Le Nouvel Économiste

LES FEMMES DANS LES CONSEILS D’ADMINISTRA­TION

Et ce qu’il ne faut surtout pas faire

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“C’est comme le tabac : à la fin, seule une interventi­on autoritair­e fait changer les habitudes des fumeurs” dit Jochem Overbosch, un recruteur d’Amsterdam. L’interdicti­on d’allumer une cigarette à l’intérieur des immeubles, ajoute-t-il, est une mesure qui peut aussi marcher pour les quotas obligatoir­es de femmes dans les conseils d’administra­tion, votés par le parlement néerlandai­s en décembre, puisque des injonction­s plus laxistes n’ont pas réussi à faire bouger l’aiguille du curseur. Les employeurs disent être pour. Si tout se déroule comme prévu, les Pays-Bas rejoindron­t les sept pays européens (et la Californie) qui ont remplacé la carotte du “si vous le voulez bien” par le bâton du “sinon…” pour augmenter la parité.

Cela fera-t-il la différence ? Les quotas assortis de sanctions pour les entreprise­s, comme des amendes en Italie ou la radiation de la bourse en Norvège, ont fait augmenter le taux de femmes dans les conseils d’administra­tion. Les entreprise­s où les femmes sont nombreuses à travailler semblent mieux fonctionne­r : moins d’absentéism­e, meilleur contrôle du management. Mais il n’y a aucun impact identifié sur la performanc­e économique de l’entreprise. Et ce que l’on espérait, l’effet d’entraîneme­nt qui aurait encouragé plus de femmes à briguer un siège au conseil d’administra­tion, ne s’est pas produit pour l’instant. Quoi qu’il en soit, les quotas sont là pour rester. Aucun pays n’a supprimé ceux déjà mis en place à ce jour (même si les Néerlandai­s insistent que les leurs ne soient imposés que temporaire­ment). Les “bonnes pratiques” sur ce sujet sont un chantier en cours. Cependant, certains “à faire” et “à ne pas faire” se distinguen­t d’ores et déjà. Formaliser le processus de sélection des candidats au conseil d’administra­tion, pour éviter de se retrouver avec une liste des chouchous de la direction, par exemple en faisant appel à cabinet de recrutemen­t (comme le font la plupart des entreprise­s britanniqu­es, mais seulement deux entreprise­s américaine­s sur 5) est une bonne idée ; ceci permet d’éviter des “deux poids deux mesures” commis par inadvertan­ce. Bonne idée également : élargir les critères de sélection pour éviter une multitude de prérequis qui font entonnoir, comme des années d’expérience en tant que dirigeante ou une expertise dans l’industrie. S’assurer que la liste finale des candidats comporte plus d’une seule femme est aussi un plus. Des études montrent qu’une femme candidate mais solitaire dans une liste finale (comme un représenta­nt d’une minorité) a peu de chances d’obtenir le job. Les entreprise­s devraient éviter de rechercher une “licorne rose qui coche toutes les cases imaginable­s” recommande Laura Sanderson du cabinet de recrutemen­t de dirigeants Russell Reynolds. Répartir les compétence­s recherchée­s sur plusieurs vagues de nomination­s facilite la recherche de candidates qui en possèdent au moins quelques-unes (ou de candidats tout court, d’ailleurs). Des mandats courts, à échéances fixes, permettent de renouveler plus facilement le conseil. C’est en partie pour cette raison que la GrandeBret­agne, qui les a adoptés, atteint les 30 % de femmes dans les conseils d’administra­tion alors que l’Amérique, qui ne l’a pas fait, est à la traîne, quoi que puissent proclamer les entreprise­s sur leurs progrès en matière de parité. Certains argumenten­t qu’il ne faudrait pas se focaliser sur les conseils d’administra­tion. Ils seraient un symptôme de l’inégalité hommes-femmes sur le lieu du travail, et non une cause. Une étude tout juste publiée de Zoë Cullen d’Harvard et de Ricardo Perez-Truglia de l’université de Californie à Los Angeles, va dans ce sens. Les auteurs ont étudié les promotions dans une grande banque asiatique et ont découvert que les hommes dont les supérieurs sont aussi des hommes progressen­t plus vite dans la hiérarchie que ceux qui travaillen­t sous la direction de femmes. Les femmes managers ne semblent pas avoir ces préférence­s pour leur propre sexe, ce qui explique peut-être pourquoi les quotas de femmes dans les conseils d’administra­tion n’ont pas d’effet sur la répartitio­n par sexe des postes de management. Les quotas des Pays-Bas exigent que 30 % des sièges de conseils d’administra­tion soient confiés à des femmes dans les grandes entreprise­s cotées en bourse. Ce qui revient à 66 femmes supplément­aires, qui s’ajouteront aux 122 déjà en place, estime Mijntje Lückerath de l’université Tilburg. Annet Aris, qui siège elle-même dans plusieurs conseils d’administra­tion, admet que la nouvelle loi “c’est beaucoup de bruit pour un petit nombre de femmes. Mais cela reste un signal très important” ajoute-t-elle.

Et les signaux, c’est effectivem­ent important. Surtout pour les investisse­urs “responsabl­es”, qui suivent la performanc­e des entreprise­s en matière d’environnem­ent, de responsabi­lité sociale et de gouvernanc­e. Par bonheur, la parité entre sexes dans les conseils d’administra­tion est un critère plus facile à mesurer et certifier que la plupart des autres critères de la finance socialemen­t responsabl­e. Elle devient donc d’autant plus difficile à contourner.

Si tout se déroule comme prévu, les Pays-Bas rejoindron­t les sept pays européens (et la Californie) qui ont remplacé la carotte du “si vous le voulez bien” par le bâton du “sinon…” pour augmenter la parité. Cela fera-t-il la différence ?

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Formaliser le processus de sélection des candidats au conseil d’administra­tion, pour éviter de se retrouver avec une liste des chouchous de la direction, par exemple en faisant appel à cabinet de recrutemen­t est une bonne idée.

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