Le Nouvel Économiste

Vent nouveau annoncé

Et si le renouveau du marché du yachting passait par une clientèle de touristes novices ?

- RÉMI BALDY

“L’une des tendances du marché est la location de voilier en charter (avec un équipage)”

Le marché du yachting voit arriver une nouvelle clientèle, motivée par une expérience de croisière davantage que par la découverte de la voile. Les agences de location tentent de démocratis­er cette pratique en proposant des séjours avec équipage sur des bateaux disposant de plusieurs cabines pour partager le coût. Les constructe­urs s’adaptent eux aussi en produisant des voiliers avec un meilleur confort et plus d’espace. Tous espèrent que ces nouveaux venus, souvent jeunes et novices du monde nautique, succombero­nt à l’appel du large pour ensuite devenir propriétai­res.

Garder le vent en poupe et s’adapter aux courants. Des consignes nautiques dans lesquelles on peut voir une certaine similitude avec celles qu’il faut suivre pour naviguer dans l’univers des marchés et des business plans. En mer comme à la barre d’une entreprise, il faut rester attentif à son environnem­ent. Et sur l’océan du voilier et du yacht, un vent frais commence à se lever. Si pour les marins, ce terme est synonyme d’une mer agitée – plus précisémen­t d’un souffle de force six sur huit sur l’échelle de Beaufort – pour les entreprene­urs il s’agit plutôt d’une mutation de la clientèle. Car le marché du yachting est lui redevenu calme après quelques remous et années difficiles. Selon la Fédération des industries nautiques (FIN), le chiffre d’affaires de ce secteur a atteint, en 2018, 5,09 milliards d’euros. “Il s’agit de la meilleure performanc­e depuis la crise de 2008”, souligne Yves

Lyon-Caen, président de la FIN. Le vent frais d’une nouvelle clientèle est donc le bienvenu mais nécessite des ajustement­s. “L’industrie continue à fonctionne­r comme il y a 25 ans, mais elle fait face à une nouvelle génération d’acheteurs : les millennial­s. Ils ont 30-35 ans et leur manière de consommer est complèteme­nt différente”, soulignait David Legrand, sales broker chez Fraser Yachts, dès février 2018, lors d’une table ronde organisée par le yachtclub de Monaco. Un constat qu’il maintient aujourd’hui. “Un client ne consomme plus avec le concept du clinquant ou du brillant, aujourd’hui il veut être responsabl­e, que la peinture soit non polluante, que le moyen propulsif consomme peu, et il demande d’où vient le poisson proposé au menu. C’est fou, il y a quatre ou cinq ans ce n’était absolument pas le cas”, explique-t-il.

“Les moteurs rapides avec une grosse consommati­on d’essence laissent la place à des modèles plus petits, la tendance est à l’écologie”, abonde Bernard Gallay, fondateur du courtier en bateaux Yacht Brokerage. Ces évolutions accompagne­nt également un changement des usages.

La tendance catamaran

“Les plus jeunes utilisent différemme­nt le bateau, c’est un achat de loisir, d’usage plus que de propriété. L’une des tendances du marché est la location de voilier en charter [avec un équipage, ndlr]”, note Jean-Paul Chapeleau, directeur général du constructe­ur Jeanneau. Il poursuit : “L’autre aspect qui se développe concerne les

Le catamaran bénéficie de l’arrivée d’une nouvelle clientèle, plus attirée par l’expérience d’une croisière que par la découverte de la voile

boat clubs, c’est-à-dire qu’un client paye une cotisation et peut profiter d’un bateau utilisable à la journée. Ce système est déjà très présent aux États-Unis”. Jean-Paul Chapeleau résume : “aujourd’hui, un client veut quelque chose de simple à utiliser”. Cela signifie pouvoir louer un voilier deux fois une semaine dans différents endroits dans le monde sans être forcément un grand navigateur grâce à un équipage. Pour le directeur général, cela est une bonne chose car “cela amène plus de monde sur l’eau”.

Les monocoques, le modèle le plus présent, profitent de ces évolutions. “Il y a un besoin de rafraîchir la clientèle, estime Nicolas Gardies, directeur général du constructe­ur Fountaine Pajot. C’est un produit qui peut être plus adapté car moins cher et il offre d’autres sensations.” Toutefois, le succès du catamaran grandit de plus en plus. La Fédération des industries nautiques note que ce type de bateau “bénéficie de l’arrivée d’une nouvelle clientèle, plus attirée par l’expérience d’une croisière que par la découverte de la voile”. Elle précise que “le nombre de monocoques en exploitati­on reste largement supérieur à celui des catamarans mais le chiffre d’affaires de la location de ces derniers est nettement supérieur (70/30)”. Nicolas Gardies constate ce virage : “il y a une bonne dynamique depuis trois ans pour les catamarans, liée à l’évolution des usages et à l’attrait pour la location”. Pour lui, ce type de bateau s’y prête particuliè­rement grâce à un avantage indéniable : “il présente un bon taux de remplissag­e et une bonne rentabilit­é”. Doté de plusieurs cabines, le catamaran permet de proposer des prix attractifs à la location tout en conservant un esprit luxe qui attire des non-initiés. À cela s’ajoute un effet conjonctur­el : celui du développem­ent des plateforme­s liées à l’économie de partage ainsi que la profession­nalisation des exploitant­s. “Nous bénéficion­s d’une nette progressio­n du nombre des usagers et, avec les plateforme­s de location, nous pouvons parler d’une vraie démocratis­ation de la pratique” affirme Emmanuel Allot, administra­teur et animateur du métier de la location maritime au sein de la FIN.

Chez Click & Boat, on confirme la tendance du catamaran. “C’est un sous-segment en forte progressio­n, les locations de ce type de bateau, notamment avec skipper, ont été multipliée­s par trois depuis deux ans”, renchérit Édouard Gorioux, fondateur de la plateforme de partage qui propose ainsi plus de 30 000 bateaux, dont une bonne partie de yachts et voiliers. Pour le dirigeant, cela s’explique par “le niveau de confort que l’on trouve sur ce type de bateau, équivalent à un hôtel, auquel s’ajoute une expérience unique”.

De la location à la propriété

Les bateaux se doivent donc d’offrir des espaces de vie plus importants en repensant leur architectu­re (voir encadré). “Les constructe­urs s’adaptent, ils écoutent les besoins des loueurs, avance Loïc Bonnet, Pdg de Dream Yacht Charter. Pour trois catamarans qui sortent d’un chantier, deux sont destinés à la location.”

Loin de parler de révolution ou de tournant, Jean-Paul Chapeleau parle d’une simple “évolution de l’offre pour capter de nouveaux clients” et ainsi “élargir le marché”. Jeanneau a notamment produit le SunLoft, un monocoque inspiré d’un catamaran disposant de 12 lits. Une offre proposée par des agences de voyages, un modèle que développe également Click & Boat (voir encadré).

Pour Édouard Gorioux, l’enjeu est ailleurs. “Il s’agit surtout de faire prendre conscience que c’est une activité plus accessible que ce que l’on peut imaginer. La location d’un 40 pieds pour huit personnes pendant une semaine aux Antilles ne coûte pas plus cher qu’un séjour au ski aux Menuires”, défend-il. Nicolas Gardies parle de “démystific­ation du bateau” et fait le constat que “tout le monde rêver de naviguer, mais n’en a pas forcément les moyens. Les sociétés de charter portent un changement et nous devons les accompagne­r”. En faisant monter sur le pont des personnes novices à la manoeuvre d’un voilier, l’objectif est bien évidemment de leur donner le goût de la mer. Nicolas Gardies le rappelle : “les jeunes peuvent plus tard devenir propriétai­res”.

“La location d’un 40 pieds pour huit personnes pendant une semaine aux Antilles ne coûte pas plus cher qu’un séjour au ski aux Menuires”

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Fraser Yachts.
“Un client aujourd’hui veut être responsabl­e, que la peinture soit non polluante, que le moyen propulsif consomme peu, et il demande d’où vient le poisson proposé au menu.” David Legrand, Fraser Yachts.
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Jeanneau.
“L’autre aspect qui se développe concerne les boat clubs, c’est-à-dire qu’un client paye une cotisation et peut profiter d’un bateau utilisable à la journée. Ce systèmey est déjàj très pprésent aux États-Unis”. Jean-Paul Chapeleau, Jeanneau.
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“La location d’un 40 pieds pour huit personnes pendant une semaine aux Antilles ne coûte pas plus cher qu’un séjourj au ski aux Menuires.” Édouard Gorioux, Click & Boat.

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