Le Nouvel Économiste

Pourquoi nous ne résistons pas aux avis en ligne

Difficile de ne pas consulter les appréciati­ons sur Google, Yelp ou Expedia, même si vous soupçonnez qu’elles peuvent être fausses

- ELAINE MOORE, FT

J’ai reçu cette semaine dans ma boîte mail une requête délicate d’un ami, qui vient de publier un livre. Étant donné que des commentair­es en ligne peuvent influer sur le destin d’un livre, il a envoyé un courriel à tous ses contacts pour nous demander d’en écrire un.

Délicat car jusqu’ici, je n’ai fait que lire le livre en diagonale et j’ai vérifié dans les remercieme­nts si mon nom y figurait (la réponse est non).

Les opinions et commentair­es en ligne sont monnaie courante mais jusqu’à mon déménageme­nt à San Francisco, je n’avais jamais rencontré autant de gens qui en recherchen­t activement.

Le chirurgien-dentiste qui a extrait ma dent de sagesse me rappelle de publier une recommanda­tion en ligne pour lui chaque fois que je passe faire un check-up chez lui. Une affiche dans la laverie automatiqu­e de ma rue demande aux clients de lui donner cinq étoiles.

Bien entendu, San Francisco est la patrie du site de recommanda­tions Yelp, la première start-up à avoir vraiment capitalisé sur le business des notes, classement­s et commentair­es publiés par les internaute­s. L’authentici­té des commentair­es sur Yelp est mise en doute depuis sa fondation, en 2004, par Russel Simmons et Jeremy Stoppelman, précédemme­nt ingénieurs chez PayPal. Dès le lancement, les commerçant­s se sont plaints des commentair­es négatifs.

Il y a eu des procès contre la société. Certains ont essayé de frauder en postant des commentair­es très élogieux, et au contraire des descentes en flammes de leurs concurrent­s. Yelp a déclaré par le passé qu’il rejette environ un quart de tous les commentair­es envoyés sur son site.

La fraude à la recommanda­tion en ligne peut être juteuse. En 2013, les chercheurs Georgios Zervas et Michael Luca avaient conclu qu’une étoile en plus sur Yelp faisait augmenter les recettes, jusqu’à 10 %. Ce qui peut expliquer pourquoi ils ont aussi découvert qu’au moins 16 % des critiques en ligne étaient des faux.

Plus le commerce migre en ligne, plus ce pourcentag­e est susceptibl­e d’augmenter. Cependant, il est difficile de ne pas lire studieusem­ent ces opinions publiées sur Google ou Yelp ou Expedia quand vous vous installez dans une nouvelle ville, même si vous soupçonnez que certaines ont été écrites par des amis, la famille, et que d’autres peuvent être des faux. Pour la personne lambda qui consulte son téléphone, faire le tri dans ces commentair­es douteux est difficile. Il existe des milliers de commentair­es à cinq étoiles pour des produits obscurs vendus sur Amazon. Par exemple : “Quand je charge mon téléphone, tout le monde m’envie”. De quoi se poser des questions sur leur véracité.

De mauvaises notes attribuées par vengeance sont assez facilement repérables aussi. En 2015, le docteur Walter J. Palmer, dentiste dans le Minnesota, a tué Cecil au Zimbabwe, un lion adoré des touristes. Sa page profession­nelle sur Yelp s’est alors remplie de notes à une seule étoile et de plaintes : son cabinet était sale, son personnel était désagréabl­e. Même les commentair­es légitimes peuvent être biaisés. Les personnes qui veulent partager leurs opinions sur les restaurant­s sont en général blanches et aisées.

Les commentair­es sur les films, les programmes de télévision et les jeux sont dominés par des hommes jeunes, ce qui peut expliquer pourquoi le film ‘Avengers : Endgame’ a obtenu un score de 90 % de satisfacti­on sur le site consacré aux films, Fandango. Alors que le film ‘Damsels in Distress’ (Demoiselle­s en détresse) n’est apprécié qu’à 39 %.

La chose étrange, que je trouve la plus intéressan­te, est à quel point la plupart d’entre nous détestons laisser un commentair­e négatif pour des services que nous avons testés personnell­ement. Parce que vous avez utilisé le drap de bain de quelqu’un dans un Airbnb, ou parce que vous les avez vus cuisiner dans leur restaurant, peut-être, il devient alors difficile d’écrire quelque chose de négatif. Surtout si selon vous ils risquent de le lire. J’ai rencontré des problèmes avec quelques lecteurs de cette chronique l’an dernier quand j’ai avoué que je laisse des commentair­es positifs même pour le plus banal des Airbnb. Mais si vous lisez les autres commentair­es sur le site, vous constatere­z que je ne suis pas la seule. Certains tentent de faire passer des messages codés dans leur commentair­e (“central” veut souvent dire bruyant au point de ne pas fermer l’oeil de la nuit). Mais même la plus légère critique déclenche en général une réaction outrée du propriétai­re. À moins que le séjour n’ait été vraiment terrifiant, il est plus facile de laisser quelque chose de gentil, ou rien du tout.

D’un côté, c’est une bonne chose. C’est la preuve que la civilité en ligne existe. D’un autre, cela annule la crédibilit­é des commentair­es publiés et suggère que nous ne devrions arrêter de nous y fier.

La fraude à la recommanda­tion en ligne peut être juteuse. En 2013, les chercheurs Georgios Zervas et Michael Luca avaient conclu qu’une étoile en plus sur Yelp faisait augmenter les recettes, jusqu’à 10 %. Ce qui peut expliquer pourquoi ils ont aussi découvert qu’au moins 16 % des critiques en ligne étaient des faux.

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Il existe des milliers de commentair­es à cinq étoiles pour des produits obscurs vendus sur Amazon. Par exemple : “Quand je charge mon téléphone, tout le monde m’envie”. De quoi se poser des questions sur leur véracité.

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