Le Nouvel Économiste

L’homme de la semaine à Washington

C’est le chef de la Cour suprême, John Roberts, qui préside le procès de l’impeachmen­t présidenti­el au Sénat et qui jouera le rôle d’arbitre

- TRUMP POWER, ANNE TOULOUSE

Non ce n’est pas Donald Trump, même si c’est son procès en impeachmen­t qui commence cette semaine. Celui qu’il faut regarder, c’est John Roberts, chef juge à la Cour suprême, et ce sera d’autant plus facile qu’il sera perché à la tribune...

Non ce n’est pas Donald Trump, même si c’est son procès en impeachmen­t qui commence cette semaine. Celui qu’il faut regarder, c’est John Roberts, chef juge à la Cour suprême, et ce sera d’autant plus facile qu’il sera perché à la tribune. C’est l’unique circonstan­ce dans laquelle le chef de la Cour préside les débats de la Chambre haute, pour éviter

Tout repose sur le sens du mot “présider”. Sa position physiqueme­nt dominante implique-t-elle qu’il est dans le siège du pilote, ou bien qu’il est là au titre de gardien du décorum ?

un conflit d’intérêts, car celui qui occupe habituelle­ment cette position est le vice-président. La Constituti­on est comme d’habitude laconique sur le rôle qu’il doit jouer, puisqu’elle se contente de dire qu’en cas d’impeachmen­t présidenti­el, le procès au Sénat sera présidé par le chef de la Cour suprême. Tout repose sur le sens du mot “présider”. Sa position physiqueme­nt dominante implique-t-elle qu’il est dans le siège du pilote, ou bien qu’il est là au titre de gardien du décorum ? Habituelle­ment la Cour suprême, qui représente la branche judiciaire du pouvoir, a préséance sur les deux autres, exécutives et législativ­es. Sauf dans ce cas précis où les règles sont faites par les acteurs eux-mêmes, les sénateurs ne sont gouvernés que par leur serment d’impartiali­té et une simple majorité d’entre eux peut contreveni­r à une décision de celui qui préside les débats. La jurisprude­nce n’est pas d’un grand secours, puisqu’il n’y a eu que deux précédents. En 1868, le premier procès en impeachmen­t d’un président des ÉtatsUnis, celui d’Andrew Johnson, a été présidé par Salmon Chase, plus connu pour son rôle dans la finance: il avait été le trésorier des opérations militaires sous Lincoln, on lui doit l’inscriptio­n “In God we trust” sur les dollars et après sa mort, la banque Chase a été nommée en son honneur. Inaugurant le genre, il a essayé d’y imposer sa marque en soumettant au vote une motion qui lui conférait un pouvoir de décision – sans surprise les sénateurs l’ont rejetée à deux reprises. Cent trente ans plus tard, lors du procès de Bill Clinton, le chef de la Cour, le juge Rehnquist, s’est sans doute souvenu de cet épisode et s’est d’autant plus effacé que démocrates et républicai­ns étaient d’accord pour constater que dans la mesure où il n’y avait pas de majorité pour démettre le président, autant en finir rapidement.

La mission d’apaiser les tensions

Comme jeune avocat, le juge Roberts a été un élève du juge Rehnquist, qu’il a remplacé à sa mort en 2005 après une carrière météorique. En lui succédant à la tribune du Sénat, il n’a pas le luxe de faire de la figuration car il se trouve devant une assemblée qui est là pour en découdre. Il ne pourra se prévaloir que de son autorité morale, qui n’est pas mince dans un exercice retransmis en direct dans tout le pays. Un pays qui sait que les jeux sont pratiqueme­nt faits d’avance avec une majorité démocrate à la Chambre des représenta­nts, décidée à “impeacher”, et une majorité républicai­ne au Sénat décidée à acquitter. Le procès d’Andrew Johnson avait été qualifié de théâtral à une époque où le genre n’avait pas le soutien de la télévision en flux continu. Les pères fondateurs eux-mêmes n’avaient aucune illusion sur la neutralité de la procédure. Ainsi l’un d’entre eux, Alexander Hamilton, a écrit que la procédure d’impeachmen­t “agiterait les passions de toute la communauté et la diviserait entre des parties plus ou moins amicales ou inamicales à l’égard de l’accusé”. Cela donne donc une marge de manoeuvre à celui qui se situe en marge de la politique.

Si le chef de la Cour suprême est là pour apaiser les passions, il ne sera pas dépaysé car c’est son rôle habituel. Parmi les milliers de dossiers sur lesquels la Cour a tranché figurent les plus grands clivages de la société américaine, comme les droits civiques, l’avortement, la peine de mort ou le mariage homosexuel. Les juges, qui sont les gardiens de la Constituti­on, sont comme elles intemporel­s, ils ne peuvent être demis que par la mort ou l’envie de prendre leur retraite, ou bien par une procédure d’impeachmen­t, ce qui ne s’est jamais produit. John Roberts, choisi par George W. Bush, en est à son troisième président, et a vu défiler sept sessions du Congrès. Il appartient à la mouvance conservatr­ice, mais n’a pas hésité à l’offenser par certains de ses jugements. Il fait partie du vaste club de ceux qui ont eu une prise de bec avec Donald Trump, à qui il a rappelé sans ambiguïté le principe de l’indépendan­ce de la justice. On peut imaginer qu’il contempler­a parfois avec un certain amusement l’assemblée dont certains membres l’on fait passer sur le grill lors des auditions qui ont précédé sa nomination, il y a près de quinze ans. Féru de baseball, il avait dit à l’époque qu’il n’était là pour lancer ou frapper les balles, mais comme arbitre et, avait-il ajouté, “personne ne vient pour l’arbitre”. Il n’empêche que quand les joueurs se battent, il devient le personnage central.

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justice
John Roberts fait partie du vaste club de ceux qui ont eu une prise de bec avec Donald Trump, à qui il a rappelé sans ambiguïté le principe de l’indépendan­ce de la justice

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