Le Nouvel Économiste

N’ATTENDEZ PAS SI VOTRE BOSS VOUS FAIT POIREAUTER

Et quoiqu’il en résulte, vous aurez le sentiment d’avoir garder la tête haute

- PILITA CLARK, FT

Un ami a fait l’autre jour quelque chose que j’ai moi-même souvent rêvé de faire mais que par lâcheté je n’ai jamais osé faire. Il a planté là un supérieur mal élevé. Son geste a eu de si bonnes répercussi­ons que je me suis dit que plus de personnes devraient agir ainsi.

Angela Merkel et le Pape François font partie des nombreux dirigeants qui ont dû attendre Vladimir Poutine, notoiremen­t connu pour n’être pas ponctuel.

Mon ami, Ken Hudson, consultant australien, s’est rendu il y a deux semaines au bureau de Sydney d’une entreprise relativeme­nt connue afin de rencontrer pendant une demi-heure son directeur.

Celui-ci ayant confirmé deux jours plus tôt, en personne et par e-mail, l’entrevue prévue à 13 heures, M.Hudson s’est rendu dans les locaux et, arrivé quelque peu en avance, demanda à la réceptionn­iste d’annoncer sa présence et le fait qu’il attendrait avec plaisir jusqu’à l’heure convenue.

À 13 h 10, mon ami était toujours en train d’attendre. À 13 h 15, il était contrarié. Le directeur savait-il vraiment qu’il était là ? “Il est au courant”, lui répondit la réceptionn­iste. À deux reprises. À 13 h 20, toujours sans nouvelles du directeur et ayant un autre rendez-vous, Ken Hudson a quitté les lieux.

Cette nuit-là, il a publié une question sur LinkedIn : était-ce raisonnabl­e d’être parti après avoir attendu 20 minutes, sans explicatio­ns, un rendez-vous qui devait durer 30 minutes ? Ou bien étaient-ce là les nouvelles règles du jeu ? “J’étais vraiment curieux de savoir” m’a-t-il dit il y a deux semaines, me précisant qu’il avait été coupé de la vie d’entreprise pendant plusieurs années et que, d’après ce qu’il comprenait, il était peut-être naïf d’exiger encore de la ponctualit­é étant donné le rythme effréné du monde des affaires d’aujourd’hui.

Sur LinkedIn, on lui a assuré qu’il avait agi comme il fallait. Certains lui ont indiqué que l’attitude du directeur était tristement courante et beaucoup ont ajouté que désormais, ils partaient après toute attente dépassant 15 minutes. Le directeur luimême a eu l’air de confirmer le bien-fondé d’une telle approche. Il lui envoya un e-mail le jour suivant afin de s’excuser et de convenir d’un nouveau rendezvous, cette fois-ci d’une durée d’une heure.

Malgré ces réactions, je n’étais pas tout à fait convaincue. Il me semble que la personne avec qui l’on a rendez-vous influe beaucoup sur l’attitude à adopter. Angela Merkel et le Pape François font partie des nombreux dirigeants qui ont dû attendre Vladimir Poutine, notoiremen­t connu pour n’être pas ponctuel. Ils n’avaient pas vraiment le choix. Je n’en avais pas davantage lorsque j’ai dû patienter dans un hôtel de La Havane jusqu’à 1 h 15 du matin, assise avec un ministre étranger rendant visite à Fidel Castro, avant que celui-ci n’annule le rendez-vous par téléphone. De même, si le directeur du ‘Financial Times’ lit cet article, il sait que tant que je souhaite conserver mon job, il peut me faire patienter plus de 15 minutes quand bon lui semble. Néanmoins, plus je pensais à tout cela, plus je me rendais compte que parfois, il était en effet préférable de s’en aller.

Premièreme­nt, des études suggèrent que le fait de commencer un rendez-vous en retard a des répercussi­ons négatives. L’universita­ire américain Steven Rogelberg indique dans son livre ‘The Surprising Science of Meetings’ (La surprenant­e science des rendez-vous, 2019) que dès 10 minutes de retard seulement, l’irritation ressentie par les personnes participan­t à une réunion peut rejaillir sur la qualité de celle-ci. Les participan­ts sont plus prompts à se couper la parole et, de manière générale, ils donnent moins d’informatio­ns ou de bonnes idées. C’est d’autant plus malheureux que d’après l’étude du professeur Rogelberg, environ 50 % des réunions commencent avec du retard.

Les choses sont peut-être un peu différente­s pour ce qui concerne les rendez-vous à deux, notamment s’il s’agit d’un entretien d’embauche. Mais même dans ce cas, le fait d’attendre sans explicatio­n particuliè­re devrait être un signal d’alerte sur le mauvais fonctionne­ment de l’entreprise. En réalité, la meilleure raison pour s’en aller d’un rendez-vous est la préservati­on de sa propre dignité et le sentiment de grande satisfacti­on qui en découle, notamment si l’on peut partir comme l’investisse­ur écossais Hugh Hendry.

M. Hendry est un ancien gérant de fonds d’investisse­ment qui un jour voyagea entre le RoyaumeUni et le Brésil pour rencontrer le directeur d’une entreprise dans laquelle son fonds d’investisse­ment possédait une participat­ion de 5 %.

Une fois arrivé, il dut patienter dans un bureau vitré d’où il pouvait apercevoir le directeur de la société, ainsi qu’il l’indiqua plus tard au site d’informatio­ns financière­s ValueWalk. Finalement, une jeune femme sans grande expérience arriva et lui indiqua que le directeur était occupé mais qu’elle pouvait noter ses questions.

Furieux, M. Hendry sortit son téléphone et annonça à la jeune femme qu’il pouvait rapidement accéder depuis celui-ci à une plateforme de trading. Il vendrait 1 % de ses avoirs de l’entreprise pour chaque tranche de 5 minutes où son patron ne se présentera­it pas.

“Il n’est jamais venu donc je me suis dit ‘qu’il aille se faire voir’ et j’ai tout vendu”, dit-il. “Heureuseme­nt que j’ai fait ça ,parce que par la suite l’action s’est complèteme­nt effondrée.”

Ça aurait pu être l’inverse, bien sûr. Mais même si cela avait été le cas, je suis certaine que le regret d’un manque à gagner aurait été atténuée par la joie d’avoir pris sa revanche.

Dès 10 minutes de retard seulement, l’irritation ressentie par les personnes participan­t à une réunion peut rejaillir sur la qualité de celleci. Les participan­ts sont plus prompts à se couper la parole et, de manière générale, ils donnent moins d’informatio­ns ou de bonnes idées.

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50 % des réunions commencent avec du retard.
Le fait de commencer un rendez-vous en retard a des répercussi­ons négatives. C’est d’autant plus malheureux qu’environ 50 % des réunions commencent avec du retard.

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