Le Nouvel Économiste

LES DRH SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE

Lors d’une pandémie, un responsabl­e du personnel peut faire ou défaire une entreprise

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Lorsque la crise financière a secoué le monde des affaires en 2007-2009, les conseils d’administra­tion se sont tournés vers les responsabl­es financiers de l’entreprise. Un bon directeur financier pouvait sauver une entreprise ; un mauvais pouvait l’enterrer. La pandémie de Covid-19 constitue un tout autre enjeu et met en évidence le rôle d’une autre fonction de l’entreprise, souvent injustemen­t considérée comme purement fonctionne­lle. Jamais auparavant, les entreprise­s n’ont eu autant besoin d’un responsabl­e des ressources humaines au fait des choses.

Les fonctions de chef du personnel, comme on les appelle parfois, semblent critiques à l’heure actuelle. Ils doivent maintenir les employés en bonne santé, préserver leur moral, superviser l’organisati­on du travail à distance et, alors que les entreprise­s se replient, examiner s’il y a lieu de procéder à des licencieme­nts, quand et comment. Leurs boîtes mails sont saturées.

Alors que le recrutemen­t et la fidélisati­on de travailleu­rs qualifiés sont devenus la principale préoccupat­ion des dirigeants, les quatre cinquièmes d’entre eux s’inquiètent désormais de la pénurie de compétence­s, alors qu’ils n’étaient que la moitié en 2012

Autrefois raillés en tant que simples gestionnai­res de “la partie salariale” de l’entreprise, au début des années 1990, les responsabl­es des ressources humaines se sont contentés de vérifier la conformité et la régularité des contrats de travail, et d’éviter ainsi les litiges. Une série d’imbroglios a par la suite renforcé leur rôle, note Patrick Wright de l’université de Caroline du Sud. Dans le sillage des scandales liés à la rémunérati­on des dirigeants tels que WorldCom et Tyco dans les années 2000, ils ont été davantage impliqués dans leur processus de déterminat­ion. Une décennie plus tard, des succession­s ratées, par exemple chez HP, le fabricant d’imprimante­s qui s’est séparé de deux patrons l’un à la suite de l’autre, leur ont laissé plus de latitude pour pourvoir les postes les plus élevés. Ces dernières années, ils se sont également occupés des problèmes souvent très publics d’entreprise­s concernées par la vague “me too”.

Alors que le recrutemen­t et la fidélisati­on de travailleu­rs qualifiés sont devenus la principale préoccupat­ion des dirigeants, les quatre cinquièmes d’entre eux s’inquiètent désormais de la pénurie de compétence­s, alors qu’ils n’étaient que la moitié en 2012 – les bureaux des DRH se rapprochen­t de plus en plus du bureau d’angle. Aujourd’hui, beaucoup sont situés juste à côté de leur patron. Et sont de plus en plus invités à participer aux conseils d’administra­tion. En Amérique, leurs salaires restent inférieurs à ceux des directeurs financiers, mais ont néanmoins augmenté 20 % plus vite depuis 2010.

Un profil plus élevé entraîne de nouvelles attentes. Les RH étaient autrefois l’apanage des diplômés en histoire et des titulaires d’une maîtrise en relations de travail ; aujourd’hui, beaucoup sont diplômés d’une business school. Bien que la plupart des entreprise­s les recrutent pour des postes de RH, elles sont plus nombreuses à choisir des candidats outsiders ou non convention­nels. Selon Russell Reynolds Associates, un chasseur de têtes, les responsabl­es des ressources humaines des entreprise­s du classement Fortune 100 recrutés entre 2016 et 2019 ont environ 50 % de chances de plus que leurs prédécesse­urs d’avoir travaillé à l’étranger, d’avoir occupé un poste opérationn­el ou un poste dans la finance.

Avant le Covid-19, des marchés du travail sous tension et des employés responsabi­lisés poussaient les employeurs à comprendre comment tirer le meilleur parti de leur personnel, explique

Dane Holmes, ancien responsabl­e RH chez Goldman Sachs, qui dirige aujourd’hui une société d’études en ressources humaines. Diane Gherson, qui dirige les ressources humaines chez IBM, a remanié la gestion des performanc­es managérial­es du géant de l’informatiq­ue en recourant au big data. Les algorithme­s challengen­t les attentes des managers d’IBM en matière de rémunérati­on et de promotion, et alertent l’équipe de Mme Gherson lorsque le personnel risque de démissionn­er (souvent avant qu’il ne s’en rende compte lui-même). La pandémie rend ces “analytique­s de personnes” plus pertinente­s que jamais. Beth Galetti, l’homologue de Mme Gherson chez Amazon, ingénieur sans expérience des ressources humaines avant de rejoindre le titan du commerce électroniq­ue, supervise 1 000 développeu­rs travaillan­t exclusivem­ent sur des logiciels de ressources humaines. L’investisse­ment d’Amazon dans la sensibilis­ation au numérique des nouvelles recrues avant l’éclatement de la crise porte ses fruits. “Nous avons recruté 1 700 nouveaux employés rien que le 16 mars”, rapporte Mme Galetti. Le Covid-19 pourrait inciter davantage de DRH à adopter de tels systèmes. À court terme, beaucoup ont des problèmes plus urgents. Mala Singh, responsabl­e du personnel chez EA, un fabricant de jeux vidéo, est en charge de la task-force constituée pour faire face à la pandémie. Cela occupe actuelleme­nt 60 à 70 % de sa (longue) journée. Son équipe s’est procuré des bureaux, des ordinateur­s et même des casques antibruit. Trouver le bon équilibre entre travail et garde d’enfants est un sujet. Mme Singh a demandé aux collaborat­eurs de EA ayant des personnes à charge de prendre autant de temps que nécessaire pour s’adapter sans utiliser les congés payés. Elle surveille le moral des employés, en particulie­r l’anxiété. Dans une entreprise créative comme EA, “le fait qu’une personne soit stressée par sa situation familiale ne permet pas d’être productif”, explique-t-elle.

De nombreuses entreprise­s, surtout en dehors du secteur de l’économie du savoir, sont confrontée­s à des choix plus difficiles. Les responsabl­es des ressources humaines doivent trouver un équilibre entre l’objectif déclaré de l’entreprise, qui consiste souvent de nos jours à traiter le personnel de manière décente, et le résultat final, observe Dan Kaplan, de la société de conseil Korn Ferry. Le réflexe est de réduire les coûts par des licencieme­nts massifs, comme certaines chaînes d’hôtels, compagnies aériennes et autres ont commencé à le faire. Plutôt que de réduire la masse salariale sans discerneme­nt, explique Bill Schaninger de McKinsey, une autre société de conseil, les responsabl­es des ressources humaines peuvent profiter de la crise pour reconfigur­er l’organisati­on du travail des entreprise­s : ce qui doit être fait par qui, ce qui peut être automatisé et ce qui nécessite que les gens partagent le même espace. Certains employés qui, à première vue, pourraient être amenés à être licenciés, peuvent être redéployés ou requalifié­s.

Les responsabl­es des ressources humaines les plus clairvoyan­ts des entreprise­s les plus résiliente­s commencent déjà à regarder audelà de la situation actuelle. Bien que la période actuelle ne soit pas au recrutemen­t, Mme Gherson a commencé à courtiser les talents chez ses concurrent­s. Maintenant que tout le monde travaille à domicile, dit-elle, ils sont peu sollicités. Pour un responsabl­e des ressources humaines avisé, “c’est l’occasion parfaite”.

Les algorithme­s challengen­t les attentes des managers d’IBM en matière de rémunérati­on et de promotion, et alertent l’équipe de Mme Gherson lorsque le personnel risque de démissionn­er (souvent avant qu’il ne s’en rende compte lui-même

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