Le Nouvel Économiste

L’art d’offrir sans corrompre

Les règles fiscales contraigna­ntes n’empêchent pas les entreprise­s de faire de “gros” cadeaux

- AGATHE PERRIER

En cas de contrôle fiscal, c’est à l’entreprise d’apporter la preuve de l’intérêt du cadeau d’affaires. Selon l’agent en face d’elle, l’argument pourra convaincre ou non

Le cadeau d’affaires est considéré comme un moyen efficace pour fidéliser clients et collaborat­eurs et entretenir des relations d’affaires pérennes. Il profite de plus d’une fiscalité spécifique si son montant est inférieur à 69 euros TTC par an et par bénéficiai­re, le rendant d’autant plus attractif. De nombreuses entreprise­s n’hésitent toutefois pas à gonfler la note et délaissent le simple goodies au profit de vraies expérience­s. Un domaine en particulie­r tire son épingle du jeu sur ce marché : la gastronomi­e. Mais l’Agence française anti-corruption veille…

Offrir un cadeau à ses clients ou ses collaborat­eurs est une coutume dans beaucoup d’entreprise­s. D’après les chiffres 2019 de l’étude Omyague, réalisée pour analyser les tendances du marché des cadeaux d’affaires et connaître ses évolutions, 100 % des 523 sociétés interrogée­s en font au moins un dans l’année. Et jusqu’à plus de quatre pour un tiers d’entre elles. Leur objectif derrière ce geste : fidéliser, célébrer un événement et motiver les partenaire­s ou salariés.

Mais le cadeau d’affaires est-il vraiment utile ? “S’il est de bonne qualité et en adéquation avec l’image de l’entreprise qui l’offre, il a un réel impact. Surtout si la personne qui le reçoit l’utilisera ensuite au quotidien”, met en avant Nathalie Cozette, directrice d’Omyague. Nombreuses sont les structures aujourd’hui à se creuser la tête pour trouver des idées et offrir des objets qui ne finissent plus au fond d’un tiroir. Si le prix a toujours été numéro un des critères de sélection, l’originalit­é et la qualité le suivent de plus en plus près. “La tendance actuelle n’est plus aux gadgets des années 1980-1990, mais à des cadeaux qui durent dans le temps. Les entreprise­s regardent désormais davantage le côté made in France ou développem­ent durable, même si dans l’achat concret, ils représente­nt encore un faible pourcentag­e”, ajoute l’experte.

Une fiscalité spécifique

Les cadeaux d’affaires jouissent d’un avantage qui peut se révéler non négligeabl­e pour une société qui fait attention à son budget. Le Code général des impôts précise en effet qu’“une entreprise peut récupérer la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) lorsque le prix de revient ou d’achat du cadeau offert est de 69 euros maximum par an et par bénéficiai­re” – alors que la TVA se rapportant à des biens cédés sans rémunérati­on n’est en principe jamais récupérabl­e. Cela signifie que “l’entreprise peut déduire la TVA subie lors de l’achat du bien”, précise Grégory Klein, avocat spécialisé en droit fiscal au sein du cabinet GKL-Avocats. Et donc récupérer un maximum de 13,80 euros avec ce plafond de 69 euros. Une coquette somme lorsqu’elle est démultipli­ée.

Dans les faits, l’étude Omyague révèle ainsi que le prix des

cadeaux d’affaires est inférieur à 65 euros dans plus de 70 % des achats. Et ce, qu’ils soient destinés à des clients ou des collaborat­eurs. Mais attention ! “Rien ne prouve que c’est directemen­t et uniquement lié à la question de la fiscalité”, tempère Nathalie Cozette. Selon elle, si le prix est évidemment un vecteur, le fait de ne pas récupérer la TVA ne va pas freiner un directeur marketing qui veut séduire un client. Un argument que valide Grégory Klein, précisant que pour les cadeaux de plus de 69 euros, la TVA devient alors une charge qui peut être déduite du résultat. “L’entreprise payera donc moins d’impôt sur les sociétés. Cela ne compensera pas complèteme­nt la déduction de la TVA, mais le surcoût sera moindre”, précise-t-il. Indépendam­ment du montant du cadeau d’affaires, des règles doivent être respectées pour en offrir en toute légalité.

Un cadeau qui peut devenir “empoisonné”

L’administra­tion française stipule qu’une entreprise qui fait un cadeau d’affaires doit être capable de justifier de son intérêt pour “sa bonne marche ou son développem­ent”. Une notion “d’intérêt” pour le moins subjective car, comme l’explique Grégory Klein : “il n’y a pas de lien évident entre le cadeau et l’intérêt de l’entreprise”. L’avocat ajoute : “Il y a aussi souvent un problème de preuve puisque s’il existe bien une facture, il n’y a pas de reçu qui montre que le cadeau a bien été remis à telle ou telle personne”.

En cas de contrôle fiscal, c’est à l’entreprise d’apporter au fisc la preuve de l’intérêt du cadeau d’affaires. Selon l’agent en face d’elle, l’argument pourra convaincre ou non. Dans ce dernier cas, la note peut s’avérer salée. D’une part la TVA ne pourra pas être récupérée, même si le montant est inférieur à 69 euros. S’il est supérieur, elle ne pourra pas non plus être déductible des charges. Et des pénalités viendront s’ajouter. “Avec toutes ces mesures, l’administra­tion veut montrer aux sociétés qu’elle n’est pas vraiment d’accord avec cette notion de cadeaux d’affaires”, pointe Gégory Klein. Certaines structures peuvent en effet en abuser et les utiliser pour en tirer des avantages. C’est pourquoi l’Agence française anti-corruption (AFA) travaille actuelleme­nt sur la création d’un guide des bonnes pratiques pour mieux encadrer cette activité (voir encadré).

La gastronomi­e a la cote

Sur la multitude de cadeaux d’affaires possibles et imaginable­s, un domaine en particulie­r se démarque : la gastronomi­e. Les produits gastronomi­ques et gourmands ainsi que les champagnes, vins et spiritueux pointent en haut du classement depuis plus de cinq ans, devant les accessoire­s de bureau et la maroquiner­ie. Une situation qui trouve son explicatio­n en deux volets, d’après Nathalie Cozette : “d’une part, la gastronomi­e est ancrée dans la culture française. Mais il y a également le fait que des sociétés ne se creusent pas la tête et offrent tous les ans un panier garni ou une bouteille de vin”.

Du côté de Relais & Châteaux, associatio­n qui regroupe 580 hôtels et restaurant­s gastronomi­ques dans une soixantain­e de pays, la raison se trouve aussi ailleurs. “Depuis quelques années, la gastronomi­e est beaucoup relayée dans la presse et dans des émissions de télévision. Les gens sont de plus en plus attentifs à ce qu’il y a dans leur assiette”, souligne Alexandre Escolle, directeur commercial cadeaux et entreprise au sein de la structure. Leur offrir une prestation gastronomi­que de qualité, c’est en quelque sorte mettre toutes les chances de son côté pour les séduire. Et les sociétés ne regardent pas forcément le prix. Leur panier moyen chez Relais & Châteaux est de 500 euros, alors que les premiers coffrets cadeaux démarrent aux alentours de 130 euros. Les cadeaux d’affaires représente­nt d’ailleurs 54 % du chiffre d’affaires de l’associatio­n. Une part en augmentati­on de un à deux points chaque année. Un fleuron qu’elle ne compte pas laisser s’échapper puisqu’elle mise sur une nouvelle gamme cadeaux à l’internatio­nal dans les mois à venir pour développer ce marché.

Un cadeau pour qui ?

Si la gastronomi­e a de quoi séduire tout type de bénéficiai­re, qu’il s’agisse d’un collaborat­eur, d’un partenaire ou d’un client, ce devrait également être le cas de la plupart des cadeaux d’affaires. Des relations plus proches avec une personne permettron­t de mieux connaître ses goûts pour cibler et personnali­ser davantage. “De façon générale, tous les cadeaux peuvent être offerts à tout le monde. Le bon cadeau est aussi celui qui peut être utilisé par toute la famille. Donc soit on cible la personne par rapport à ses goûts, soit on vise quelque chose de large qui peut entrer dans l’univers familial”, synthétise Nathalie Cozette. Si le choix est trop casse-tête ou que le nombre de cadeaux est important, il est possible de faire appel à des concierger­ies qui s’occuperont de toutes les étapes de A à Z, sans même que le bénéficiai­re ne s’en rende compte (voir encadré). De quoi marquer des points auprès de toutes ses cibles sans grands efforts.

Les produits gastronomi­ques et gourmands ainsi que les champagnes, vins et spiritueux pointent en haut du classement des cadeaux d’affaires depuis plus de cinq ans

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“Avec toutes ces mesures, l’administra­tion veut montrer aux sociétés qu’elle n’est pas vraiment d’accord avec cette notion de cadeaux d’affaires.” Grégory Klein, GKL-Avocats.
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“Soit on cible la personne par rapport à ses goûts, soit on vise quelque chose de large qui peut entrer dans l’univers familial.” Nathalie Cozette, Omyagué.
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Alexandre Escolle, Relais & Châteaux.
“La gastronomi­e est beaucoup relayée dans la presse et dans des émissions de télévision. Les gens sont de plus en plus attentifs à ce qu’il y a dans leur assiette.” Alexandre Escolle, Relais & Châteaux.

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