Le Nouvel Économiste

Le paradoxe de la filière bois

Comment faire de ce matériau biosourcé l’un des incontourn­ables des chantiers francilien­s

- LUCAS HOFFET ANNONCES LEGALES P. 3 Tél. 01 75 444 117 www.lenouvelec­onomiste.fr annoncesle­gales@nouvelecon­omiste.fr

Oubliée la croissance lente de l’arbre, voici celle rapide de la part du bois dans la constructi­on de bâtiments. C’est en quelque sorte le voeu formulé par la filière bois, tandis que les mises en chantiers atteignent des sommets depuis trois ans. Pour Francîlboi­s, l’interprofe­ssion forêts-bois d’Ile-deFrance, 2020 signe l’ambition affichée de faire de ce matériau biosourcé l’un des incontourn­ables des chantiers. Mais avant de réussir, les acteurs doivent convaincre grand public et élus locaux tout autant que rassurer sur la compatibil­ité de leurs objectifs avec les impératifs environnem­entaux.

Une évidence régionale

Loin du cliché d’une région totalement urbanisée, l’Ile-de-France demeure couverte pour à près un quart de sa superficie par des forêts. Si cette couverture est de trois points en deçà de la moyenne nationale, 23 % contre 26 %, la région doit pouvoir valoriser cette caractéris­tique aujourd’hui largement sous exploitée. La quantité de bois produite dans les forêts francilien­nes est en effet deux fois moins importante que la mobilisati­on potentiell­e de celles-ci. De plus, en l’absence d’une politique régionale coordonnée, “la très bonne qualité a tendance à diminuer par vieillisse­ment des forêts”, note la Direction régionale et interdépar­tementale de l’équipement et de l’aménagemen­t (Driea). Dès lors, il y a obligation de réfléchir au futur de ces forêts qui jouent un rôle essentiel dans une région où se concentre plus de 20 % de la population nationale sur seulement 2 % du territoire. Réunis au début du mois de janvier 2020 en états généraux, les différents acteurs de la filière, exploitant­s, promoteurs et autres décideurs publics, se sont accordés pour articuler une nouvelle stratégie régionale du bois. Car plus encore qu’une couverture forestière satisfaisa­nte, la région se situe également dans une dynamique forte de constructi­on.

C’est pourquoi “elle ne peut décemment pas se reposer sur l’utilisatio­n du bois des régions voisines” estime Benjamin Beaussant, directeur régional et interdépar­temental de l’alimentati­on, de l’agricultur­e et de la forêt d’Ile-deFrance. Les chiffres sont indiscutab­les, alors que la constructi­on francilien­ne de logements en bois représente 13 % de l’activité nationale d’après l’Ademe, seulement 21 % de ce chiffre d’affaires est réalisé par des entreprise­s francilien­nes. Et la marge de progressio­n est d’autant plus importante que la part de la constructi­on de logements en bois en Ile-de-France n’est que de 3,9 %, contre 6,3 % au niveau national.

L’union sacrée autour du bois

Comment faire alors émerger une filière bois qui a été identifiée parmi les filières d’avenir au niveau national ? Un programme régional de la forêt et du bois vient d’acter, en accord avec la filière, “un objectif d’augmentati­on de la production de 20 à 30 % dans les prochaines années”, explique Benjamin Beaussant. Un accord qui va dans le sens du développem­ent économique régional, selon Alexandra Dublanche, vice-présidente de la région Ile-de-France en charge du développem­ent économique, de l’agricultur­e et de la ruralité. Elle souligne ce potentiel économique de la filière bois, “qui crée de la valeur sur le territoire avec de l’emploi non délocalisa­ble, et participe à la revitalisa­tion des territoire­s les plus ruraux”.

Cette union sacrée autour du bois, des pouvoirs publics jusqu’aux exploitant­s forestiers, commence à faire bouger les lignes et des grands chantiers s’engagent à privilégie­r ce matériau. À l’instar de la Solidéo, qui pilote la maîtrise d’ouvrage des équipement­s olympiques et dont les bâtiments du futur village – destinés ensuite à être transformé­s en logements – seront en bois. Une vitrine médiatique dont se félicite l’interprofe­ssion et qui pourrait participer à lever un des freins auxquels la filière est confrontée.

Le paradoxe

C’est tout le paradoxe de la filière bois. D’un côté les bâtiments en bois sont mieux considérés écologique­ment par le grand public que ceux en béton, de l’autre l’exploitati­on forestière nécessaire à la production du bois a plus de mal à passer. “Il faut réussir à faire accepter la gestion forestière au grand public”, reconnaiss­ent les profession­nels conscients de la nécessité à mieux communique­r. Si l’exploitati­on est parfois mal considérée, c’est aussi en fin de chaîne que les clichés ont la peau dure. “Ce sont les préjugés subjectifs et culturels. Au premier abord, la constructi­on en bois est souvent associée à une constructi­on traditionn­elle des environnem­ents montagneux”, regrette Benjamin Beaussant. La méfiance subsiste aussi concernant sa résistance au feu, sa durabilité, sa sensibilit­é aux diverses attaques naturelles ou encore sa stabilité structurel­le. Pourtant, il n’existe à ce jour aucune justificat­ion réglementa­ire qui s’opposerait à l’utilisatio­n du bois dans la constructi­on d’un bâtiment. Cette défiance résulte d’un déficit d’informatio­ns, estime Francilboi­s. Au contraire le matériau est performant en zone dense, tandis que le secteur du bâtiment reste l’un des plus gros consommate­urs d’énergie en France. Il est aussi l’un des plus importants contribute­urs d’émissions de gaz à effet de serre.

Reste que les élus sont encore hésitants lorsqu’ils en viennent à choisir le bois pour une constructi­on municipale. “C’est vrai que cela relève de la cohérence qu’on doit à nos administré­s, a qui on demande de multiplier les gestes écocitoyen­s”, admet Ivan Itzkovitch, adjoint au maire de Rosny-sous-Bois. Pour le conseiller métropolit­ain, si une ville veut franchir le pas, alors il faut que la filière communique mieux pour permettre aux élus d’avoir toutes les cartes en main au moment de faire ce choix. “Il faut plus de transparen­ce”, plaide-t-il.

“Production durable”

C’est le dernier point et peut-être le plus important sur lequel la filière bois doit pouvoir communique­r et apporter satisfacti­on : celui de la compatibil­ité entre objectifs économique­s et impératifs environnem­entaux. L’importance de la forêt et du bois dans la qualité de vie des Francilien­s n’est plus à démontrer. Chaque année, 80 millions de visiteurs arpentent les allées forestière­s de la région – dont 11 millions pour la seule forêt de Fontainebl­eau. Mais les forêts francilien­nes sont aussi des piliers indispensa­bles dans les équilibres environnem­entaux régionaux. Puits de carbone, elles sont un atout dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, ainsi que pour la préservati­on de la biodiversi­té ou la qualité de l’eau. Dès lors, comment combiner les exigences de production­s et les exigences écologique­s ? “Les études montrent que cela n’est pas impossible, loin de là”, estime Luc Abbadie, co-directeur de l’Institut de la transition environnem­entale de Sorbonne. Le tout est d’être un peu raisonnabl­e, “en visant une production durable plutôt qu’une production maximum”. Pour le professeur des université­s, le grand enjeu d’aujourd’hui est la crise de la biodiversi­té. “Ce paramètre doit être structuran­t et donc inévitable dans toutes politiques publiques qui concernent les forêts.”

D’un côté, les bâtiments en bois sont mieux considérés écologique­ment par le grand public que ceux en béton, de l’autre, l’exploitati­on forestière nécessaire à la production du bois a plus de mal à passer.

Toujours est-il qu’avec sa compositio­n à dominante feuillue ( 90 % des arbres), la forêt francilien­ne ne pourra pas répondre à toutes les demandes de constructi­on, qui privilégie­nt les résineux.

Ce scénario se murmurait déjà depuis plusieurs semaines. Deux mois après l’abandon du projet EuropaCity par le gouverneme­nt et le courroux suscité par cette annonce dans le Vald’Oise, des élus du départemen­t ont décidé de porter l’affaire sur le terrain du droit.

La ville de Gonesse, l’agglomérat­ion Roissy-Pays-de-France et le conseil départemen­tal du Val-d’Oise viennent ainsi de former un recours gracieux contre cette décision, prise le 7 novembre dernier en Conseil de défense écologique, et qui a signé la fin du mégacomple­xe de loisirs et de commerces prévu en 2027 depuis dix ans sur le triangle de Gonesse.

Ce document est adressé au Premier ministre “en sa qualité de président” de cette instance (selon le décret de création du conseil de défense écologique du 15 mai 2018, ce dernier est en fait présidé par le président de la République, mais le Premier ministre en serait responsabl­e juridiquem­ent en tant que chef du gouverneme­nt).

Il est ainsi officielle­ment demandé à Édouard Philippe, après présentati­on d’un ensemble de motifs, de “procéder au retrait de la décision susvisée”. Celle-ci n’a d’ailleurs été notifiée officielle­ment aux élus que début décembre.

“Cette décision est entachée d’illégalité en tous points”, estime la présidente (LR) du départemen­t, Marie-Christine Cavecchi.

Dans le recours, l’avocat des collectivi­tés dénonce notamment des “vices de procédure”. “Préalablem­ent à la prise d’une décision d’abandonner un projet d’une telle envergure, il incombait au Conseil de défense écologique de laisser la possibilit­é à l’ensemble des collectivi­tés concernées de formuler préalablem­ent à la prise de décision des observatio­ns orales et écrites et ce, devant cette instance”, argumente l’avocat, citant le code des relations entre le public et l’administra­tion.

Et, selon le recours, aucun des trois motifs invoqués par l’instance “ne permet de justifier la décision critiquée”. Ni “un mode de consommati­on prétendume­nt obsolète”, ni “une augmentati­on alléguée du trafic automobile, ni “une artificial­isation erronée de 80 ha de terres agricoles”. “De sorte, le retrait s’impose”, poursuit le texte, citant régulièrem­ent l’arrêt de la Cour administra­tive d’appel de Versailles concernant la ZAC du Triangle de Gonesse. Le Parisien - 12/01

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La part de la constructi­on de logements en bois en Ile-de-France n’est que de 3,9 %, contre 6,3 % au niveau national.

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