Le Nouvel Économiste

LES BANQUES CENTRALES PASSENT AU VERT?

Elles doivent rester attentives au changement climatique. Mais pas au point de devenir activistes.

-

La plupart des gouverneme­nts sont critiqués parce qu’ils n’en font pas assez contre le changement climatique. Beaucoup plus rares sont ceux qui sont accusés d’en faire trop. Pourtant, les banques centrales, ces institutio­ns chargées de juguler l’inflation, de maîtriser les cycles économique­s et de faire la police dans le système financier, risquent de tomber dans cette dernière catégorie, peu peuplée.

Depuis la crise financière mondiale, leurs pouvoirs ont été beaucoup renforcés pour qu’elles puissent remplir leurs missions. On leur demande aujourd’hui de les utiliser pour sauver la planète.

Beaucoup sont prêts à le faire. Un réseau mondial de fonctionna­ires des banques centrales, mené par les Britanniqu­es, les Français et les Néerlandai­s, travaille à des méthodes et des normes pour incorporer les risques du changement climatique dans les stress tests auxquels doivent se soumettre les banques. Certains assureurs marchent déjà sur leurs traces. La Banque centrale de Chine fait du zèle en promouvant un nouveau marché d’obligation­s “vertes” (ou vaguement vertes). Christine Lagarde, nouvelle présidente de la Banque centrale européenne (BCE), a déclaré que le changement climatique serait une priorité “urgente et essentiell­e”. Elle veut étudier la possibilit­é pour la BCE d’ouvrir son programme d’achat d’obligation­s au marché de la dette des pollueurs – une politique appelée assoupliss­ement quantitati­f vert. Les régulateur­s européens se demandent également s’il faut faciliter les prêts accordés aux projets verts.

Certaines initiative­s des banques centrales ont été jusque-là bienvenues. Mais trop de vert signifie augmenter le risque de les politiser et de compromett­re leur mission première, qui réussit mieux quand elles se tiennent à distance des politiques. Leurs dirigeants devraient se limiter aux tâches pour lesquelles les banques centrales ont été conçues, et pour lesquelles elles ont un mandat démocratiq­ue.

À commencer par ce qui est nécessaire et juste. Le changement climatique ne représente pas actuelleme­nt un danger imminent pour le système financier. Mais des événements météorolog­iques extrêmes et une augmentati­on du niveau des mers peuvent à terme écraser les assurances sous de lourdes factures, ainsi que les banques, qui seraient lestées de prêts irrécupéra­bles (comme ceux adossés à des biens qui pourraient finir sous l’eau). Un risque plus imminent est un changement brutal de politiques. Si les gouverneme­nts décident d’imposer une taxe conséquent­e sur le carbone, les groupes pétroliers vont se retrouver en danger financière­ment, comme les entreprise­s dont la production est “sale”. Les banques qui en possèdent des parts subiraient un effet domino. Il est de la responsabi­lité des régulateur­s de définir une série cohérente de normes internatio­nales prenant en compte le risque climatique. C’est le point de départ.

Malheureus­ement, ce programme pourrait se révéler délicat, surtout en Europe. Elle vient juste de définir de nouvelles cibles climatique­s.

Il est facile de comprendre la tentation que représente­nt des politiques telles que l’assoupliss­ement monétaire vert. Augmenter le coût du capital pour les entreprise­s ‘sales’ peut avoir un effet similaire à celui d’une taxe sur le carbone, le Graal des politiques environnem­entales. Les entreprise­s qui peuvent facilement réduire leurs émissions le feront pour éviter d’être pénalisées. Il est intéressan­t de confier une politique par ailleurs politiquem­ent risquée à des technocrat­es.

Pourtant, l’assoupliss­ement monétaire vert et les programmes de ce genre sont malavisés, pour trois raisons. Premièreme­nt, les banques centrales n’ont pas de mandat démocratiq­ue pour freiner les émissions de carbone. Il est vrai que la politique climatique peut avoir un impact sur l’économie, mais elle peut aussi avoir des effets sur toutes sortes de paramètres, comme les allocation­s chômage, sur lesquelles les banques centrales n’oseraient jamais intervenir en temps normal. C’est également vrai pour d’autres risques de catastroph­es: une épidémie qui tuerait par exemple beaucoup de travailleu­rs aurait d’énormes implicatio­ns économique­s, mais personne ne dit pour autant que les banques centrales devraient financer la recherche médicale. Les politiques contre le réchauffem­ent climatique ont un effet de redistribu­tion des richesses. C’est pour cette raison que les propositio­ns de taxe carbone sont généraleme­nt assorties d’un genre de compensati­on pour les perdants. Ces décisions dépassent largement les compétence­s actuelles des banques centrales.

Deuxièmeme­nt, l’impact d’un assoupliss­ement monétaire vert serait irrégulier et inférieur à celui d’une taxe sur le carbone. Le bénéfice, en coût du capital, qu’il procurerai­t aux entreprise­s “vertes” varierait selon la quantité d’obligation­s que la banque centrale achèterait. Comme l’assoupliss­ement monétaire est un outil conçu pour stimuler l’économie, ce volume dépend du chômage et de l’inflation. Pourquoi l’incitation à être vert devrait-elle varier en fonction du cycle économique ?

Troisièmem­ent, même si elles obtenaient un mandat démocratiq­ue leur permettant d’agir, l’élargissem­ent des missions des banques centrales au-delà de leur mandat principal paraît peu judicieux. Le pouvoir monétaire est délégué à leurs technocrat­es précisémen­t parce qu’ils sont censés être neutres et peuvent facilement être tenus pour responsabl­es de cibles définies avec précision. Mais s’il devient normal pour les banques centrales d’orienter l’allocation des capitaux dans une direction vue comme souhaitabl­e, pourquoi s’arrêter au changement climatique ? La gauche sauterait sur l’occasion pour pénaliser les entreprise­s jugées prédatrice­s, ou dont les structures de rémunérati­on passent pour scandaleus­es. Les populistes pourraient demander que les banques centrales favorisent les entreprise­s qui investisse­nt dans leur propre pays et achètent localement. Plus les banques centrales seraient politisées, moins elles seraient perçues comme des autorités indépendan­tes en matière de politique économique.

Si les gouverneme­nts veulent sanctionne­r les pollueurs, ils peuvent le faire directemen­t par le biais de taxes ou de nouvelles agences environnem­entales. Il n’est pas nécessaire de brouiller les responsabi­lités des banques centrales. Et les banques centrales ellesmêmes devraient résister à la tentation permanente d’élargir leurs territoire­s.

Trop de vert signifie augmenter le risque de politiser les initiative­s des banques centrales et de compromett­re leur mission première, qui réussit mieux quand elles se tiennent à distance des politiques.

© 2020 The Economist Newspaper Limited. All rights reserved. Source The Economist, traduction Le nouvel Economiste, publié sous licence. L’article en version originale: www. economist.com.

 ??  ?? Depuis la crise financière mondiale, leurs pouvoirs ont été beaucoup renforcés pour qu’elles puissent remplir leurs missions. On leur demande aujourd’hui de les utiliser
pour sauver la planète. Beaucoup sont prêts à le faire.
Depuis la crise financière mondiale, leurs pouvoirs ont été beaucoup renforcés pour qu’elles puissent remplir leurs missions. On leur demande aujourd’hui de les utiliser pour sauver la planète. Beaucoup sont prêts à le faire.

Newspapers in French

Newspapers from France