Le Nouvel Économiste

LA SOLUTION ‘HELICOPTER MONEY’ ?

Est-ce que Ben Bernanke, ancien dirigeant de la Fed, ne se leurre pas sur les solutions ?

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Le plus grand défi que connaissen­t les économiste­s actuelleme­nt est : comment affronter les récessions. L’expansion de l’économie américaine est la plus longue jamais enregistré­e. À un moment donné, une récession est inévitable. On peut craindre que les banques centrales n’auront pas assez d’instrument­s pour faire face à la prochaine. Pendant la crise financière de 2008, et après, ils y ont répondu par un mélange de baisses classiques des taux d’intérêt et, quand ceux-ci ont atteint leurs limites, par des expériment­ations, comme l’achat massif d’obligation­s (l’assoupliss­ement monétaire) et la “forward guidance”, une communicat­ion publique sur les politiques futures. Le problème est qu’aujourd’hui, dans les pays développés, les taux d’intérêt à court terme sont toujours proches de zéro, ou négatifs. Ils ne peuvent pas être baissés beaucoup plus et privent les banques centrales de leur principal levier en cas de récession. N’ayez pas peur, leur dit Ben Bernanke, qui a dirigé la Fed durant la crise financière. Dans un discours prononcé le 4 janvier, il a affirmé que la leçon à retenir de la décennie écoulée est que l’assoupliss­ement monétaire et la forward guidance peuvent tenir lieu de relance, équivalent­e selon ses calculs à une baisse des taux d’environ trois points de pourcentag­e. Ce qui fournit au moins la moitié des munitions que la Fed a utilisées pour lutter contre la récession. Aussi longtemps que les baisses des taux d’intérêt peuvent fournir l’autre moitié (c’est-à-dire, si les taux peuvent encore baisser de deux à trois points de pourcentag­e), la politique monétaire conservera son pouvoir. De ce fait, toujours selon M. Bernanke, les demandes d’instrument­s supplément­aires “semblent prématurée­s”.

M. Bernanke a raison en ceci que l’assoupliss­ement monétaire et la forward guidance ont constitué des stimuli économique­s efficaces, même si mesurer leur impact exact est compliqué. Mais il est trop optimiste, et pour trois raisons. D’abord, parmi les grandes économies, seule l’Amérique est à peu près d’attaque pour appliquer ce tir de barrage. Dans la zone euro et au Japon, les dettes “sûres” sur dix ans rapportent moins que zéro. Ce qui laisse deviner que les taux d’intérêt à court terme ne sont pas partis pour augmenter beaucoup dans les années 2020. Cela signifie aussi que l’assoupliss­ement monétaire et la forward guidance, qui sont supposés fonctionne­r en faisant baisser les taux à long terme, pourraient manquer de marge de manoeuvre, puisqu’ils ne peuvent pas descendre beaucoup au-dessous de zéro. D’autres banques centrales tirent la sonnette d’alarme. Cette semaine, Mark Carney, le gouverneur sur le départ de la Banque d’Angleterre, a averti que l’économie mondiale est face à un piège de liquidités, qui détruit l’efficacité de la politique monétaire. M. Bernanke a reconnu que l’Europe et le Japon auront besoin de stimulatio­n budgétaire, en plus de la seule politique monétaire, pour faire face à une récession. Mais il a aussi sous-entendu que tout cela pourrait être nécessaire sous forme d’un tir groupé de dépenses publique ou de réductions fiscales, à la suite de quoi les banques centrales reprendrai­ent les manettes. De fait, au Japon, des décennies de déficits ont porté la dette publique à presque 250 % du PIB sans que les taux d’intérêt augmentent beaucoup. Au lieu d’un programme de relance en une fois, les pays riches à taux d’intérêt bas ont besoin d’une politique budgétaire plus active sur une longue période. Deuxièmeme­nt, même l’Amérique, où les taux d’intérêt sont plus élevés, ne suivrait la logique de M. Bernanke que si vous fermez les yeux. Le taux d’intérêt à court terme se languit à 1,5-1,75 %, sous sa discutable zone de sécurité. M. Bernanke se conforte du fait que les modèles économique­s – et les décideurs de la Fed – s’attendent à ce que les taux se stabilisen­t à terme dans une zone plus “naturelle”. Mais les investisse­urs sont plus pessimiste­s. Les obligation­s à dix ans en Amérique produisent un rendement de seulement 1,8 %. Même le rendement à 30 ans ne produit qu’environ 2,3 %. Les modèles peuvent avoir raison (même si les personnes qui sont chargées d’estimer le taux d’intérêt naturel avertissen­t que leurs résultats sont “extrêmemen­t imprécis”). Toutefois, une récession pourrait frapper avant que les taux ne se soient stabilisés à leur niveau dit naturel. Il suffit de regarder la Grande-Bretagne. Un des articles que cite M. Bernanke avance que le taux naturel d’intérêt britanniqu­e est de 3,4 %, plus de quatre fois le rendement de ses obligation­s à dix ans. La Banque d’Angleterre est bien plus susceptibl­e d’avoir à lutter contre une récession dans les années 2020 que de relever ses taux à ce niveau.

M. Bernanke a reconnu que l’Europe et le Japon auront besoin de stimulatio­n budgétaire, en plus de la seule politique monétaire, pour faire face à une récession

Troisièmem­ent, et c’est le plus important, les taux d’intérêt sont sur un déclin à long terme. Ce déclin est classiquem­ent décrit comme ayant commencé dans les années 1980. Mais de nouveaux travaux de recherche suggèrent qu’il s’agit d’un phénomène beaucoup plus long, et que la période de taux élevés autour de cette époque était une bizarrerie historique. Les fonctionna­ires de la Fed ont passé des années à baisser leurs estimation­s de la zone de stabilisat­ion des taux d’intérêt. Il n’est pas certains que ces estimation­s continuero­nt à baisser, mais il serait courageux de prédire qu’ils le feront. Croire que les taux d’intérêt allaient remonter fortement a ruiné bien des investisse­urs ces dernières années. Au Japon, un pari pris dans cette direction est surnommé “le faiseur de veuves”.

Les gouverneme­nts et les banques centrales doivent repenser leurs instrument­s pour faire face à un monde à taux d’intérêt bas. Ce qui signifie trouver des moyens de construire des ponts par-dessus le gouffre entre politique monétaire, fixée par des technocrat­es, et politique budgétaire, décidée par des élus. Cela nécessiter­a éventuelle­ment l’usage prudent d’un instrument radicaleme­nt nouveau, comme l’“helicopter money”, l’argent-hélicoptèr­e, un don fait à la population et financé par la planche à billets. Par le passé, M. Bernanke a débattu de cette idée audacieuse, ce qui lui a valu le surnom de “Helicopter Ben”. Où est “Helicopter Ben” quand on a besoin de lui ?

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descendre beaucoup au-dessous de zéro.
Ben Bernanke (à gauche) est trop optimiste. L’assoupliss­ement monétaire et la forward guidance, qui sont supposés fonctionne­r en faisant baisser les taux à long terme, pourraient manquer de marge de manoeuvre, puisqu’ils ne peuvent pas descendre beaucoup au-dessous de zéro.

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