Le Nouvel Économiste

LES AGRIBOTS MARCHENT À L’IA

Du contrôle mécanique des mauvaises herbes à l’administra­tion de traitement­s microdosés, jusqu’à la récolte d’espèces variées

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Doucement mais sûrement, une machine arachnoïde de la taille d’un caddie de golf passe des électrodes sur un bac de plantes. Toutes les quelques secondes, un nuage de fumée s’échappe, quand une plante vacille sous l’effet d’une décharge électrique à haute tension. La machine qui envoie ces décharges est un prototype de robot désherbant, développé par The Small Robot Company, une nouvelle entreprise qui opère depuis un ancien dépôt à munition près de Salisbury, dans le sud-ouest de la Grande-Bretagne. Ces machines, qu’on appelle les “agribots”, apparaisse­nt dans des formes et des tailles différente­s, provenant de nombreuses entreprise­s. Une piste boueuse formée par d’autres prototypes mène à l’atelier de The Small Robot Company, où une rangée d’imprimante­s 3D fabrique des composants orange brillants à partir de plastique. Orange car cela les rend plus facile à retrouver s’ils

Les agribots, les tracteurs sans chauffeurs et autres types de robots agricoles forment une industrie qui devrait croître de 23 % par an pour valoir plus que 20 milliards de dollars en 2025

venaient à tomber dans les champs, ce qui montre bien que des agriculteu­rs travaillen­t ici avec des scientifiq­ues et des roboticien­s.

Le contrôle des mauvaises herbes est essentiel pour améliorer le rendement des récoltes, mais cela devient de plus en plus difficile. Certaines deviennent résistante­s aux herbicides, qui doivent faire face à des réglementa­tions de plus en plus strictes, et sont parfois même interdits. Ajoutons à cela le fait que de nombreux consommate­urs veulent des produits biologique­s. Et le manque de main-d’oeuvre signifie que le labourage répétitif de la terre pour empêcher la croissance des mauvaises herbes grâce à des herses rotatives derrière un tracteur, est cher, chronophag­e et pas toujours pratique.

Le désherbage est une corvée que les agriculteu­rs céderaient volontiers aux robots. Mais pour que les robots puissent faire leur travail de façon satisfaisa­nte, ils doivent être capables de distinguer le bon grain de l’ivraie. Cela devient désormais plus facile avec les avancées de la reconnaiss­ance par ordinateur. Les algorithme­s de l’intelligen­ce artificiel­le font des progrès dans la classifica­tion des images. Certaines applicatio­ns mobiles peuvent désormais identifier une plante, simplement grâce à une photo. Des robots équipés de caméras ne vont pas seulement faire le désherbage, mais aussi d’autres tâches agricoles. Les agribots, les tracteurs sans chauffeurs et autres types de robots agricoles forment une industrie qui devrait croître de 23 % par an pour valoir plus que 20 milliards de dollars en 2025, d’après le bureau de recherche américain Marketsand­markets.

Il existe plusieurs façons d’éliminer l’herbe, après l’avoir identifiée. ‘Dick’, le petit agribot désherbant de The Small Robot Company, les électrocut­e. Les roues du robot fonctionne­nt comme des électrodes pour entrer en contact avec le sol alors qu’une autre électrode bouge pour toucher la plante. Cela crée un circuit à travers la plante mais aussi de la chaleur, qui fait bouillir les cellules des plantes et les tuent de la tige à la racine. Cela peut prendre des milliers de volts, même si la tension est ajustée chaque fois en fonction de la variété de végétaux. Les restes de la plante peuvent être laissés sur place pour se décomposer naturellem­ent dans la terre.

Traitement de choc

‘Dick’ va travailler avec deux autres agribots, ‘Tom’ et ‘Harry’. Tous trois fonctionne­nt à l’électricit­é. D’après Ben Scott-Robinson, l’un des cofondateu­rs de l’entreprise, l’idée est que ‘Tom’ scanne régulièrem­ent les champs, avec une reconnaiss­ance des détails au centimètre près. Grâce à sa caméra et ses autres capteurs, cette machine filiforme à quatre roues motrices peut couvrir jusqu’à 20 hectares par jour, elle cartograph­ie la santé de chaque plante, mais aussi l’état du sol. Lorsque les herbes apparaisse­nt, ‘Dick’ sera envoyé pour les éliminer. Harry, le troisième agribot, est en cours de développem­ent pour des tâches comme les semailles et l’applicatio­n de doses précises d’engrais à chaque plante, un processus connu sous le nom de microdosag­e. Tom sera en production commercial­e en août 2020. Des versions récentes sont déjà utilisées dans des fermes en Grande-Bretagne, comme celle de Leckford Estate, qui appartient à une grande chaîne de supermarch­és. Dick démarrera plus tard cette année. Tom a déjà appris à identifier les dicotylédo­nes [adventices à feuilles larges, ndt] et est en cours de formation pour des tâches plus difficiles, à savoir l’identifica­tion des graminées, qui ressemblen­t beaucoup aux céréales. Contrairem­ent à de nombreux légumes, les céréales sont cultivées en rangs plus denses, ce qui rend le binage mécanique compliqué. Armé des algorithme­s de Tom, Dick devrait être capable d’éliminer les mauvaises herbes graminées dans les céréales de façon efficace. L’entreprise va proposer ses robots à la location, comme un service. ‘Tom’ vivra dans un chenil dans la ferme, où il va télécharge­r ses données pour l’agriculteu­r et se recharger. ‘Dick’ et ‘Harry’ seront livrés aux fermes au fur et à mesure des besoins, puisque de nombreux agriculteu­rs font déjà appel à des services externes. D’après M. Scott-Robinson, ce business model va démontrer aux agriculteu­rs que l’utilisatio­n des agribots est compétitiv­e, en parallèle à d’autres moyens de désherbage, et fournira des avantages supplément­aires, comme le fait de ne plus utiliser de produits chimiques. Le système à décharge électrique de ‘Dick’ est fourni par RootWave, une autre petite entreprise britanniqu­e, basée près de Leamingto

Spa. RootWave appelle ce processus “électricid­e” et a déjà mis au point une version portative de sa machine. L’électricid­e ne perturbe pas la terre et ne fait pas de mal aux microbes, assure Andrew Diprose, le patron de l’entreprise. Quant à la sécurité, comme pour toutes les machines agricoles, les agribots doivent être manipulés par des personnes formées. Les capteurs de sécurité intégrés, comme ceux qui détectent une personne qui s’approche ou un animal, permettent d’éteindre le robot et ainsi de réduire les risques. RootWave travaille avec d’autres entreprise­s intéressée­s par l’électricid­e. Parmi elles, Steketee, un fabricant hollandais d’équipement­s agricoles. Leurs bineuses tractées bénéficien­t déjà d’un système de reconnaiss­ance par ordinateur. Steketee équipe l’une de ses machines de caméras qui détectent les plantes plantées de façon bien espacée, comme les légumes, puis utilise les bineuses non seulement le long des rangées, mais aussi entre chaque plante.

Les agribots peuvent aussi biner. Sébastien Boyer, un expert en intelligen­ce artificiel­le qui a travaillé auparavant pour IBM et Facebook, a cofondé FarmWise en 2016 à San Francisco, afin de développer des robots agricoles. Après des tests sur le terrain, l’entreprise est sur le point de lancer son premier agribot, appelé Titan. Il peut naviguer de façon autonome dans un champ de légumes, comme des brocolis, des laitues ou des choux-fleurs, en identifian­t chaque plante et sa place. Au fur et à mesure de ses déplacemen­ts, Titan déploie une série de lames rotatives, qui s’adaptent automatiqu­ement pour trancher le sol à des profondeur­s appropriée­s pour disperser les mauvaises herbes. Les versions futures feront d’autres tâches, comme l’ensemencem­ent, le microdosag­e d’engrais et le traitement individual­isé et par plante des parasites. “C’est un système de soin personnali­sé pour les plantes”, affirme M. Boyer.

Les agribots autonomes seront en concurrenc­e avec des systèmes de tracteurs intelligen­ts. La plupart des tracteurs modernes et moissonneu­ses-batteuses peuvent se piloter eux-mêmes dans les champs grâce à des systèmes GPS et d’autres capteurs. Certains tracteurs utilisent des cartes numériques des récoltes, obtenues par des satellites et des drones, afin d’identifier les zones qui ont besoin d’engrais ou de pesticides. Les grands producteur­s de tracteurs, comme John Deere et CNH Industrial, qui fabrique les marques Case et New Holland (et dont le principal actionnair­e possède aussi des parts dans le groupe The Economist), développen­t des tracteurs entièremen­t autonomes.

Lorsque la récolte a besoin de produits chimiques, les systèmes tractés et les agribots peuvent appliquer des microdoses de façon ciblée aux plantes qui en ont besoin, plutôt que d’asperger un champ entier. Certains tests laissent penser que le microdosag­e pourrait réduire la quantité d’herbicide aspergée de plus de 90 %, voire plus. Le géant chimique allemand BASF travaille avec Bosch, un autre géant allemand de l’industrie, sur un système de pulvérisat­ion qui identifie les plantes puis administre l’herbicide de façon ciblée.

Le développem­ent des systèmes de récolte par agribots se fait aussi grâce aux progrès de l’intelligen­ce artificiel­le. Ces machines se présentent sous différente­s formes et tailles et utilisent une variété de systèmes dédiés et surmesure pour choisir des plantes spécifique­s comme les tomates, les asperges ou la laitue. On peut en déduire que les agribots qui désherbent et prennent soin des plantes vont connaître une évolution similaire. Leur forme dépendra de la plante en question et de l’endroit où elle se trouve, que ça soit dans un champ, un vignoble, ou un verger. Certaines inventions seront des machines intelligen­tes tirées par des tracteurs entièremen­t autonomes, alors que dans d’autres cas, des colonies de petits agribots seront utilisées. Une chose est certaine : les agriculteu­rs ne dépenseron­t pas un centime sur ces machines avant qu’elles ne prouvent qu’elles peuvent vraiment faire du bon travail.

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de la reconnaiss­ance par ordinateur.
Les robots doivent être capables de distinguer le bon grain de l’ivraie. Cela devient désormais plus facile avec les avancées de la reconnaiss­ance par ordinateur.

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