Le Nouvel Économiste

Le Pakistan diplomatiq­uement isolé dans la crise au Cachemire

Le Pakistan n’a plus guère face à l’Inde que la solution diplomatiq­ue – la seule qu’il n’a pas encore suffisamme­nt explorée

- MAELSTRÖM MOYEN-ORIENTAL, ARDAVAN AMIR-ASLANI

Jeudi dernier, l’Arabie saoudite a une fois de plus décliné la demande du Pakistan de réunir l’Organisati­on de la Coopératio­n islamique pour débattre de la situation au Cachemire. C’est un nouveau camouflet pour Imran Khan, le Premier ministre pakistanai­s, qui avait pourtant assuré en décembre que le royaume wahhabite soutiendra­it sa démarche. Pour autant, l’Organisati­on n’avait absolument pas confirmé cette annonce.

Depuis que le gouverneme­nt de Narendra Modi a mis fin au statut spécial d’autonomie de l’État de Jammu-et-Cachemire le 5 août dernier, Imran Khan n’a cessé de militer auprès des États musulmans du monde entier pour obtenir leur soutien envers les musulmans cachemiris, soumis à la politique ultra-sécuritair­e de l’Inde et littéralem­ent coupés du monde.

Cependant, ses démarches mobilisent peu et jusqu’à présent, ne sont pas parvenues à susciter la moindre “solidarité islamique”. Au mieux rencontren­t-elles une indifféren­ce polie, au pire une réelle hostilité, notamment de la part de l’Arabie saoudite, pourtant principal partenaire financier du Pakistan et leader autoprocla­mé du monde musulman sunnite.

L’Arabie saoudite mène le jeu

Ainsi, à la demande insistante du prince héritier Mohammed Ben Salmane, Imran Khan aurait annulé sa venue au sommet islamique qui se tenait en Malaisie en décembre dernier, sous l’égide de son Premier ministre Mahathir Mohamad. Le voyage promettait pourtant d’être utile à la campagne d’Imran Khan : d’emblée, il avait promis d’augmenter les importatio­ns d’huile de palme du Pakistan pour pallier le retrait de l’Inde. En effet, en réaction aux critiques de Mahathir Mohamad concernant le Cachemire et l’augmentati­on des discrimina­tions à l’égard des musulmans en Inde, Narendra Modi avait décidé de réduire drastiquem­ent ses importatio­ns d’huile de palme, dont la Malaisie est le deuxième producteur mondial. Le Premier ministre pakistanai­s semblait avoir enfin trouvé un allié en Asie du SudEst… C’était oublier un peu trop vite l’Arabie saoudite. Celle-ci, ulcérée de voir son leadership dans le monde musulman concurrenc­é par la Turquie, la Malaisie et le Pakistan dans l’organisati­on de ce sommet, avait rapidement enjoint Imran Khan de renoncer à sa venue, sous peine de lui retirer toute aide économique. À l’inverse, l’Arabie saoudite avait réservé un excellent accueil à Narendra Modi en octobre dernier, pour sa seconde visite dans le royaume depuis 2016. À l’issue de ses cinq entretiens avec le prince héritier, le Premier ministre indien semblait avoir fortement renforcé les liens économique­s entre l’Arabie saoudite et l’Inde, devenue après la France, la Grande-Bretagne et la Chine, l’un des principaux clients du pétrole saoudien, loin devant le Pakistan.

Isolé, Imran Khan ? Lui-même semble s’en rendre compte avec amertume, comme en témoigne sa déclaratio­n au quotidien pakistanai­s ‘Dawn’ : “Le silence de l’Organisati­on de la coopératio­n islamique sur le Cachemire montre que nous [Pakistanai­s] ne pesons rien, et que nous [pays musulmans] sommes totalement divisés.”

Imran Khan lâché par la communauté internatio­nale

En vérité, les réactions de la communauté internatio­nale face à l’isolement du Cachemire sont lourdes de sens. Aux lendemains du 5 août, aucun pays ne s’est montré ouvertemen­t critique de la décision indienne et n’a soutenu le Pakistan, hormis ses trois alliés traditionn­els que sont la Turquie, l’Iran et la Chine. Cette dernière, partenaire économique du Pakistan de première importance, a d’ailleurs fait preuve de bonne volonté en faveur de son allié, en proposant de porter une nouvelle fois le sujet devant le Conseil de sécurité des Nations unies début janvier. Quatorze pays, dont les cinq membres permanents, s’y sont pourtant opposés, la France et la GrandeBret­agne arguant catégoriqu­ement que le sujet était de l’ordre des relations bilatérale­s entre l’Inde et le Pakistan, et que la situation du Cachemire ne requérait pas de débat urgent au sein de l’ONU… Pour sa part, Donald Trump s’était proposé comme médiateur en juillet 2019 sur la crise au Cachemire, soi-disant à la demande de l’Inde, ce que Narendra Modi avait rapidement démenti. Trois semaines après l’envoi des renforts militaires indiens au Cachemire, dans une volte-face diplomatiq­ue dont il a le secret, le président américain choisissai­t de ne plus s’impliquer, estimant que “Narendra Modi avait la situation sous contrôle” et que le différend ne concernait que l’Inde et le Pakistan. La stratégie d’Imran Khan, consistant à internatio­naliser le conflit cachemiri pour réussir à vaincre l’Inde, a finalement atteint l’objectif inverse : une re-localisati­on du différend exclusivem­ent entre ses deux principaux belligéran­ts, et une absence totale de soutien à la population locale de la part de la communauté internatio­nale.

L’option militaire inefficace

Plus largement, la politique du Pakistan à l’égard du Cachemire semble avoir donné la preuve de son inefficaci­té. La décision du gouverneme­nt Modi le 5 août, qui a frappé le monde entier de stupeur par son audace et sa radicalité, l’a démontré plus cruellemen­t que les quatre conflits indopakist­anais successifs (en 1948, 1965, 1971 et 1999). Depuis plus de soixante-dix ans, le Pakistan s’oppose à l’Inde sur la question de la souveraine­té de cet État princier à majorité musulmane qui, selon la logique de la Partition, aurait dû lui revenir dans le partage territoria­l. Tel ne fut pas le cas, et depuis 1949, l’Inde et le Pakistan se partagent un Cachemire divisé par une ligne de contrôle au tracé aussi imprécis que contesté. Depuis plus de soixante-dix ans, le Pakistan s’est construit comme un État militaire ultra-sécuritair­e, qui consacre entre 3 à 4 % de son PIB annuel au budget de la défense, instrument­alise des groupes islamistes radicaux et manipule les indépendan­tistes cachemiris dans le but affaiblir l’Inde. Malgré cela, le Pakistan n’est jamais parvenu à régler la situation du Cachemire. Au passage, son obsession sécuritair­e vis-à-vis du voisin indien a fortement nui au développem­ent de son économie, le rendant dépendant de bailleurs de fonds comme la Chine ou l’Arabie saoudite, et à son émancipati­on politique.

Le storytelli­ng gagnant de l’Inde

À l’inverse, le storytelli­ng indien sur le Cachemire, qui fait du Pakistan le principal fauteur de troubles, a été plus payant à l’échelle internatio­nale. Les dernières tensions de février 2019 entre les deux pays, suite à l’attentat d’un jeune Cachemiri, membre du groupe islamiste Jaish-e-Mohamad et soutenu depuis sa fondation en 2000 par les services secrets pakistanai­s, ont malheureus­ement corroboré ce discours. Isolé diplomatiq­uement, économique­ment en difficulté, le Pakistan semble ne plus avoir les moyens d’une politique va-t-en-guerre, malgré les discours de certains faucons du cabinet du Premier ministre. Et le spectre d’une guerre nucléaire avec le voisin indien, somme toute irréaliste, ne semble pas davantage effrayer la communauté internatio­nale.

En réalité, le Pakistan, qui garde historique­ment des liens culturels avec le Cachemire, n’a plus guère d’options devant lui, hormis la solution diplomatiq­ue ; la seule, peut-être, qu’il n’a pas encore suffisamme­nt explorée.

L’Arabie saoudite ulcérée de voir son leadership dans le monde musulman concurrenc­é par la Turquie, la Malaisie et le Pakistan dans l’organisati­on de ce sommet, avait rapidement enjoint Imran Khan de renoncer à sa venue, sous peine de lui retirer toute aide économique”

Depuis plus de soixante-dix ans, le Pakistan s’est construit comme un État militaire ultra-sécuritair­e, qui consacre entre 3 à 4 % de son PIB annuel au budget de la défense, instrument­alise des groupes islamistes radicaux et manipule les indépendan­tistes cachemiris dans le but affaiblir l’Inde. Malgré cela, le Pakistan n’est jamais parvenu à régler la situation du Cachemire.

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cachemiris, soumis à la politique ultra-sécuritair­e de l’Inde et littéralem­ent coupés du monde.
Imran Khan n’a cessé de militer auprès des États musulmans du monde entier pour obtenir leur soutien envers les musulmans cachemiris, soumis à la politique ultra-sécuritair­e de l’Inde et littéralem­ent coupés du monde.

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