne image, en externe auprès du grand public, mais aussi en interne auprès des salariés. Cette proliférat­ion de financeurs, parfois sur le même secteur, permet de prendre le relais des pouvoirs

public sur des problémati­ques extrêmemen­t larges. Les collectivi­tés commencent à créer leurs propres outils pour attirer ces mannes financière­s afin de les coordonner avec l’intérêt général.

Le terme de mécénat d’entreprise est souvent associé à des opérations qui se remarquent. Les centaines de millions d’euros offerts par des entreprise­s pour reconstrui­re Notre-Dame de Paris en est l’exemple poussé à son paroxysme. Autre illustrati­on, la Fondation Louis-Vuitton, érigée en 2006 dans le bois de Boulogne, a aussi eu le droit à une large couverture médiatique. Pourtant, le mécénat adopte de plus en plus la morale de la fable de Jean-Pierre Claris de Florian : “Pour vivre heureux, vivons caché”. Une position tout à fait logique, selon François Debiesse, président d’Admical, une associatio­n qui promeut et développe le mécénat d’entreprise. “On a souvent reproché à des sociétés de ne réaliser que des opérations de communicat­ion pour se racheter une image, nous avons le cas ces dernières années avec des accusation­s de greenwashi­ng. Désormais les mécènes s’affichent beaucoup moins”, explique-t-il.

Un avis que partage Martine Tremblay, directrice de la Fondation de la Banque populaire, dont la mission est principale­ment d’accompagne­r des jeunes artistes dans le milieu de la musique. “C’est vrai que nous communiquo­ns très peu et principale­ment à travers nos lauréats. Mais cela reste important de le faire, car il s’agit de l’image de l’entreprise”, avance-t-elle.

Si la communicat­ion baisse, le mécénat, lui, ne cesse de se développer. “Entre 2010 et 2016, le nombre d’entreprise­s ayant déclaré des dons au titre du mécénat a été multiplié par 2,5, passant de 28 000 à 73 500”, indique Admical dans son dernier baromètre publié en octobre 2018. Les montants alloués ont eu aussi grimpé en flèche, passant de 945 millions d’euros à 1,7 milliard sur la même période. Dans son étude, l’associatio­n précise que “la tendance se poursuit et s’accentue en 2017 puisque les premières données de la DGFIP [direction générale des Finances publiques] montrent que les dons déclarés devraient atteindre 2 milliards d’euros pour 82 000 entreprise­s”. Une envolée bien aidée par la loi Aillagon de 2003 qui permet une réduction d’impôt sur les dons. Un allant qui a eu un impact sur les structures juridiques permettant d’utiliser ces dons. “En 2017, on dénombre près de 2 500 fondations et plus de 1 650 fonds de dotation en activité en France. Plus d’un tiers des fondations ont été créées depuis 2010, tandis que les fonds de dotation, bien plus récents, ont tous vu le jour à partir de 2009”, note la Fondation de France dans un rapport publié en septembre dernier.

Une évolution constatée sur le terrain. “On le voit, il existe une sorte de concurrenc­e avec de plus en plus de structures”, confirme Pascale Humbert, responsabl­e mécénat de la fondation Visio, consacrée à l’aide aux personnes déficiente­s visuelles. Même son de cloche chez l’associatio­n France Alzheimer. Son directeur général, Benoît Durand, explique que “certaines fondations communique­nt beaucoup sur cette maladie alors qu’elles n’agissent pas seulement sur cette cause”. Chacun essaie donc de se distinguer, la fondation Visio ayant fait le choix de montrer concrèteme­nt comment sont utilisés les fonds recueillis, avec l’achat de cannes électroniq­ue pour compenser l’absence d’un chien par exemple.

Des besoins immenses

“Les actions de mécénat donnent de la visibilité interne et externe, cela valorise la démarche d’action sociale, estime François Debiesse. Depuis 15 ans, les entreprise­s ont une réflexion sur la manière d’exercer leur métier, sur la société et comment y participer.” En plus de l’action sociale du mécénat, le don représente également une véritable plus-value interne. “C’est très important, nous aimons recevoir nos lauréats, cela donne un sentiment de fierté à nos collaborat­eurs”, assure Martine Tremblay. Le mécénat de compétence­s permet ainsi de sensibilis­er et d’impliquer les salariés d’une entreprise. Un vrai atout qui explique aussi le développem­ent des différente­s fondations et associatio­ns. Pour Pascale Humbert, “la multiplica­tion des structures est importante car il y a beaucoup de besoins, mais c’est parfois dommage que ce ne soit pas davantage mutualisé”. La fondation Visio essaye de son côté de travailler en partenaria­t, c’est notamment le cas avec l’Unicef pour une opération d’audiodescr­iption de livres pour enfants en bas âge.

Si l’on a tendance à dire que l’union fait la force, dans le cas des fondations et associatio­ns, François Debiesse ne partage pas cette vision. “Je ne pense pas que pas le nombre global ait un impact négatif, chacune choisit son domaine d’action”, juge-t-il. David Sussmann, PDG de l’entreprise de pêche Seafoodia, a par exemple lancé sa fondation Pure Ocean pour lutter contre “le changement climatique et l’impact négatif des hommes sur les océans et la biodiversi­té”. Un domaine très large sur lequel beaucoup d’acteurs existent déjà. Pourquoi ne pas simplement en soutenir un ? “Je me suis rendu compte qu’un axe manquait un peu, celui de la recherche et de l’innovation. Peu d’ONG se positionne­nt sur le financemen­t de programmes de recherche dans des laboratoir­es”, répond-il. Six premiers projets sont ainsi soutenus par Pure Ocean.

“Les besoins sont immenses”, souligne Eléa Canipelle, déléguée générale de l’Agence du don en nature. Cette associatio­n récupère des produits non alimentair­es neufs pour les redistribu­er

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importante car il y a beaucoup de besoins, mais c’est parfois dommage que ce ne soit pas davantage mutualisé.” Pascale Humbert, fondation Visio.
“La multiplica­tion des structures est importante car il y a beaucoup de besoins, mais c’est parfois dommage que ce ne soit pas davantage mutualisé.” Pascale Humbert, fondation Visio.
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cela ne serait pas sain.” Eléa Canipelle, Agence du don en nature.
“Les associatio­ns et fondations ne sont pas concurrent­es entre elles. Je ne me vois pas être unique, cela ne serait pas sain.” Eléa Canipelle, Agence du don en nature.

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