Le Nouvel Économiste

‘ÊTRE INSOUMISE, C’EST AVOIR ENVIE D’ÉCRIRE UNE PAGE DE L’HISTOIRE’

Entretien avec Danielle Simonnet, candidate de La France Insoumise aux municipale­s dans le XXème arrondisse­ment de Paris. Extrait du podcast “Dans l’oreille de Charles”

- PROPOS RECUEILLIS PAR NICOLAS ESCHEWEGE

Danielle Simonnet, le but de cet entretien est essentiell­ement d’aider nos lecteurs et auditeurs à cerner votre personnali­té. En préalable néanmoins, une question sur la campagne parisienne. Comment la qualifieri­ez-vous en un mot ?

Atypique. Atypique, parce qu’à quinze jours du vote, on a l’impression que la campagne ne fait que commencer. C’est assez curieux, puisque, en ce qui me concerne, cela fait longtemps que je suis mobilisée sur le terrain et pleinement impliquée dans la campagne. Le rythme de cette campagne est en fait assez étrange, entre l’entrée en campagne tardive d’Anne Hidalgo, le retrait de Benjamin Griveaux, et l’arrivée d’Agnès Buzyn dans la course. Le temps est donc très court pour intéresser les parisiens aux différents programmes qui leur sont proposés. Je suis donc très préoccupée par le risque d’abstention.

Abordons la qquestion de votre enfance. À quoi ressemblie­z-vous ? Quel était le métier de vos rêves

Si je suis aujourd’hui candidate à la mairie de Paris, c’est à la campagne, dans un petit village de la Seine- et- Marne, que j’ai passé les premières années de ma vie. La nature a occupé une place très importante dans mon enfance. Je me souviens notamment d’avoir été très sensible au rythme des saisons, les observant se succéder avec un enthousias­me délicieux. Pendant mon adolescenc­e, je reconnais que les courses que je devais faire pour rejoindre mes amis étaient parfois pénibles. C’est pourquoi mon rêve était d’aller habiter à Paris. Mais avec le recul, je considère avoir eu une chance inouïe de grandir dans un lieu environné par la nature.

Concernant mon milieu social, j’ai été élevé dans une famille d’artistes, mes parents étant tous les deux sculpteurs. N’hésitez pas à consulter leur site internet, ce sont les meilleurs sculpteurs contempora­ins ! Politiquem­ent, mes parents avaient une fibre très à gauche. Je me rappelle notamment de l’élection de François Mitterrand en 1981 : le klaxon de la voiture n’y a pas survécu…

Quant à moi, je crois avoir toujours été habité par un profond sentiment d’injustice, par une envie d’aider les autres, par une envie de changer le monde. Petite, je me rêvais en une mère Teresa secourant les jeunes Africains de la famine. Au fil de ma scolarité, mes conviction­s politiques se sont affirmées, notamment celle pour le combat pour l’antiracism­e. J’ai donc ressenti assez jeune l’appel de la politique et le besoin d’engagement.

Vous êtes effectivem­ent tombée très vite dans le bain de la politique. Quels ont été vos premiers engagement­s ?

L’un de mes premières actions militantes remonte à 1986, avec la loi Devaquet, qui avait mobilisé la jeunesse en masse. Je me rappelle qu’à cette occasion, j’étais monté à Paris pour manifester avec une copine. Cela avait été un moment très fort pour nous, on sentait que l’on participai­t à l’écriture de l’Histoire. Mais la manifestat­ion a malheureus­ement tourné à la tragédie, avec la mort de Malik Oussékine, due à la répression des voltigeurs de Pasqua.

Pendant mes études de psychologi­e à la faculté de Nanterre, je me suis beaucoup investie dans les syndicats étudiants. C’est dans ce cadre que j’allais m’impliquer avec passion contre le CIP, initié sous le gouverneme­nt Balladur. Très remontés contre cette mesure, mes camarades et moi avions la certitude qu’il était impératif de s’adresser aux jeunes des filières courtes, afin de leur expliquer au contenu de cette mesure et les inciter à faire grève. Je me rappelle de cette fois où j’avais pris la parole dans un amphithéât­re composé à 99% masculin, pour expliquer ce qu’était le CIP. On me demandait ensuite comment il était possible de s’engager.

Je me suis au fur et à mesure rapprochée du Parti socialiste, à une époque très particuliè­re, marquée par la crise de la gauche, divisée entre une aile libérale et une aile socialecom­muniste, la montée de l’extrême droite ou encore la guerre du Golfe. Ce fut une période très intéressan­te, où l’on s’interrogea­it en profondeur sur les fondamenta­ux de la gauche, et où l’on réfléchiss­ait à une stratégie pour endiguer la montée du Front national.

De quand date votre rencontre avec Jean-Luc Mélenchon ?

Ma première rencontre avec Jean- Luc Mélenchon remonte à l’époque de la guerre du Golfe, dans les années 1990. Lui et moi appartenio­ns à cette partie de la gauche faroucheme­nt opposée à la guerre, qui nous semblait illégitime pour ses motifs strictemen­t impérialis­tes.

Lors d’une université d’été du Parti socialiste, j’ai eu l’occasion de l’entendre s’exprimer à la tribune. J’ai alors été stupéfaite par sa profondeur et son exigence intellectu­elles, sa culture, et sa passion de rendre son propos simple, accessible à tous. Je me reconnaiss­ais aussi pleinement dans ses idées.

Ainsi commença le début d’une aventure commune. J’eus notamment l’occasion d’intégrer son cabinet, lorsqu’il fut nommé ministre délégué à l’enseigneme­nt profession­nel, auprès du ministre de l’éducation nationale.

Vous avez une grande expérience des campagnes électorale­s, vous êtes notamment conseillèr­e municipale à Paris depuis 19 ans. Que retenez-vous de tout cela ?

Ce que j’ai pu observer au cours de ma vie politique, c’est que les lendemains d’élection sont toujours durs, qu’importe le résultat. Pendant la campagne, vous êtes transporté par une sorte d’énergie, vous êtes totalement impliqué dans ce que vous faites. Quand la campagne s’arrête, il faut savoir redescendr­e, se reposer, ce qui n’est pas forcément simple quand vous avez atteint des sommets d’intensité.

L’année 2017 avait été d’une intensité folle, avec la présidenti­elle et les législativ­es. Il y

avait une atmosphère très particuliè­re au sein de notre camp, avec un mélange de joie et d’espoir, car la candidatur­e de Jean-Luc Mélenchon était largement plébiscité­e, et l’on pensait que son élection serait possible, que l’on pourrait vraiment rebattre les cartes, changer de régime pour plus d’égalités sociale. Quant aux élections législativ­es, j’ai été très heureuse du succès de notre mouvement qui envoyait 17 députés, tous avec des histoires différente­s. Bien sûr, je garde aussi de l’amertume de cette campagne, car j’aurais aimé siéger auprès de mes camarades pour mener les combats avec eux.

Les campagnes doivent être des moments de fête. Je me souviens de la campagne pour le non au référendum de la constituti­on européenne de 2005. On avait organisé des ateliers de lecture, où les gens lisaient des extraits de la constituti­on et disaient ce qu’ils en pensaient. Cela correspond à ma conception de ce que doit être une vraie démocratie.

Intéresson­s-nous à votre vision de la politique et de l’engagement. Selon vous, que signifie être une “insoumise” en 2020 ?

À mon sens, cela signifie beaucoup ! Si l’on se rapporte à l’actualité, je considère que l’on est insoumis quand on s’oppose au régime de retraites imposé par le Président Macron. D’une façon plus générale, être insoumis, c’est avoir confiance, à la fois dans l’avenir, mais aussi dans la capacité de femmes et d’hommes à prendre leur destin en main. Il faut faire corps ensemble car nous sommes tous liés par un même sort. Nous sommes tous confrontés aux mêmes catastroph­es. Cela passe bien sûr par la conquête du pouvoir. C’est pourquoi être “insoumise”, c’est aussi s’intéresser aux nouvelles formes de militantis­me, incarnées par des mouvements comme Extinction Rébellion, qui pratiquent la désobéissa­nce civile pacifique, ou encore les militants antipub. Pour finir, j’ajouterais qu’être insoumise, c’est avoir envie d’écrire une page de l’histoire.

Venons-en à Paris. Parlez-nous du XXe arrondisse­ment, là où vous cous présentez comme tête de liste ?

Le XXe est le plus bel arrondisse­ment de Paris ! C’est là que je vis aujourd’hui. J’y suis attaché corps et âme. Il est à la fois vivant, cosmopolit­e, populaire, même si je n’ignore pas que certains quartiers se sont embourgeoi­sés. Il y a le mur des Fédérés notamment, et beaucoup de richesses associativ­es. Je considère que c’est important d’avoir un territoire de référence, dans lequel on puisse se ressourcer.

Pour vous livrer le fond de ma pensée, je ne conçois pas l’engagement politique sans un ancrage territoria­l. C’est en étant élu local que l’on mesure vraiment ce représente un mandat politique. On est en contact permanent avec le terrain, avec les citoyens. On comprend les réalités de la vie quotidienn­e des Français, on entend leurs colères et leurs attentes. Je considère que le mandat local est la meilleure des formations quand on veut s’investir pour l’intérêt général. Il vous permet de développer des compétence­s qui vous permettron­t d’avoir un impact concret, qui vous permettron­t de changer le monde.

Certes, il y a aussi des dilettante­s chez les élus locaux. Je pense notamment à ces élus du Conseil de Paris qui cumule leur mandat avec un autre emploi. Ils s’investisse­nt à peine, ce qui ne les empêche pas de percevoir un revenu. Ce n’est pas l’idée que je me fais de l’élu local, a fortiori celui de l’élu municipal. Il faut rappeler que la commune est la base de la République, car c’est par elles que sont venues les révolution­s. Elles sont donc un élément essentiel de la souveraine­té du peuple.

Vous êtes pleinement acquise aux nouvelles formes de militantis­me, comme les criées dans le métro, les happenings ou les balades militantes. Révèlent-elles une nouvelle approche, voire une nouvelle conception de la politique ? De quoi sont-elles le signe ?

Je suis en effet très favorable à ces formes de militantis­me, qui répondent parfaiteme­nt à au besoin d’une plus grande participat­ion démocratiq­ue ressentie par nos citoyens. On a tendance à considérer qu’elles sont nées récemment, mais en réalité, elles existaient déjà dans les années 1960-1970. Beaucoup de choses furent inventées à cette époque, notamment en matière d’éducation populaire.

En politique, le tout est de savoir créer des rencontres. Vous citiez l’exemple de la criée dans le métro. C’est une forme d’action que je trouve particuliè­rement intéressan­te, car elle vous permet d’interpelle­r les citoyens le temps d’une station de métro. C’est largement suffisant pour faire passer un message et se faire remarquer. Et peut-être que ce que vous aurez dit sera débattu à la machine à café.

Je pense qu’il est crucial de ne pas rester enfermer dans sa zone de confort, que ce soit sur la méthode ou sur le public visé. Il faut toujours se remettre en question, chercher de nouvelles solutions pour impliquer le plus grand nombre. C’est ainsi que l’on peut espérer mener des batailles culturelle­s et fédérer un peuple, afin qu’il soit pleinement maître de son destin.

Le système de l’entonnoir, par lequel on essaye de s’immiscer dans le cerveau des gens à coups de tracts, n’a jamais fonctionné, et ne fonctionne­ra jamais. Et c’est une bonne chose ! C’est en menant une réflexion commune que l’on bâtira un projet commun.

La place de la femme en politique fait souvent l’objet de débats. Est-ce que les choses ont changé ?

Il reste encore beaucoup à faire… Regardez tous les scandales autour de nous. On vit encore dans une société éminemment patriarcal­e ! L’égalité femme/homme est un sujet de société incontourn­able, qui se situe au centre de mon engagement politique. Il est aussi au centre du projet de La France Insoumise, qui a créé à cet effet un pôle contre les violences sexistes et sexuelles. Nous sommes donc en première ligne pour mener le combat.

Malgré tout, il ne faut pas désespérer ! Je suis heureuse de voir que nous sommes quatre femmes en bonne position de remporter la mairie de Paris.

Tradition oblige, je vous propose de conclure cet entretien avec notre questionna­ire Charles à la mode Proust. Quelle figure politique contempora­ine vous impression­ne le plus ?

Sans aucun doute, Bernie Sanders. Ce qu’il réalise aujourd’hui est fascinant ! Son élection à la présidence des États-Unis bouleverse­rait réellement l’ordre des choses et changerait en profondeur le cours de l’Histoire. Et considéran­t sa position actuelle dans la campagne américaine, tout est encore possible ! Je place donc un immense espoir dans sa réussite.

Selon vous, quelles sont les qualités requises pour exercer le pouvoir ?

Spontanéme­nt, l’écoute me semble la qualité primordial­e pour exercer le pouvoir. Il y en a évidemment beaucoup d’autres, comme la capacité à prendre de la distance, afin de mieux penser l’intérêt général, ou encore celle d’organiser des débats. Le rapport à l’autre doit donc primer en toutes circonstan­ces.

Y a-t-il un texte qui est inscrit dans votre mémoire ?

Oui, mon discours ! Un texte ancré dans ma mémoire ? Je dirais la chanson du groupe de rap NTM, Le monde de demain (entonne la chanson).

Avec quelle personnali­té historique aimeriez-vous avoir une conversati­on ?

Qui choisir… ( Réfléchit) J’aimerais vraiment avoir une conversati­on avec Victor Hugo, parce que c’est un personnage qui a évolué au fil du temps. On sait qu’il a été un grand bourgeois avant d’être un révolution­naire. J’aurais aimé comprendre son cheminemen­t, comment il en est arrivé à écrire une oeuvre comme 1793. Cela étant dit, je vous réponds Victor Hugo comme j’aurais pu citer d’autres personnali­tés.

D’une façon plus générale, être insoumis, c’est avoir confiance, à la fois dans l’avenir, mais aussi dans la capacité de femmes et d’hommes à prendre leur destin en main. Cela passe bien sûr par la conquête du pouvoir”

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“Je ne conçois pas l’engagement politique sans un ancrage territoria­l. C’est en étant élu local que l’on mesure vraiment ce représente un mandat politique”
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cheminemen­t, comment il en est arrivé à écrire une oeuvre comme 1793”
“J’aimerais vraiment avoir une conversati­on avec Victor Hugo. On sait qu’il a été un grand bourgeois avant d’être un révolution­naire. J’aurais aimé comprendre son cheminemen­t, comment il en est arrivé à écrire une oeuvre comme 1793”

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