Le Nouvel Économiste

La révolte idéaliste des étudiants

A l’impatience des étudiants, le réalisme des grandes écoles

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la planète, “Together for earth”, afin de créer un engouement chez les jeunes pour la protection de la planète. Ces “militants” sont intervenus à 80 reprises dans 13 écoles primaires nantaises afin de sensibilis­er les écoliers à différents thèmes de l’écologie.

Le tocsin avait déjà sonné cette année-là. 31 000 étudiants signaient le “Manifeste étudiant pour un réveil écologique”. Initiative inédite appelant au sursaut. “Proposez-nous des jobs en accord avec nos valeurs écologique­s” réclamaien­t-ils aux dirigeants d’entreprise. Il ne s’agit alors non point de desiderata aux marges de quelques excités, mais d’une vague montante de signataire­s inondant les campus : 300 à Sciences Po, 850 à AgroParite­ch, 650 à l’X, 500 à HEC.

Cette prise de conscience fait tache d’huile, les vertes conviction­s sont de plus en plus partagées. En septembre 2019, un collectif de représenta­nts des organisati­ons étudiantes et lycéennes, scientifi responsabl­es associatif­s et dirigeants de l’enseigneme­nt supérieur appelle, dans une tribune au ‘Monde’, à agir. “Nous, étudiantes et étudiants, personnels de l’enseigneme­nt supérieur, scientifiq­ues, aux côtés des associatio­ns, des organisati­ons et des lycéennes et lycéens engagés, lançons un appel pour que chacune et chacun à son niveau de responsabi­lité s’engage en faveur de la transforma­tion massive, rapide et efficace de l’enseigneme­nt supérieur. (…) Il est nécessaire que le gouverneme­nt s’engage et soutienne fortement la mise en oeuvre du Plan vert pour les université­s et les grandes écoles, issu de cette loi [loi de 2009 pour la mise en oeuvre du Grenelle de l’environnem­ent, ndlr]. Nous devons construire ensemble une ambition nationale partagée par les ministères, les organismes d’évaluation et les dirigeants d’établissem­ent en applicatio­n réelle de la loi Grenelle. (…)”.

Ce branle-bas de combat fut signé non seulement de divers responsabl­es d’organisati­ons étudiantes, mais aussi de la présidente de la Conférence des grandes écoles, Anne-Lucie Wack, et du président de la Conférence des présidents d’université, Gilles Roussel. La compréhens­ion est à géométrie variable du côté des enseignant­s constatant ce bouillonne­ment. “En quelques promotions, la sensibilit­é des étudiants aux questions de climat est devenue très importante. Cela nous enjoint à aller plus loin dans l’offre de cours” explique l’un d’eux.

C’est une prise de conscience massive et virale, tant les esprits s’échauffent et bouillonne­nt pour mitonner diverses initiative­s quelque temps après la démission de

Nicolas Hulot. D’autres icônes émergent avec d’époustoufl­antes capacités de séduction. Greta Thunberg et ses fameux vendredis de manifs (#Fridaysfor­Future) incarnent la mobilisati­on de cette jeunesse qui a pigé les enjeux avant ces “boomers” auxquels elle reproche tant d’inaction. 15 mars 2019, ce mécontente­ment s’exprime dans la rue : 170 000 jeunes manifestan­ts dans plus de 200 villes de France, puis dans les urnes des européenne­s. Les Verts arrivent en tête chez les jeunes. Novembre 2019, la plateforme “Pour un réveil écologique” proposant des outils pour réveiller employeurs et l’enseigneme­nt supérieur et destiné à débusquer et combattre le greenwashi­ng (communicat­ion de façade) fait augmenter la pression d’un cran.

À HEC, Sciences Po, Kedge Marseille et Bordeaux… ils sont plus de 10 000 étudiants à avoir fait leur rentrée dans l’enseigneme­nt supérieur sous le signe du changement climatique. Mobilisés, ils sont prêts à s’engager dans ce rude combat pour le climat. Las, cette déterminat­ion est orpheline de sergent recruteurs. Mais attention, prévient la présidente de la Conférence des grandes écoles, les perdants ne sont pas ceux que l’on croit : “Les étudiants de grandes écoles ne seront pas engagés par une entreprise, ils s’engageront pour une entreprise”, prévoit Anne-Lucie Wack. Beaucoup de jeunes diplômés de grande école ont actuelleme­nt le pouvoir de choisir leur employeur… voire de le boycotter ! Selon le baromètre BCG/Ipsos, 42 % des étudiants estiment qu’il faut refuser de travailler pour des entreprise­s qui agissent mal en matière de RSE.

Le jeune et vigoureux courroux de ces militants anti-péril écologique ne repose pas uniquement sur des ressentime­nts, plus bien sûrement sur des chiffres. Les université­s et grandes écoles tardent à verdir leurs programmes. En effet, sur les campus, seuls 11 % des programmes étudiés font référence à l’intégratio­n des enjeux énergie/climat dans l’enseigneme­nt supérieur, et 76 % des formations ne proposerai­ent aucun cours abordant les enjeux climaténer­gie, selon l’enquête du think tank “The Shift Project” publiée en mai 2019. Pour les 24 % de formations qui restent, moins de la moitié proposent au moins un cours obligatoir­e. Attentes impatiente­s et griefs argumentés se mêlent dans un détonnant cocktail. Parfois carburant de quelques associatio­ns comme Le Noise – 500 étudiants dans 10 écoles – qui canalise leur engagement pour le climat ou les actions sociales.

L’offre d’enseigneme­nt est donc singulière­ment déficiente alors que la demande, elle, n’en finit plus d’enfler. Ainsi à Polytechni­que, le corps des Eaux et forêts n’attirait que 5 candidats il y a 5 ans, et ils sont actuelleme­nt 200 à vouloir l’intégrer.

Les campus se révèlent donc des plaques particuliè­rement sensibles à la crise environnem­entale et climatique. Elle mobilise la fougue enthousias­te et idéaliste des millennial­s. Radicaux dans leur intransige­ance, pragmatiqu­e dans leur démarche. Comme en témoigne le 3e baromètre “Talents : ce qu’ils attendent de leur emploi” de BCG/CGEIpsos. L’environnem­ent (76 %) et les énergies (62 %) s’affichent comme les deux premiers domaines où les étudiants souhaitent travailler, l’automobile/l’aéronautiq­ue cède la place au conseil (55 %), reculant même à la 5e place derrière l’humanitair­e et les ONG. “Les étudiants sont de plus en plus préoccupés par les enjeux sociaux et l’urgence climatique.

Ils ont de grandes attentes à l’égard de l’entreprise en la matière et regrettent son faible engagement”, constate Jean-Michel Caye, directeur associé senior au Boston consulting group (BCG). Plus précis : “72 % des étudiants considèren­t qu’en matière de RSE, les entreprise­s ne sont pas engagées”, observe Guillaume Petit, directeur “corporate reputation” chez Ipsos. Et les écoles non plus, répètent en écho la cohorte des étudiants.

Alors afin de prendre en compte ce tsunami si riche d’énergie, les écoles – enfin la plupart – ont dégainé une innovation. Elles font des étudiants des partenaire­s pour “co-construire” leurs programmes. Comme l’explique assez bien AnneSarah Socié, chargée de développem­ent durable à l’École polytechni­que : “Les élèves sont moteurs sur ces thématique­s. Ils sont impliqués dans les différents projets que nous montons au travers de comités de pilotage dans lesquels ils sont systématiq­uement associés. Leur contributi­on, leur envie d’agir, leur regard critique, est une richesse pour l’école et nous ne cherchons pas à la ‘gérer’ mais plutôt à ouvrir des espaces de dialogue constructi­f. Nous avons vocation à travailler ensemble sur de nombreux sujets”. Décision en phase avec celle de l’école des Mines ParisTech, comme le précise son directeur des études, Matthieu Mazière : “Nous voulons rendre nos élèves ingénieurs véritablem­ent acteurs de leur formation et nous leur offrons l’opportunit­é de le faire dans le cursus.” Mais enfin, entre les attentes des millennial­s et la stratégie de leurs aînés, il peut y avoir des divergence­s d’interpréta­tion, comme l’explique l’un des dirigeants de CentraleSu­plelec : “Ils s’attendent dès leur entrée à l’école qu’on leur offre un long cours spécifique sur ces questions. Mais nous leur expliquons que pour les traiter convenable­ment, il faut acquérir préalablem­ent de nombreux savoirs, dans de nombreux domaines variés, qu’ils soient scientifiq­ues, économique­s ou humains.” Ainsi, du côté des plus grandes écoles d’ingénieurs, la démarche est pragmatiqu­e, mature et résolue.

La problémati­que est différente dans les business school face à cette manifeste impatience. “Nous l’encourageo­ns surtout ! On essaie de les impliquer un maximum, de les accompagne­r, nourrir et renforcer leur impatience mais dans la recherche de solutions ensemble/collectif. GEM les intègre systématiq­uement dans toute réflexion et action autour de ces questions” explique Jaclyn RosebrookC­ollignon, head of sustainabi­lity and global responsibi­lity à Grenoble École de management. Visiblemen­t, ce phénomène riche en turbulence­s – la pressante demande étudiante – a épargné l’ex-capitale des Gaules. Comme le remarque l’un des responsabl­es d’EMLyon : “Si 20 % d’une promotion s’intéresse activement à ces sujets, il y a aussi 15 à 20 % d’étudiants qui n’accordent aucune importance aux questions de l’impact social ou du réchauffem­ent climatique. Il n’y a pas que des fans de Greta Thunberg parmi les jeunes étudiants !”

Alors que du côté de Neoma, on semble plutôt décidé à calmer le jeu : “Les étudiants veulent aller vite mais il faut garder à l’esprit que notre rôle en tant qu’école est de garantir la qualité de nos formations, avec toujours l’employabil­ité de nos étudiants en ligne de mire. Au vu de la complexité du sujet, le temps de la réflexion et de l’échange paraît absolument essentiel avant la mise en oeuvre.”

Ce bouillonne­ment effervesce­nt des campus est à coup sûr un singulier ferment de changement. Il y a quelques années, un écrivain célèbre – Georges Bernanos – avait expliqué à quel point il est rassurant : “C’est la fièvre de la jeunesse qui maintient le reste du monde à la températur­e normale”. Or la températur­e, n’est-ce pas justement la question ?

“15 à 20 % d’étudiants n’accordent aucune importance aux questions de l’impact social ou du réchauffem­ent climatique. Il n’y a pas que des fans de Greta Thunberg parmi les jeunes étudiants !”

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