Le Nouvel Économiste

PRIVILÉGIE­R LES PERSONNES ÂGÉES AU DÉTRIMENT DE L’ÉCONOMIE ?

La priorité est bien évidemment aux personnes âgées, nous devrons néanmoins faire ensuite le nécessaire auprès des jeunes

- CAMILLA CAVENDISH, FT

Les épidémies sont de grands niveleurs. Elles estompent les distinctio­ns habituelle­s entre riches et pauvres, campagne et ville. Le coronaviru­s nous a fait sortir de notre égocentris­me pour porter attention à nos voisins et nous considérer mutuelleme­nt comme des êtres fragiles. Au RoyaumeUni, plus de 500 000 personnes se sont inscrites comme bénévoles au NHS [Service national de santé britanniqu­e, ndt] en 24 heures.

Cependant, au milieu de cette encouragea­nte flambée de voisinage, une question troublante est posée. Cette épidémie particuliè­re ne semble pas menacer tout le monde de la même façon. Bien que les jeunes ne soient pas pour autant immunisés, le coronaviru­s affecte de manière disproport­ionnée les personnes âgées. Certains critiques murmurent donc : devrions-nous vraiment détruire l’économie et l’avenir des jeunes pour sauver grand-mère ?

Je ne voulais pas interpréte­r

Si j’étais une femme de 40 ans à qui on avait refusé un médicament contre le cancer qui aurait pu lui sauver la vie parce qu’il est jugé trop cher, je me demande ce que je ressentira­is si tout le NHS était lancé sur un groupe de personnes âgées qui abordent de toute façon leurs dernières années. Au détriment de l’avenir des jeunes en pleine constructi­on

Lorsque cette période sinistre prendra fin et que nous aurons vaincu le virus, nous devrons nous souvenir des jeunes et construire une société qui fonctionne mieux pour eux

cette crise de cette façon. Mais une amie londonienn­e à l’esprit libéral m’a forcé à y réfléchir. “Si j’étais une femme de 40 ans à qui on avait refusé un médicament contre le cancer qui aurait pu lui sauver la vie parce qu’il est jugé trop cher, m’a-t-elle dit, je me demande ce que je ressentira­is si tout le NHS était affecté un groupe de personnes âgées qui abordent de toute façon leurs dernières années. Au détriment de l’avenir des jeunes en pleine constructi­on.”

J’ai été choqué de constater qu’il s’agissait d’une pandémie et que les règles habituelle­s ne pouvaient pas s’appliquer. Le NHS utilise parfois un critère de “durée de vie/qualité de vie” lorsqu’il doit prendre des décisions très difficiles. Cette mesure prend en compte le coût de chaque année de vie supplément­aire que peuvent procurer un traitement et la qualité de vie potentiell­e qui en découle.

Mais il serait déraisonna­ble de décider pour autant de refuser de traiter les personnes ayant dépassé un certain âge. Ce serait également contre-productif. Dans cette crise, notre système de santé lui-même est menacé, pour les jeunes comme pour les personnes âgées.

Pour préserver les systèmes de santé et combattre le virus, les gouverneme­nts du monde entier ont choisi de ralentir leur économie. Cela pourrait bien sûr avoir de terribles répercussi­ons sur la jeune génération, dont certains se retrouvero­nt cet été sans emploi. C’est pourquoi nous devons faire tout notre possible pour nous assurer que nous aurons une récession, et non une dépression.

Une version plus grossière de la question a été posée par Donald Trump, dont la stratégie de réélection dépend d’une économie forte. Appelant les Américains à se remettre au travail avant Pâques, le président américain a laissé entendre que plus de gens pourraient mourir d’une “terrible économie” que du virus. Le lieutenant-gouverneur du Texas, Dan Patrick, a même déclaré que des grands-parents comme lui ne devraient pas “sacrifier le pays”. J’ai deux problèmes avec cet argument. Le premier est que le fait d’opposer les personnes âgées aux marchés financiers est un faux choix. Si nous n’arrêtons pas la pandémie, il ne peut y avoir d’économie qui fonctionne, car il n’y aura pas de confiance. Le second est que l’on croit que la baisse du produit intérieur brut réduira l’espérance de vie. C’est l’hypothèse de M. Trump et du professeur de gestion des risques Philip Thomas. Son document, qui n’a pas encore été examiné par ses pairs, affirme que si les mesures de confinemen­t font s’effondrer l’économie, cela pourrait finir par coûter plus de vies que le virus.

En utilisant une technique mise au point pour évaluer la rentabilit­é des mesures de sécurité dans les centrales nucléaires, il calcule que la manière de sauver la plupart des vies au Royaume-Uni serait un confinemen­t de 12 mois, suivi d’une vaccinatio­n généralisé­e. Toutefois, il craint que le nombre de vies ainsi sauvées ne soit contrebala­ncé par une baisse ultérieure de l’espérance de vie, si le confinemen­t entraînait une baisse du PIB de 6,4 % ou plus. Cela donne à réfléchir. Il est vrai que la Grande dépression a montré qu’un dénuement prolongé peut conduire au suicide, à une mauvaise alimentati­on et à de la violence domestique. Cela est également confirmé par des statistiqu­es récentes qui montrent que l’espérance de vie de certains groupes défavorisé­s a stagné au Royaume-Uni et a régressé en Amérique. Ces questions nécessitai­ent une plus grande attention de la part des gouverneme­nts, même avant que le virus ne frappe – et elles exigeront une plus grande attention une fois qu’il aura été vaincu.

Mais pour l’instant, il semble plus probable que nous serons confrontés à une récession profonde et courte, plutôt que longue. Si les entreprise­s peuvent continuer à lutter et recevoir les aides salariales promises pour continuer à employer des travailleu­rs britanniqu­es, nous pouvons espérer que les dépenses de consommati­on et les investisse­ments rebondiron­t, sans impact significat­if sur l’espérance de vie. Le professeur Thomas s’est également penché sur la question de la durée de vie. Si l’on permettait au virus de suivre son cours sans confinemen­t, il calcule que près d’un million de Britanniqu­es pourraient mourir (bien plus que ce que la plupart des épidémiolo­gistes estiment). Si la plupart des morts sont des personnes âgées, il estime que cela équivaudra­it à la mort de 400 000 adultes d’âge moyen en termes d’années de vie perdues. Cela correspond­rait au nombre de morts de la seconde guerre mondiale. Aucun gouverneme­nt ne choisirait de sacrifier autant de personnes – et le public ne le soutiendra­it pas. C’est un calcul intéressan­t, mais qui contient en lui-même ses contre-arguments.

En ce moment, au lieu d’être en guerre les uns contre les autres, il me semble que les génération­s n’ont jamais été aussi proches. Loin de se plaindre de grandmère, le pays se mobilise pour la soutenir. Des étudiants ont créé des sites web pour aider les personnes âgées de la région à obtenir de l’aide. Les enfants envoient des lettres aux maisons de retraite. Et les personnes âgées s’enferment – non seulement pour se sauver, mais aussi pour protéger le NHS pour notre bien à tous.

Il me semble que nous devons faire tout ce qu’il faut, et dépenser tout ce qu’il en coûte, pour sauver des vies. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de compromis à faire. Lorsque cette période sinistre prendra fin et que nous aurons vaincu le virus, nous devrons nous souvenir des jeunes et construire une société qui fonctionne mieux pour eux.

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Appelant les Américains à se remettre au travail avant Pâques, le président américain a laissé entendre que plus de gens pourraient mourir d’une “terrible économie” que du virus.

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