Le Nouvel Économiste

Fonds de dotation ou fondation abritée ?

La facilité de création et d’administra­tion pour l’un, l’assurance de l’efficacité et de l’impact pour l’autre

- BENJAMIN PRUNIAUX

Aujourd’hui il existerait entre 600 et 800 fonds de dotation inactifs, démontrant la facilité de création à ses débuts mais aussi le manque de connaissan­ce du sujet de certains

En 2008,, Christine Lagarde,g, alors ministre de l’Économie dans le gouverneme­nt de François Fillon, a rendu possible la création de fonds de dotation dans sa loi de modernisat­ion de l’économie. L’idée de l’actuelle présidente de la BCE était de booster le secteur caritatif français en conjuguant la facilité de création d’une associatio­n avec le prestige et les atouts d’une fondation. Un peu plus de 10 ans plus tard, les fonds de dotations se sont fait une vraie place, mais c’est aussi tout le secteur qui a su évoluer et grandir. Les fondations reconnues d’utilité publique demeurent les actrices prépondéra­ntes de l’économie sociale et solidaire, notamment en “abritant” de plus en plus de jeunes initiative­s appelées à grandir, partageant leur expérience et réseau.

L’économie sociale et solidaire a connu des années 2010 plutôt fastes, notamment dans l’emploi privé avec 71 100 emplois créés jusqu’à la fin 2018. Jusqu’à la fin 2016, le solde était même plus important mais la forte réduction des emplois aidés et les réformes fiscales des gouverneme­nts d’Édouard Philippe ont fait ralentir nettement cette dynamique. Toutefois, entre 2010 et 2018, les seules fondations ont connu une belle croissance dans l’emploi avec +30,2 %. “Le point majeur est que le secteur des fondations se développe sous tous les aspects, l’emploi mais aussi les actifs et les dépenses qui ont crû d’une manière importante en dix ans”, souligne Jean-Marc Pautras, délégué général du Centre français des fonds et fondations, une plate-forme d’informatio­ns et d’échanges pour les fondations et fonds de dotation adhérents, offrant conseils et réseaux pour aider au développem­ent de la philanthro­pie. “La loi de 2008 a facilité l’exercice de la philanthro­pie en France”, affirme Suzanne Chami, déléguée générale de l’Institut Ideas, qui aide aussi les associatio­ns et fondations à se développer, notamment à travers son label dédié aux organismes à but non lucratif. Beaucoup de personnes et d’associatio­ns ont ainsi pu créer leur fonds de dotation et collecter de l’argent. “Cet essor de la philanthro­pie privée est arrivé pour tenter de pallier la diminution des fonds publics”, poursuit-elle.

Il est important de distinguer les associatio­ns des fondations.

La fondation est une institutio­n dédiée à l’intérêt général seulement, placée sous la tutelle de l’État, avec un conseil d’administra­tion qui prend les décisions. Il est question d’argent privé mis à dispositio­n d’une cause publique. Si une associatio­n peut se créer rapidement et gratuiteme­nt, une fondation requiert une autorisati­on et une somme d’argent minimum. Il en existe 7 types, dont les fondations reconnues d’utilité publique (Frup) qui peuvent faire appel aux dons du public.

Fonds de dotation, facile à créer, plus difficile à faire vivre

Le fonds de dotation est bien une sorte de pont entre associatio­n et fondation car il peut être créé par une seule personne, sans autorisati­on administra­tive préalable (avec une dotation minimale de 15 000 euros depuis 2015), et peut recevoir des dons et legs du public s’ils sont utilisés pour son activité d’intérêt général. “Il y a eu dimension très libre, pour ne pas dire libérale, dans la mise en place des fonds de dotation, se souvient Jean-Marc Pautras. En 2008-2009, ce fut une mode et tout le monde voulait en créer un, y compris les associatio­ns, pour pouvoir faire appel aux dons du public.” Aujourd’hui il existerait entre 600 et 800 fonds de dotation inactifs, démontrant la facilité de création à ses débuts mais aussi le manque de connaissan­ce du sujet de certains. “Les banques oubliaient de dire qu’il fallait des stratégies et des moyens, synthétise Jean-Marc Pautras. Collecter de l’argent est un métier, le montant de 15 000 euros de fonds minimum a limité ces créations inutiles.” Un fonds de dotation permet une grande liberté pour son fondateur, mais doit se munir d’un conseil d’administra­tion de minimum trois personnes. Fin 2017, on comptait quelque 2 500 fondations en France et 1 650 fonds de dotation en activité.“Alors que le nombre de fonds a explosé ces dix dernières années, les fondations reconnues d’utilité publique (Frup) ont peu augmenté, analyse Reha Hutin, présidente de la Fondation 30 millions d’amis. Nous sommes

passés d’environ 500 en 2009 à un peu plus de 659 en 2018, car le statut de Frup est lui toujours compliqué à obtenir.” Compliqué et fastidieux car la demande, qui doit être très complète et minutieuse, est traitée au ministère de l’Intérieur puis par le Conseil d’État. (cf. encadré).

S’abriter pour se développer

“La multiplica­tion des fonds de dotation et de la philanthro­pie en général nous concerne directemen­t, analyse Suzanne Chami de l’Institut Ideas. Soutenir un projet c’est bien, mais il faut aussi penser à sa structure avec des hommes et des femmes qui s’engagent, il faut réfléchir à la gouvernanc­e, aux circuits de décisions, etc.” Autrement dit, de belles intentions ne suffisent pas à faire vivre un projet d’envergure.

Pour s’implanter le plus facilement et efficaceme­nt possible dans le monde caritatif, de plus en plus d’acteurs choisissen­t alors le statut de fondation abritée. “Je peux comprendre un donateur qui décide de fonder son organisme, mais l’expérience qu’ont les grandes fondations est primordial­e, intervient Denis Le Squer, président du directoire de la Fondation pour la recherche médicale, qui compte 19 fondations abritées. Nous serons capables de dire à une fondation abritée ce qui nous paraîtra pertinent ou pas.” Pendant très longtemps, le rôle de fondation abritante fut réservé à la Fondation de France, créée par Michel Pomey et André Malraux en 1969 (près de 800 fondations y sont abritées) “Ce qui est récent dans le paysage français, c’est de donner la possibilit­é à d’autres fondations d’avoir ce statut”, explique Suzanne Chami. La Fondation de France encourage les autres fondations à assumer ce rôle, et elles sont de plus en plus nombreuses à le faire afin de répondre à un véritable besoin du secteur. “La fondation abritée n’a pas de personnali­té morale et juridique distincte de la fondation qui l’abrite, l’abritante gère les biens de l’abritée contre une rémunérati­on, ce qui lui permet de se concentrer sur les causes qu’elle défend et ses collectes de dons”, précise-t-elle. Ce dispositif offre à une personne ou une famille un outil juridique simple assorti d’un avantage fiscal. Il permet également de bénéficier du statut de Frup de la fondation abritante.

Image et indépendan­ce

La Fondation Notre-Dame, reconnue d’utilité publique, est devenue abritante en 2008. “À

La Fondation de France encourage les autres fondations à assumer le rôle de fondation abritante, et elles sont de plus en plus nombreuses à le faire afin de répondre à un véritable besoin du secteur

la base, c’était pour financer deux collectes pour la fondation des Bernardins et celle de KTO, se souvient Christophe Rousselot, son directeur général. Par la suite, le conseil d’administra­tion a souhaité que puissent être développée­s d’autres fondations qui feraient un appel public à la solidarité.” Aujourd’hui, la Fondation NotreDame tient sous son aile 17 fondations abritées, mais également 21 fondations privées qui ne peuvent pas collecter de l’argent pour les causes qu’elles défendent. “Notre but n’est pas d’augmenter le nombre de fondations abritées, mais de nous assurer d’avoir la même vision des choses avec les fondateurs”, poursuit Christophe Rousselot. L’image de marque d’une fondation abritante représente un bien précieux, et cette dernière choisit soigneusem­ent les nouvelles causes qui confortero­nt cette image et prolongero­nt son oeuvre.

Autres exemples intéressan­ts, ceux de la Fondations pour la recherche médicale et de Fondation pour la Recherche sur Alzheimer (FRA), toutes deux Frup. Pourtant, la seconde fut d’abord abritée par la première et ses 73 ans d’expérience. Née associatio­n en 2004, la FRA est d’abord devenue fondation abritée puis une Frup indépendan­te en 2016. “L’Alzheimer bénéficie de peu de recherche par rapport au cancer, malgré un million de personnes touchées en France”, expose son directeur, Jean-Luc Angelis. Mais après avoir bien grandi en termes de projets et de salariés, la FRA a pu prendre son envol. “C’était un réel sacrifice de nous mettre à la porte pour la FRM, qui fait aussi de la recherche sur Alzheimer, et nous sommes devenus en quelque sorte des concurrent­s.” Concurrent­s mais amis, avec la seule utilité publique comme mantra.

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“Je peux comprendre un donateur qui décide de fonder son organisme, mais l’expérience qu’ont les grandes fondations est primordial­e.” Denis Le Squer, Fondation pour la recherche médicale.
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toujours compliqué à obtenir.” Reha Hutin, Fondation 30 millions d’amis.
“Ces dix dernières années, les fondations reconnues d’utilité publique ont peu augmenté. Nous sommes passés d’environ 500 en 2009 à un peu plus de 659 en 2018, car le statut de Frup est lui toujours compliqué à obtenir.” Reha Hutin, Fondation 30 millions d’amis.
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“La fondation abritée n’a pas de personnali­té morale et juridique distincte de la fondation qui l’abrite, l’abritante gère les biens de l’abritée contre une rémunérati­on.” Suzanne Chami, Ideas.

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