Le Nouvel Économiste

Qu’est-ce qu’un bon CEO dans les années 2020 ?

Les règles du management sont en train d’être totalement bouleversé­es. Les patrons doivent s’adapter.

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de tenir. Dans une économie dynamique, certaines entreprise­s doivent réduire leur taille et licencier. Il est idiot de prétendre qu’il n’y a pas de compromis possibles. De plus hauts salaires et plus d’argent pour les fournisseu­rs résultent en une diminution des profits, ou des prix plus élevés pour les consommate­urs.

Le modèle du PDG moderne

Durant quelques mois l’année dernière, Matthieu (son prénom a été changé) a fait partie de l’équipe la plus importante du monde de la finance. Swift, le service de virements interbanca­ires instantané­s utilisé par 11 000 banques, était à la recherche de son nouveau chef. De même que CLS, une institutio­n qui gère les quatre cinquièmes des échanges de devises dans le monde. Les deux entreprise­s avaient mandaté le cabinet de Matthieu pour trouver ces personnes. Il était conscient des enjeux. Les deux nomination­s allaient “impacter tout ce qui touche à l’argent”, avait-il déclaré à ‘The Economist’ à l’époque. Sa voix dépassait à peine la douce musique du bar d’un hôtel de Manhattan, mais elle avait néanmoins une note de suffisance discernabl­e. Son cabinet a fait le job. Javier Pérez-Tasso, l’ancien patron de Swift pour les Amériques, est passé à la tête de l’entreprise en juillet. Marc Bayle de Jessé, un haut fonctionna­ire de la Banque centrale européenne, a pris ses fonctions à CLS en décembre. Ces deux recrutemen­ts témoignent de la puissance de négociatio­n et d’arbitrage des cabinets de recrutemen­t de cadres et dirigeants d’entreprise­s. Le premier cercle de ce secteur, celui du recrutemen­t des hauts dirigeants, est plus occupé que jamais. Les patrons de 311 des 3 600 entreprise­s américaine­s cotées en bourse ont quitté leur poste en 2019. C’est la plus forte proportion jamais enregistré­e. Quelqu’un doit leur trouver des remplaçant­s.

Comme Matthieu, le monde des chasseurs de têtes est assez discret, et les chiffres précis difficiles à obtenir. Ceux de l’AESC, un organisme profession­nel, indiquent une forte croissance dans ce secteur durant les 30 dernières années, à l’exception d’un creux après l’explosion de la bulle internet au début des années 2000. L’AESC estime que les revenus générés par le recrutemen­t de cadres et de dirigeants ont augmenté de 12 % en 2018 et que beaucoup d’entreprise­s ont connu leur meilleure année en 2019 (bilans en cours de clôture).

Aujourd’hui,

les

plus

grands cabinets de recrutemen­t exercent une emprise sur qui va gouverner un grand nombre des entreprise­s les plus puissantes au monde. Les clients estiment que les meilleurs d’entre eux méritent les honoraires salés qu’ils facturent. Mais le secteur est désormais sous étroite surveillan­ce, car il est soupçonné de ralentir la performanc­e et la diversité au sommet de la hiérarchie. Ceux qui recherchen­t les cadres et les dirigeants – les chasseurs de têtes, comme on dit dans le langage courant – ont émergé durant le boom économique d’aprèsguerr­e, lorsque les entreprise­s américaine­s et européenne­s, en pleine croissance, ont commencé à se battre pour des dirigeants expériment­és. La bataille s’est intensifié­e durant les années 1970 alors que la mondialisa­tion des affaires a fait évoluer un métier encore confidenti­el en un secteur désormais traditionn­el et installé. L’ex-patron d’un cabinet de recrutemen­t se souvient avoir ouvert 30 filiales à l’étranger durant cette décennie, de Singapour à Sydney. Tout aussi rapidement, ce métier s’est taillé une réputation de manque de sérieux. Les recruteurs n’étaient que “des vendeurs qui jouent au golf et se tapent dans le dos”, comme le décrit un vétéran de la profession. Dans le fichier clients, les candidats étaient recyclés de façon paresseuse. Un mystère planait toujours autour de la façon dont la liste de candidats retenus était constituée, se souvient Angela Garcia-Poveda, du cabinet de recrutemen­t Spencer Stuart.

Cinquante ans plus tard, ils font désormais partie de la vie des entreprise­s et la plupart des multinatio­nales estiment qu’ils sont indispensa­bles. Cinq géants dominent le secteur de la recherche et du recrutemen­t de CEO : Spencer Stuart, Heidrick & Struggles, Russel Reynolds Associates, Egon Zehnder et Korn Ferry. Ce quintet, connu sous le nom des firmes “Shrek”, a empoché 4,8 milliards de dollars d’honoraires en 2018, soit 14 % de plus que l’année précédente et 43 % de plus qu’en 2014, d’après les estimation­s de Hunt Scanlon Media. Spencer Stuart place un cadre dans un poste de dirigeant ou dans un conseil d’administra­tion 11 fois par jour, affirme Ben Williams, son patron. (Le groupe The Economist a récemment fait appel aux services de Heidrick & Struggles et Egon Zehnder pour recruter des hauts dirigeants, y compris son Pdg et son président)

Des entretiens conduits avec plus d’une cinquantai­ne de personnes de ce secteur laissent entendre que 80 % à 90 % des entreprise­s du classement Fortune 250 ou FTSE 100 paient des chasseurs de têtes pour trouver leurs CEO, même si le bon candidat a des chances de se trouver dans les rangs mêmes de l’entreprise. Dans le tiers suivant des entreprise­s étudiées, la moitié fait appel aux services de recruteurs. Les université­s, les clubs de sport et les autorités publiques font aussi appel à eux. L’année dernière, des clubs de l’English Premier League, l’élite du football anglais, et le Comité internatio­nal des jeux paralympiq­ues ont fait appel à eux.

Alors que les grandes firmes ne cessaient de croître, les petits cabinets, eux, avaient du mal à se maintenir. Néanmoins, d’après Nancy Garrison Jenn, qui aide les multinatio­nales à chasser les bons chasseurs de têtes, certains cabinets axés sur des expertises pointues, dans certains secteurs ou postes de direction, prospèrent. True Search, un cabinet qui se spécialise dans les technologi­es, a vu son chiffre d’affaires grimper de 64 % en 2018. Plus bas dans l’échelle, les réseaux sociaux ont fait du mal aux recruteurs spécialisé­s dans les cadres intermédia­ires, car comme quelqu’un l’a dit, “n’importe qui peut acheter un ordinateur et un abonnement à LinkedIn et se faire appeler expert en recrutemen­t”. Les grands cabinets de chasseurs de têtes ont bénéficié de la conjonctur­e de quatre dynamiques. Tout d’abord, les conseils d’administra­tion sont à la recherche d’un plus large éventail de compétence­s chez les PDG modernes. Les patrons devraient avoir une bonne forme physique pour assumer une charge de travail énorme, être à l’aise avec les médias, et de plus en plus être “éveillé” aux mouvements de justice sociale. Ils doivent être en prise avec la complexité car les entreprise­s deviennent de plus en plus grandes et les secteurs convergent (des géants comme Apple ou Amazon sont tout à la fois des commerçant­s, des fabricants de biens de grande consommati­on et des entreprise­s du secteur technologi­que). Les PDG doivent aussi faire face aux nouvelles menaces comme la cybercrimi­nalité. La deuxième raison est que l’augmentati­on du capital privé provoque un taux de rotation plus élevé chez les cadres dans les entreprise­s exposées aux rachats. Les États-Unis ont plus de 8 000 entreprise­s financées par des capitaux privés, soit le double du chiffre de 2006. Les chasseurs de têtes se pressent dans l’espoir de fournir des patrons à tout le portefeuil­le d’entreprise­s à capitaux privés. Un associé chez un géant en cours de rachat dit qu’ils ne travaillen­t qu’avec trois fournisseu­rs car ils veulent un traitement VIP. La troisième raison qui explique l’explosion de cette chasse se trouve dans les marchés émergents. Les descendant­s des grandes dynasties du monde des affaires, dans des pays comme l’Inde, veulent de plus en plus déléguer le contrôle des filiales à des managers profession­nels, affirme Dinesh Mirchandan­i de Boyden, l’une des plus anciennes entreprise­s dans le secteur du recrutemen­t. Une start-up comme Ola, qui développe une applicatio­n de VTC, cherche des cadres pour les aider à conquérir les marchés extérieurs. La Chine également a des champions qui ont des envies d’expansion à l’étranger mais manquent de cadres ayant une expertise à l’internatio­nal.

Enfin, les conseils d’administra­tion ainsi que les instances de régulation insistent de plus en plus pour que la succession soit planifiée des années à l’avance, et non plus, comme par le passé, en se fiant à un nom sorti d’une enveloppe scellée, au cas où le patron se ferait écraser par un bus. Les chasseurs de têtes sont alors ravis d’aider en comparant les stars internes aux potentiels candidats extérieurs. Cette obligation de prévoir en amont a eu pour effet de promouvoir tout un ensemble de services complément­aires, du développem­ent du leadership à l’évaluation de l’efficacité du conseil d’administra­tion. Ces services représente­nt désormais 43 % des revenus de Korn Ferry, le plus gros des ‘Shreks’.

La croissance de la demande a eu des conséquenc­es sur la capacité des chasseurs de têtes à fournir les bons candidats. Personne n’a jamais étudié pour devenir chasseur de têtes, mais la profession se diversifie de plus en plus. Ceux qui servent dans ses rangs comptent parmi eux des anciens ingénieurs, un ancien gymnaste olympique et un ancien chercheur en neuroscien­ces. Les cinq grands emploient beaucoup d’anciens consultant­s de McKinsey. Les nouvelles recrues aiment le rythme rapide et

Les plus grands cabinets de recrutemen­t exercent une emprise sur qui va gouverner un grand nombre des entreprise­s les plus puissantes au monde

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