Alignement des planètes
Les dix sous-jacents de l’innovation technologique de demain
Trois, deux, un, innovez ! Pour les entrepreneurs, grands groupes ou PME, mais aussi les administrations et les États, il serait regrettable, une fois sortis de la crise sanitaire, de ne pas encourager de grandes transitions technologiques. Les planètes sont alignées pour de nouvelles innovations de rupture. Dix sous-jacents contribueront à remodeler nos usages, et donc nos sociétés, dans les années à venir. Ils sont technologiques, économiques, managériaux et bien entendu politiques. Gare à ceux qui ne sauraient pas saisir l’occasion. Tant du côté des entreprises que de celui des États, le risque de déclassement technologique n’est pas bien loin. À cet égard, les entreprises françaises ont enregistré un recul régulier de leurs positions dans la hiérarchie mondiale au cours des 15 dernières années. En 2018, seules 3 entreprises tricolores apparaissent dans le top 100 du classement Forbes des entreprises les plus innovants, contre 10 en 2006. Il s’agit de Dassault Systèmes, Essilor et L’Oréal. Malgré les obstacles et les impondérables, tels que le cygne noir du Covid-19, il existe des motifs d’espoir d’endiguer ce déclin. Les conditions sont réunies pour transformer ces opportunités en succès. Revue de détail.
Technologie Cloud, big data, IA et blockchain
Elles sont quatre, quatre techniques sur lesquelles toute innovation de rupture peut s’appuyer. Le cloud computing tout d’abord. Littéralement informatique dans les nuages, ce service permet de proposer à distance et à la demande de multiples solutions informatiques aux utilisateurs. Il offre surtout de la souplesse et de la robustesse à l’informatique des entreprises. “Le cloud est devenu la manière universelle de faire de l’informatique. C’est plus productif, automatisé, moins cher et accessible”, résume Laurent Leboucher*. Il simplifie la vie, permet à l’entreprise de se concentrer sur son coeur de métier en confiant son informatique à des prestataires qui la transforme en une sorte de commodité, comme l’accès à l’eau ou l’électricité. Des milliers d’entreprises confient tout ou partie de leur informatique à
Dix sous-jacents contribueront à remodeler nos usages, et donc nos sociétés, dans les années à venir. Ils sont technologiques, économiques, managériaux et bien entendu politiques
des opérateurs de cloud dont le marché en 2020 devrait encore augmenter, pour peser plus de 260 milliards de dollars selon Gartner. Un pactole que se partagent des géants du numérique bien connus, en particulier Amazon, dont la part de marché avoisine les 50 %. Deuxième sous-jacent technologique : le big data, ou données massives en Français. Il permet de traiter des quantités incroyables d’informations. Les problématiques gérées par cet outil sont souvent désignées par les 3V de volume, vitesse et variété. En effet, en analysant plus de données, de formes très variées et peu structurées, et plus rapidement, le big data permet aux entreprises de créer de la valeur en réduisant ses coûts ou en proposant de nouveaux services, par exemple. Souvent représenté comme le carburant de l’innovation, le big data transforme l’information en actif stratégique et crée ainsi des avantages compétitifs. Dans les grandes compagnies (UPS utilise un nouveau système de guidage pour les véhicules grâce à l’analyse en temps réel des données générées par les clients, les conducteurs comme les véhicules) comme dans les PME (un restaurateur pourra réaliser d’importantes économies par une gestion plus efficace de son inventaire grâce aux “grosses données”).
Troisième brique technologique au service de l’innovation : l’IA, l’intelligence artificielle. À l’instar des 3V du big data, l’IA nous propose ses 3A. La technologie aide, automatise et augmente. Le marché de l’intelligence artificielle pour les applications en entreprise est estimé à plus de 36 milliards de dollars d’ici à 2025, contre moins de 650 millions de dollars en 2016, selon le cabinet d’analyse Tractica. Mais au-delà du potentiel de croissance économique qu’elle représente, l’IA est surtout source d’innovation sous toutes ses formes. Sur les marchés, cette révolution va favoriser l’implantation de nouveaux entrants dans la chaîne de valeur qui relie le producteur au consommateur. Dans l’entreprise, elle simplifiera les tâches et automatisera les traitements répétitifs à grande échelle, qui sans leur concours auraient monopolisé individus et compétences. Ce qui n’est malheureusement pas sans conséquences : le cabinet de conseil McKinsey estime que 60 % des emplois actuels comprennent 30 % d’activités automatisables à une échéance de 20 à 40 ans.
La blockchain enfin. Cette technologie, quant à elle, plus connue du grand public à travers les crypto-monnaie et en particulier le bitcoin, apporte sécurité, transparence et confiance. La principale promesse des chaînes de blocs est d’assurer une couche de confiance et de traçabilité à cet univers numérique. Le système, grâce à sa nature décentralisée, rend en effet les blocs infalsifiables et non modifiables par un seul individu. IBM propose un écosystème mondial dédié à l’industrie alimentaire. La blockchain IBM Food Trust enregistre des informations immuables à chaque étape du processus (élevage, conditionnement, distribution…), et assure la transparence pour les consommateurs.
Certification des performances des bâtiments pour les contrats d’énergie, sécurisation des industries culturelles, traçage des produits et pièces détachées en logistique, ou bien entendu bouleversement des secteurs de la banque et de la finance, les secteurs d’usages ne manquent pas. Les investissements dans la blockchain devraient atteindre 10 milliards d’euros d’ici à 2022, selon IDC.
Économie Capital-investissement et esprit d’entreprise
Du jamais vu. Les fonds de capital-investissement disposent d’un record d’argent à investir : plus de 2 500 milliards de dollars disponibles fin 2019, selon le dernier rapport annuel du cabinet Bain. En une dizaine d’années, ce montant a été multiplié par deux. Évidemment, ces capitaux dopent l’innovation et boostent la croissance des entreprises matures – à travers le private equity – mais aussi des start-up et des entreprises en développement, par du capital-risque (venture capital, ou VC). Concernant la France, BpiFrance pointe que le financement des entreprises qui développent des technologies de ruptures, dites “deeptechs”, s’est très fortement accéléré ces 5 dernières années. Alors qu’en 2015, environ 300 millions d’euros ont été investis, en 2019 ce sont près de 1,5 milliard d’euros qui ont été mobilisés. Un chiffre d’autant plus intéressant que les investissements dans les technologies de rupture présentent des particularités, notamment des risques plus élevés pour les VC du fait d’une plus forte intensité technologique qu’à l’accoutumée. Autre ingrédient clé des innovations de rupture : l’esprit d’entreprise des nouvelles générations et des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur. L’envie d’entreprendre ne se dément pas. En 2019, 815 000 entreprises ont vu le jour, soit une hausse de 18 % par rapport à 2018 selon les dernières statistiques de l’Insee. Autre chiffre révélé à l’occasion du Salon des entrepreneurs par Opinion Way, près d’1 Français sur 3 souhaite créer ou reprendre une entreprise. Certes, bon nombre de créations s’avèrent être des micro-entreprises, mais la France compte tout de même plus de 14 000 start-up, au sens où ces structures utilisent ou proposent un service innovant, selon les données de la FrenchTech. Autre indicateur favorable, la France possède une très grande variété d’incubateurs : rattachés aux grandes écoles, aux collectivités locales ou aux grandes entreprises, le pays en compterait plusieurs centaines.
Management Accélération des stratégies et entreprise ouverte
Les managers eux aussi participent au bouillonnement de l’innovation. Pour les entreprises, tout va en effet plus vite. Cette accélération, ressentie au plus haut des organisations, impose de repenser les relations avec les parties prenantes, au premier rang desquels ceux qui participent à sa vie économique : les salariés. “Le danger, dans un monde qui accélère, est de céder aux sirènes du court-termisme et de perdre ses équipes en route”, prévient Olivier Lenel, associé chez Mazars France et auteur d’un rapport sur l’accélération et les business models des entreprises. Il faut en effet prendre en compte le facteur humain, car l’innovation ne se résume par à des investissements technologiques. “La part d’ingéniosité et d’interprétation réservée aux collaborateurs est pour sa part cruciale”, précise Mazars. Ainsi le vieux modèle forgé par le top-down et le command and control a vécu. Placer les collaborateurs au coeur du pilotage favorisera l’innovation. La transformation des dirigeants en “servant-leaders” au service des équipes est en cours. “On commence à reconnaître le droit à l’erreur – le fameux ‘fail-fast’ ”, ajoute Jean-Luc Tymen, consultant. L’entreprise aussi a besoin d’être réinventée et transformée pour devenir “agile”, “marguerite” ou encore “positive”… Une certitude, elle est aujourd’hui incontestablement plus ouverte, via des partenariats, écosystèmes d’affaires, communautés économiques d’intérêts ou encore open innovation, le tout dédié aux jeunes pousses. “On n’innove pas tout seul dans son coin. L’enjeu est d’apprendre à travailler à plusieurs, à collaborer et à imaginer des écosystèmes inédits. Les partenariats sont l’un des piliers du monde digital”, assure JeanLuc Tymen. Une étude publiée par Forrester en juin dernier explique qu’il est désormais indispensable de développer des stratégies de partenariats pour augmenter le chiffre d’affaires. Pour 76 % des entreprises interrogées, c’est même l’une des clés du succès les plus importantes.
Politique Planification technologique et urgence climatique
Tout est politique. L’innovation ne fait pas exception. En observant les stratégies des États en faveur du progrès technologique, il est aisé de comprendre l’enjeu : tout simplement majeur, d’où le caractère nouveau et international des politiques publiques en matière d’innovation. Leurs noms ? Made in China 2025, La 4e révolution industrielle en Corée du Sud ou encore La New High Tech Strategy en Allemagne. Dans ce contexte de compétition internationale, la France entend elle aussi participer à cette dynamique. Nous assistons à un nouvel interventionnisme d’État en faveur de la technologie dans un objectif de souveraineté. Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire n’hésite pas à employer le terme de “planification technologique” au motif que le marché ne peut de lui-même identifier seul les secteurs, les compétences, les technologies sur lesquelles la France pourrait réussir. Remis aux ministres de l’Économie et de l’Enseignement supérieur en février dernier, un rapport identifie justement les grands marchés émergents à forts enjeux de compétitivité. On trouve par exemple l’agriculture de précision, l’hydrogène pour les systèmes électriques ou encore les technologies du quantique (voir Techno-progressisme 2). La France dispose de multiples dispositifs pour favoriser l’innovation. Par exemple le réseau FrenchTech, qui vise à encourager les écosystèmes de jeunes pousses, à Paris mais aussi dans les métropoles. Le volontarisme politique se concrétise enfin à travers les efforts de financement de l’innovation. À ce titre, la France dispose depuis 2012 d’un bras armé financier : BpiFrance. En 2019, 8,5 milliards d’euros ont été investis dans près de 58 000 projets. Bpifrance est le premier fonds souverain au monde pour le nombre d’opérations effectuées depuis 2010 dans les entreprises technologiques. L’urgence climatique pourrait également être porteuse d’innovation. Pour de grands noms, miser sur la science et l’ingénierie pour créer des innovations disruptives qui vont sauver le monde du réchauffement climatique est une évidence. Jeff Bezos a annoncé la création d’un fonds de 10 milliards de dollars pour financer la recherche en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Il n’est pas le seul : Elon Musk, Bill Gates ou même Jack Ma d’Alibaba sont prêts à mettre la main au portefeuille pour sauver la planète. “L’urgence climatique est clairement facteur d’innovation, assure Laurent Leboucher. À titre d’illustration, les nouvelles générations de réseau 5G permettront de mieux optimiser la consommation électrique.”
“L’innovation, l’innovation, l’innovation !”
Évidemment, l’innovation ne se décrète pas. Bien entendu, “on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l’innovation, l’innovation, l’innovation !… mais cela n’aboutit à rien” et cela ne signifie rien, pourrait-on dire en paraphrasant le général de Gaulle à propos de l’Europe. Des
L’IA va favoriser l’implantation de nouveaux entrants dans la chaîne de valeur qui relie le producteur au consommateur
freins ne manqueront pas de se mettre en travers de la route des innovateurs. Ils seront techniques (expertises et compétences), économiques (financement), managériaux (peur du changement) ou encore sociétaux (éthiques, vie privée). Il y aura aussi des obstacles, voire brutalement des cygnes noirs tel le coronavirus. Sans tomber dans le “technologisme”, sorte de fascination sans limite pour le progrès technique, critiqué par certains intellectuels et philosophes comme Eric Sadin, la lutte contre le déclassement économique ne pourra pas s’affranchir d’une recherche de l’innovation et de l’excellence technologique.
*Laurent Leboucher et Jean-Luc Tymen, co-auteur de ‘Ruptures technologiques et création de valeur’, FYP Éditions, février 2020
Bpifrance est le premier fonds souverain au monde pour le nombre d’opérations effectuées depuis 2010 dans les entreprises technologiques
Jusqu’à présent, la stratégie de la BCE, popularisée sous l’acronyme QE (Quantitative Easing ou assouplissement quantitatif), n’aura entraîné de hausse de prix que sur les actions et certains secteurs de l’immobilier. Sur ces deux fronts, le retournement est spectaculaire. Le CAC 40 s’est effondré. De son côté ‘La Lettre Éco 381 du Cercle de l’Épargne’ s’interroge sur la fin d’un cycle dans l’immobilier suite à la raréfaction de la demande: “en cas de résorption rapide de l’épidémie, la contraction dans l’immobilier ne pourrait guère excéder 15 %. En revanche, si la situation restait compliquée, la baisse des prix pourrait être plus forte et plus longue”.
Par ailleurs, le prix d’équilibre à 60-65 dollars du baril de pétrole est désormais divisé par deux, voire moins. Dans un univers de baisse de régime des échanges internationaux – donc du transport – et de dépression probable chez les pays émergents, le “60 dollars” n’est pas pour demain. Ce qui pose la redoutable question de la rentabilité des investissements indispensables.
En France, les services marchands représentent 56 % du PIB et les non marchands 22 % du PIB. Déjà, ils tiraient l’indice des prix vers le plancher. Après le passage du Covid-19, des tragédies s’annoncent. Un seul exemple. L’Organisation mondiale du tourisme (OMT) indique que “les arrivées de touristes internationaux pourraient baisser de 20 % à 30 % en 2020; 5 à 7 ans de croissance seraient perdus”. De façon générale, le gonflement du chômage lié aux faillites limitera la capacité à négocier des salaires en augmentation, alors que c’est le meilleur levier pour booster les prix. De son côté, l’industrie, 12 % seulement du PIB (hors agroalimentaire), parvenait à pousser ses tarifs vers le plafond. Le recul attendu de la demande ne lui sera guère favorable. Bien entendu, le rapatriement de chaînes de valeur aurait un coût haussier. Peut-être pour aprèsdemain! Enfin, le tropisme francofrançais “économie administrée” va se déployer. Le contrôle des prix a resurgi pour le gel hydroalcoolique. L’Élysée a promis de mettre la santé “en dehors des lois du marché”. Des esprits malicieux pourraient rappeler à ce propos qu’en URSS, l’inflation se mesurait à la longueur des files d’attente devant les magasins.
Le combat par la croissance
le bas. La ligne de défense stratégique a pour nom “maximum de croissance”. À très court terme, elle sera modeste. “L’hypothèse d’une reprise en V, c’est-à-dire d’un rattrapage complet de l’activité perdue pendant la période de confinement, s’éloigne. Un scénario en U, une reprise plus graduelle avec un rattrapage seulement partiel, nous paraît nettement plus probable”, relève le Crédit Agricole dans le bulletin ‘Perspectives’. C’est le consensus. À partir de là, quel est le chemin pour parvenir à une “inflation naturelle”, celle qui n’est pas le problème mais la solution ? Eh bien au-delà du colmatage, il faut des plans de relance de l’économie. Le slogan de mai 1968, “Soyez réalistes, demandez l’impossible”, ne peut même plus reprendre du service. L’impossible est déjà là. En effet, personne n’envisageait que la Réserve fédérale américaine agisse simultanément sur le financement de l’État, des entreprises et des banques. Qui imaginait Donald Trump distribuant de son hélicoptère des billets de banque ? Ce sera 1 200 dollars par personne sous condition d’un revenu inférieur à 75 000 dollars par an ! Au total, les États-Unis mettent sur la table l’équivalent de près de 10 % de leur PIB – 2 000 milliards de dollars.
Un “Marshall” relooké
Le continent américain a sa propre solidité et dispose surtout du dollar, toujours première monnaie de réserve mondiale. Vu d’Europe, il en va différemment. Chaque État a sa propre approche. Le plan de soutien allemand est déjà estimé à 1 200 milliards d’euros. Alors que dans sa première loi de finances rectificative – il y en aura d’autres –, la France n’a prévu qu’un montant de 345 milliards d’euros. Cette politique des petits pas était nécessaire pour éviter un emballement des marchés financiers sur les emprunts lancés par Bercy. Face à ce risque, la BCE a fort opportunément joué son rôle de prêteur en dernier ressort. Quel précieux parapluie ! Mais la seule dimension nationale ne suffira pas. La sortie de crise par plus de croissance pour combattre la déflation va demander beaucoup plus de coopération mutualisée. Pour Paris, c’est la planche de salut. Les “coronabonds”, emprunts mutualisés au niveau bruxellois, font partie de ce schéma. Emmanuel Macron le sait, et l’a fait savoir à des partenaires “nordiques” très réservés. L’OCDE plaide de son côté pour un plan Marshall relooké. La partie ne fait que commencer. La reflation des économies reste notre horizon.