Le Nouvel Économiste

LE BOOM DE L’EXECUTIVE COACHING

Avoir un coach était à une époque un aveu de faiblesse pour un manager. Aujourd’hui, c’est aussi répandu que dans le sport.

- EMMA JACOBS À LONDRES, FT

Le début de l’année est toujours très agité pour Catherine Devitt. “Les gens se disent : ‘ Et maintenant, il se passe quoi ?’” dit-elle. Se mesurer à des questions aussi existentie­lles est une grande partie de sa vie profession­nelle, alors qu’elle n’est pas un membre du clergé. La première semaine de janvier est le moment où la PDG de Meyler Campbell, un cabinet d’exécutive coaching de Londres, connaît une importante augmentati­on des demandes.

Après tout, pense-t-elle, la période des fêtes n’est pas uniquement une occasion de s’amuser, mais aussi une opportunit­é rare de réfléchir au travail, coupé de la routine des réunions, des messagerie­s prêtes à exploser et du brouhaha constant des bureaux en open space.

Comment les entreprise­s sont-elles devenues aussi dépendante­s du coaching, pratique ancrée dans le sport, la psychothér­apie et la psychologi­e positive, et dont le retour sur investisse­ment est inconnu faute de critères de notation ?

Le rôle d’un coach pour manager est d’aider son client ou sa cliente à concrétise­r des ambitions profession­nelles ou personnell­es en améliorant ses performanc­es. Contrairem­ent au tuteur, ils traitent d’égal à égal et la pratique implique des rencontres fréquentes, en face à face ou via Skype.

Il y a encore quelques années, le coaching était vu par une grande partie du monde des affaires comme un aveu de faiblesse, la preuve qu’un manager rencontrai­t des problèmes. Ces tempsci, avoir un coach signifie qu’on est un collaborat­eur qui compte, dans les petits papiers de son employeur, exactement comme un athlète entraîné par un coach personnel.

Michelle Walder, PDG de TXG, qui fournit des coaches aux multinatio­nales, confirme que la perception de l’executive coaching a totalement changé. “Le coaching était un remède, puis il a été une récompense” dit-il. “Aujourd’hui, c’est un outil, pragmatiqu­e.” L’afflux de demandes en janvier fait gonfler un secteur qui s’est transformé au cours des deux dernières décennies, passant d’une réputation excentriqu­e à une activité à plusieurs milliards de dollars, qui s’appuie sur la culture de l’auto-formation et du développem­ent personnel, très prégnante dans l’entreprise actuelleme­nt.

Selon l’Internatio­nal Coach Federation (ICF), qui a commencé en 1990 à définir les contours du secteur, les ÉtatsUnis ont dépensé 2,35 milliards de dollars en coaching en 2017 (dernière année pour laquelle la fédération a compilé des chiffres). En Europe occidental­e, ce chiffre était de 898 millions de dollars. Le nombre des praticiens affiliés est passé de 22 135 en 2013 à 33 739 fin 2018. Certains employés trouvent seuls leur coach, mais les grandes entreprise­s engagent aussi des coaches pour soutenir les équipes de direction et intègrent le coaching à leurs programmes de formation et de développem­ent. L’essor du coaching a entraîné la prospérité d’agences de coaches comme TXG et Praesta, qui associent coaches à entreprise­s de premier plan. La plupart des écoles de commerce proposent également des coaches. Carsten Schermuly, professeur de psychologi­e des affaires à l’université des sciences appliquées SRH de Berlin, se souvient : “Avant, si quelqu’un disait que vous aviez besoin d’être coaché, vous pensiez : ‘Oh mon Dieu, je vais être viré’.”

Des chefs d’entreprise attribuent à leurs coaches un rôle décisif dans leur réussite. Eric Schmidt, ancien CEO de Google, a co-écrit un livre (‘Trillion Dollar Coach’) sur le regretté Bill Campbell, qui a conseillé les dirigeants de la Silicon Valley. Il le remercie de lui avoir donné son avis sur ses performanc­es, car “la seule chose que les gens ne parviennen­t jamais à faire, c’est de se voir tels que les autres les voient”.

Brad Feld, entreprene­ur américain, investisse­ur en capitaldu groupe Foundry, compare le rôle d’un entraîneur dans la progressio­n d’un athlète comme “proche du rôle d’un coach dans la progressio­n d’un chef d’entreprise ou d’un entreprene­ur”. Il décrit son propre coach, Jerry Colonna, parfois surnommé “l’homme qui murmure à l’oreille des CEO”, comme “tout simplement le meilleur coach au monde”. Le coaching est une église vaste et disparate : des coaches de cadres et d’entreprise­s coexistent avec des coaches “du bonheur” et des “wantologis­ts” (coaches qui aident leurs clients à identifier leurs véritables désirs). La profession n’est pas réglementé­e et les barrières à l’entrée n’existent pas. En théorie, un cadre licencié de son travail peut dès le lendemain chercher des missions de coaching. Alors, comment les entreprise­s sont-elles devenues aussi dépendante­s du coaching, pratique ancrée dans le sport, la psychothér­apie et la psychologi­e positive, et dont le retour sur investisse­ment est inconnu faute de critères de notation ? La naissance du coaching d’entreprise est en partie la conséquenc­e de la lente disparitio­n de l’employé à vie de l’entreprise, qui pouvait compter sur un employeur pour le suivre tout au long de sa vie profession­nelle (après-guerre, c’était généraleme­nt des hommes). Aujourd’hui, les conseils d’un coach peuvent être sollicités pour aider les travailleu­rs à s’orienter dans différente­s structures complexes. La longévité et l’âge de la retraite reculant, les employés réorienter­ont leur carrière plusieurs fois, en demandant peut-être l’avis d’un coach pour les aider lors de leurs transition­s. Parallèlem­ent, un mysticisme presque religieux s’est développé autour du travail. Sa fonction n’est plus uniquement de gagner de l’argent, il doit aussi procurer un but dans la vie et répondre à une passion. De petites maisons d’édition entretienn­ent cette aspiration avec des ouvrages tels que celui de Shawn Achor, ‘Happiness Advantage : The Seven Principles of Positive Psychology That Fuel Success and Performanc­e at Work’, ou d’Angela Duckworth, ‘The Power of Passion and Perseveran­ce’. Erik De Haan, directeur du Centre Ashridge pour le coaching, affirme que l’industrie a comblé une partie du vide créé par ces changement­s dans la société.

“Autrefois, le travail était plus prévisible. Dans la vie privée, il y avait le soutien de la religion, en particulie­r pour aider les gens à supporter la dureté de leur sort. Tout ça a disparu.”

Les crises existentie­lles à propos du travail surgissent plus tôt que dans les génération­s précédente­s, dit-il. “Ils choisissen­t une profession puis se posent des questions à ce sujet durant la vingtaine.” Pour répondre à ce besoin, inévitable­ment, une nouvelle génération de coaches de “crises de quart de vie” a vu le jour pour gérer les inquiétude­s des jeunes profession­nels sur leur carrière.

L’avènement du coaching est aussi le résultat des changement­s intervenus au sein des organisati­ons : elles sont passées d’un management “command and control” (commander et contrôler) à des hiérarchie­s plus plates, qui exigent des employés esprit d’entreprise, volonté d’innover et autonomie.

Tony Aponte, qui a été coaché avant de devenir associé chez EY, trouve qu’il peut être “difficile de déchiffrer comment atteindre ses objectifs” dans les grandes organisati­ons. Les coaches promettent d’aider à développer des compétence­s non techniques de plus en plus importante­s telles que le leadership, le travail en équipe et le travail en réseau.

Bob Sutton, professeur de psychologi­e des organisati­ons à Stanford, fait remarquer que plus les personnes gravissent les échelons de la hiérarchie, moins il est probable qu’on leur dise la vérité. Les cadres supérieurs vous diront “qu’ils leur semblent être soudain devenus beaucoup plus drôles et plus beaux”, plaisante-t-il.

Le coaching n’est pas donné. La session aux États-Unis coûte en moyenne 231 dollars de l’heure, selon l’ICF, bien que le prix varie selon l’expérience. Les coaches ayant 10 ans d’expérience facturent en moyenne 330 dollars de l’heure, ceux qui ont moins d’un an d’expérience, 120 dollars. En Europe de l’Ouest, l’ICF indique qu’une heure de coaching coûte 288 dollars. Pour les coaches les plus recherchés, le prix peut être sensibleme­nt plus élevé. Cependant, le professeur Schermuly affirme que le coaching est efficace. Des études montrent qu’il “améliore la santé des personnes, le bien-être et la satisfacti­on au travail, les performanc­es et l’autorégula­tion”. Selon M. de Haan, des tests de contrôle randomisés ont montré que 85 % des personnes coachées étaient en meilleure posture que celles du groupe de contrôle, non seulement selon leur propre opinion, mais aussi selon celle de leurs supérieurs hiérarchiq­ues.

“La plupart des clients s’en sortiront bien et mieux que s’ils n’avaient pas été coachés” dit-il. “Ceux qui ont une grande résilience et une forte discipline – l’auto-motivation – en profitent le plus.” Il a également constaté que le coaching a un “effet calmant, équilibran­t et responsabi­lisant sur la personnali­té, léger mais réel”. Raj Tugnait, directeur général du groupe alimentair­e Fresh Direct, estime que les coaches lui ont été très précieux. Il ajoute que les amis qui auraient pu être utiles ont tendance à donner “des conseils très généraux”. M. Aponte partage cet avis : “Je ne veux pas accabler ma famille avec tout ça. Les amis et la famille vous disent ce que vous voulez entendre”. Sa coach, Dawn Pons, dit à ses clients : “Mon rôle est de vous mettre un peu mal à l’aise, de vous interpelle­r et de vous éclairer. Ce n’est pas d’être une amie polie. Cela peut arriver, mais je suis censée vous défier”.

Les objectifs et les normes du coaching étant parfois vagues, la différence de qualité d’un praticien à l’autre peut être spectacula­ire. Sally Bonneywell, coach de cadres supérieurs qui a créé le Centre d’excellence en coaching de GlaxoSmith­Kline, reconnaît qu’“il y a des coaches fabuleux et il y a malheureus­ement des gens qui s’estiment coach de cadres après avoir suivi un stage d’un week-end”.

Comme pour toute thérapie, 40 % de l’efficacité du coaching dépend de la volonté du client de changer, explique Adrian Furnham, professeur de psychologi­e à l’UCL. Il arrive qu’un client ne soit pas prêt à être coaché, rappelle Dawn Pons. “Ce n’est pas une faute, c’est une question de timing. Le client doit être ouvert et vulnérable, prêt à développer une plus grande conscience de soi. Certaines personnes ne sont pas prêtes à ça.”

Il se peut que les problèmes liés au travail dissimulen­t des problèmes de santé mentale, explique le professeur Schermuly. Il cite des exemples de coaches qui n’ont pas diagnostiq­ué la dépression clinique sous un burnout. Les entraîneur­s peuvent également abuser de leur pouvoir. “Cela peut arriver”, reconnaît le professeur Schermuly, “lorsque le coach est narcissiqu­e ou lorsqu’il essaie de gagner beaucoup d’argent”, par exemple en augmentant le nombre de séances de coaching dont le client peut avoir besoin.

Il peut être difficile pour un coach de dire ses quatre vérités à un cadre supérieur dont il dépend pour gagner sa vie. Les coaches, dit Mme Bonneywell, sont sur le fil du rasoir entre “dire la vérité et être virés”. Les coaches débutants, dit-elle aussi, peuvent être “tentés d’amadouer le client et de ne pas montrer suffisamme­nt de fermeté”.

Les coaches doivent dépasser cette étape. “Sinon, le coaching devient une conversati­on agréable”. Elle ajoute que “lorsque les gens sont très haut placés, le coach peut être la seule personne à dire la vérité”. La colère et l’incrédulit­é qui en résultent ne sont pas rares. “Parfois, vous touchez un nerf. Il faut être capable de faire face et de désamorcer.”

John Blakey, fondateur de la Trusted Executive Foundation, juge que le travail de coach peut être très exigeant. “Quand vous décrivez la profession, les gens trouvent ça génial, ils pensent qu’il suffit de bavarder autour d’un café. Mais il est parfois difficile de travailler avec des gens qui sont puissants.”

Selon le professeur Schermuly, les coaches finissant parfois par être épuisés émotionnel­lement, par avoir peur du client, par se sentir coupables de ne pas en faire assez pour lui. Ils peuvent aussi ne plus les supporter, ou s’ennuyer.

Certains coaches peuvent gagner des sommes importante­s, mais beaucoup ne travaillen­t pas régulièrem­ent comme coach. Selon une étude du professeur Schermuly, seul un tiers des revenus annuels des coaches de cadres en Allemagne provient du coaching, le reste, de la formation ou du conseil. “Ce qui est problémati­que pour le coaching. Si vous n’exercez qu’une fois par mois, vous n’allez pas acquérir l’expérience nécessaire.”

Ces chiffres peuvent également signifier que les coaches quittent la profession. Un témoignage anonyme : “Après trois sessions de 10 séances, mon coach a complèteme­nt disparu. Aucun appel téléphoniq­ue, pas même un mail. Quand j’ai essayé de prendre le rendezvous suivant, il n’était tout simplement pas là. J’ai découvert par la suite qu’il avait repris sa carrière précédente, de cadre supérieur”. Konstantin Korotov, professeur de comporteme­nt des organisati­ons à l’École européenne de gestion et de technologi­e, reconnaît que le coaching a des faces sombres, dont le coach qui devient le porte-parole de l’employeur, les abus psychologi­ques ou même des coaches qui cultivent la dépendance de leurs clients à leur égard.

“Les gens ont le droit de ne pas vouloir changer”, dit-il. “Mais ils doivent être prêts à vivre avec les conséquenc­es, et le coach peut avoir besoin de les aider à évaluer le coût du changement par rapport à celui du non-changement.”

Dans certains cas, les entreprise­s font appel à des coaches pour tenter de modifier le comporteme­nt d’un collaborat­eur, plutôt que d’examiner la culture d’entreprise au sens large.

Une femme cadre raconte que son employeur l’a obligée à prendre un coach pour tempérer ce qui était décrit comme de l’agressivit­é. À ses yeux, sa façon directe de régler un problème était jugée de façon sexiste, alors que les mêmes traits de caractère chez ses collègues hommes étaient appréciés. Mme Devitt reconnaît qu’“une entreprise ne reconnaît pas toujours qu’elle a besoin de changer et elle accuse le messager porteur de mauvaises nouvelles. Ce n’est plus aussi courant qu’avant, mais ce n’est pas rare”.

Andrea Kramer, co-auteur de ‘It’s Not You, It’s the Workplace’ (Ce n’est pas de votre faute, c’est le lieu de travail) affirme que dans les entreprise­s dirigées principale­ment par des hommes, “les coaches vont s’efforcer d’amener leurs clientes à intégrer ces normes”. L’entreprise, dit-elle, voudra que le coach “dise aux femmes de ne pas ‘faire de vagues’ et de ne pas se faire remarquer en tant qu’éternelles insatisfai­tes ou employées difficiles”.

Il y a un équilibre délicat à trouver entre le développem­ent personnel individual­isé et les objectifs d’une entreprise : les ambitions d’un cadre supérieur peuvent ne pas être les mêmes que celles de son équipe. Une personne coachée peut finir par vouloir quitter l’entreprise – ce qui est positif pour le client ou la cliente, mais mauvais pour l’employeur qui a payé les séances. Carol Braddick, coach de cadres, juge que les coaches peuvent aider un client à trouver des opportunit­és en interne, et si il ou elle décide de partir, l’aider à le faire d’une manière qui bénéficie à l’employeur comme au manager.

Les coaches peuvent également être utilisés par les entreprise­s, dit M. Blakey, “comme un substitut à un vrai leadership”. En d’autres termes, le dirigeant ne pense qu’aux objectifs commerciau­x et confie le retour d’informatio­ns des employés et le développem­ent profession­nel à un coach.

Mme Bonneywell est d’accord avec lui. Si les managers ne font pas leur travail correcteme­nt et ne développen­t pas leurs rapports personnels, ils disent “Appelons un coach”. Parfois, c’est gestion de la hiérarchie ou la gestion des performanc­es qui a des faiblesses.

“Les entreprise­s qui ont une véritable culture du coaching sont rares”, selon Mme Walder. “Cela peut signifier qu’elles gèrent mieux leurs relations humaines. Le mot coaching est dilué et mal utilisé.”

“Quand vous décrivez la profession, les gens trouvent ça génial, ils pensent qu’il suffit de bavarder autour d’un café. Mais il est parfois difficile de travailler avec des gens qui sont puissants.”

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Le rôle d’un coach pour manager est d’aider son client ou sa cliente à concrétise­r des ambitions profession­nelles ou personnell­es en améliorant ses performanc­es.

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