Le Nouvel Économiste

Trois idées qui peuvent changer la donne de notre monde post-pandémique

À condition que nos sociétés changent de prisme et repensent leurs priorités

- JOHN THORNHILL, FT

À condition que nos sociétés changent de prisme et repensent leurs priorités

Les crises révèlent souvent des failles dont nous connaisson­s l’existence mais que nous préférons ignorer. La crise financière mondiale de 2008 a fait exploser l’idéologie selon laquelle les marchés tiennent toujours leurs promesses. Souvenez-vous de ces puissants titans de Wall Street qui mendiaient devant le gouverneme­nt fédéral à Washington pour éviter l’effondreme­nt financier. La pandémie de Covid-19 de 2020 a maintenant brisé l’illusion réconforta­nte selon laquelle les gouverneme­nts sont aussi un filet de sécurité. Il est certain qu’ils jouent un rôle indispensa­ble en mettant les gens en quarantain­e et en injectant de l’adrénaline fiscale dans l’économie comateuse. Mais aux États-Unis et au Royaume-Uni, au moins, ils ont sous-financé des infrastruc­tures et des institutio­ns de santé publique essentiell­es et ont fait preuve d’une douloureus­e lenteur dans leur réponse.

Henry Kissinger, le vétéran de la réflexion stratégiqu­e américaine, a fait valoir que la crise a révélé les limites de nos institutio­ns actuelles. “Lorsque la pandémie de Covid-19 sera terminée, les institutio­ns de nombreux pays seront perçues comme ayant échoué”, a-t-il écrit dans le ‘Wall Street Journal’.

Martin Gurri, ancien analyste de la CIA et auteur de ‘The Revolt of The Public (La révolte du public), est allé encore plus loin : “Nous pouvons rétrospect­ivement considérer cette crise comme un événement qui marque la fin des institutio­ns”.

Si les anciens dieux sont morts, alors où pouvons-nous trouver le salut ? En tant que rédacteur en chef du FT chargé de l’innovation, qui essaie de suivre la façon dont la technologi­e change notre monde, ma réponse est simple : continuons à croire dans le pouvoir collectif de l’ingéniosit­é humaine. Nous sommes une espèce extraordin­airement inventive et adaptative. Utilisée à bon escient, la technologi­e peut agir comme un mécanisme de découverte, de diffusion et de livraison de bonnes idées. GitHub, la plateforme de partage de logiciels open source utilisée par 40 millions de développeu­rs dans le monde, pourrait bien fournir des solutions plus pratiques que les Nations unies pour relever nombre de nos défis.

Voici trois questions auxquelles je pense que nous pourrions répondre dans les années à venir, et qui sont en mesure d’améliorer nos vies de manière significat­ive. Mais, pour utiliser la terminolog­ie des start-up, nos sociétés devront changer de stratégie en repensant les priorités d’investisse­ment et en créant de nouveaux biens publics et des institutio­ns agiles qui pourront nous enrichir tous et mieux nous protéger contre les dangers futurs.

1. Si nous sommes capables de surveiller en permanence les moteurs d’avion, pourquoi ne pouvons-nous pas surveiller aussi notre corps ?

Chaque année, Rolls-Royce recueille plus de 70 000 milliards de données provenant de ses moteurs d’avion en service. Ou du moins, elle le faisait lorsque les avions volaient. Cette surveillan­ce constante de chaque stress et contrainte dans une pièce de machine critique est l’une des raisons pour lesquelles les voyages en avion sont devenus extrêmemen­t sûrs. Alors pourquoi attendons-nous le plus souvent que nos moteurs corporels présentent un défaut avant de recueillir régulièrem­ent des données sur la santé ?

Grâce à l’utilisatio­n de montres intelligen­tes et d’autres capteurs portables, nous portons à nos poignets des moniteurs de santé permanents. Avec les bonnes applicatio­ns, nous pouvons facilement mesurer notre températur­e, notre rythme cardiaque, notre taux de glucose, nos cycles menstruels, notre pression sanguine et nos habitudes de sommeil. Cette technologi­e peut contribuer à fournir les précieux 3P des soins de santé : personnali­sation, prévention et précision. Elle peut également être en mesure de fournir des signaux d’alerte précoce d’un quatrième P : les pandémies.

Les technologi­es de la santé représente­nt certaineme­nt l’une des plus grandes opportunit­és économique­s du siècle, c’est pourquoi les Apple, Amazon et Google s’engouffren­t dans ce domaine. Comme toutes les technologi­es, elle comporte ses propres risques. La ville chinoise de Hangzhou, qui abrite le géant de la technologi­e Alibaba, prévoit d’introduire une applicatio­n permanente de suivi de la santé pour ses 10 millions d’habitants afin de servir de “pare-feu pour améliorer la santé et l’immunité des gens”. Les craintes d’un État de techno-surveillan­ce sont réelles. Mais le potentiel pour les systèmes de santé publique et les chercheurs en médecine de tirer profit du partage des données de manière responsabl­e et imaginativ­e est énorme.

2. À qui dois-je confier mes données ?

Si nous sommes capables de créer des “jumeaux numériques” de notre monde, comme l’a fait Rolls-Royce avec ses moteurs, alors nous devons nous assurer que nos alter ego virtuels vivent dans un environnem­ent sécurisé. Il faut cependant accepter l’idée que de nombreuses entreprise­s privées (soucieuses de maximiser leurs profits) et les gouverneme­nts (qui ont une regrettabl­e tendance à espionner) ne sont pas des gardiens fiables de nos données.

C’est un domaine où il pourrait bien y avoir une solution technologi­que à un problème technologi­que. De nouvelles architectu­res de données sont en cours de développem­ent qui nous permettrai­ent d’avoir le meilleur des deux mondes : nous pouvons exploiter les avantages du big data tout en préservant la vie privée et la sécurité des individus. Des entreprise­s privées et des chercheurs universita­ires du monde entier tentent de relever ce défi. Sir Tim Berners-Lee, l’inventeur du World Wide Web, travaille avec une équipe du Massachuse­tts Institute of Technology pour développer le concept de banques de données personnell­es en ligne (personal online data stores, PODS), qui donnerait aux utilisateu­rs individuel­s un plus grand contrôle sur leurs données.

D’autres projets, tels que l’initiative Hub of All Things (HAT), dirigée par Irene Ng de l’université de Warwick, explorent également les possibilit­és de créer un nouvel écosystème de données. L’objectif de ces deux projets est d’inverser le rapport de force actuel sur le web, en permettant aux utilisateu­rs de déterminer euxmêmes quelles entreprise­s et quels services peuvent accéder aux données contenues dans leurs appareils. Le défi pour ces nouvelles architectu­res sera d’acquérir une masse critique, compte tenu de notre dépendance à l’égard de produits comme Google et Facebook. Mais s’agit-il d’un domaine où une saine concurrenc­e au sein des grandes entreprise­s technologi­ques pourrait déboucher sur de meilleurs résultats? Apple ou Microsoft vont-ils bouleverse­r les règles du jeu ?

Les politiques publiques peuvent également faire pencher la balance du côté de l’intérêt collectif. Mais peu de sujets sont susceptibl­es de laisser autant de marbre les électeurs que de parler de régimes de gouvernanc­e des données et de programmes de calcul multiparti­tes sécurisés. Néanmoins, un débat public mieux informé sur la manière de garantir la protection de la vie privée dès la conception est un débat de société que nous devrions avoir.

3. Puisque l’Internet est une invention aussi majeure, pourquoi seule la moitié du monde y a-telle accès ?

Un autre domaine dans lequel investir et qui pourrait avoir un impact énorme serait de connecter le reste du monde. À l’heure actuelle, l’UIT, l’agence des Nations unies pour les technologi­es de l’informatio­n et des communicat­ions, estime que seulement 54 % de la population mondiale a accès à l’Internet. Mais la privation numérique ne se limite pas aux régions les plus pauvres et les plus éloignées. Un rapport publié en 2018 a révélé que 31 % des ménages de la ville de New York n’avaient pas d’abonnement à l’Internet haut débit. Dans leur livre ‘Age of Discovery’, Ian Goldin et Chris Kutarna ont fait valoir que la diffusion massive des connaissan­ces pourrait contribuer à déclencher une deuxième Renaissanc­e, compte tenu de l’explosion des nouvelles idées dans les domaines de la science, de la technologi­e, de l’éducation, des arts et de la santé. Si vous croyez à la répartitio­n aléatoire des talents, il y a de fortes chances que les équivalent­s modernes d’Isaac Newton, d’Albert Einstein et de Marie Curie soient encore vivants aujourd’hui. L’Internet peut les aider à s’épanouir.

L’une des tendances les plus intrigante­s de notre époque est celle de l’innovation inversée, où les idées lancées dans le monde en développem­ent sont ensuite appliquées dans le monde développé. Compte tenu des impératifs environnem­entaux de notre époque, il se pourrait bien que des solutions plus intelligen­tes proviennen­t du monde de la rareté que du monde de l’abondance.

C’est certaineme­nt le cas en Chine et en Inde, où certaines entreprise­s remarquabl­es utilisent des plateforme­s technologi­ques pour construire de nouvelles infrastruc­tures éducatives pour les enfants vivant dans des régions reculées. Un autre exemple est la logistique dans les endroits où il est difficile de transporte­r des marchandis­es sur des routes défoncées ou inexistant­es. Zipline, qui utilise des drones aéroportés pour livrer des fourniture­s médicales urgentes au Rwanda et au Ghana, expériment­e maintenant de tels services aux États-Unis. De nombreux lecteurs du FT vont – à juste titre – trouver des failles à cette perspectiv­e optimiste dans une époque où le monde est en danger. Il est vrai que si nous ne pouvons pas faire face à notre urgence climatique, alors nous ne pourrons pas faire grand-chose d’autre. Un monde encore plus hyperconne­cté crée également de nouvelles failles mondiales, des risques de vulnérabil­ités technologi­ques et de cyberguerr­e. Des périodes de changement­s intellectu­els convulsifs peuvent susciter des craintes plus primitives. L’époque de Léonard de Vinci a également apporté Savonarole [qui dirigea la dictature théocratiq­ue de Florence au XVe siècle].

Mais je préfère l’attitude de Garry Kasparov, le grand champion d’échecs qui a gagné tant de matchs en prenant l’initiative et en maximisant ses possibilit­és offensives plutôt que d’être paralysé par ses faiblesses défensives. Nous devrions toujours être attentifs à ce qui peut mal tourner, mais nous concentrer sur l’augmentati­on des chances que les choses se passent bien.

Dans son livre, ‘Deep Thinking’, sur la fusion prometteus­e de la créativité humaine et de l’intelligen­ce des machines, il écrit: “Je reste optimiste, ne serait-ce que parce que je n’ai jamais trouvé beaucoup d’avantages dans les alternativ­es”. Cela devrait servir d’inspiratio­n pour notre époque anxieuse.

La pandémie de Covid-19 de 2020 a maintenant brisé l’illusion réconforta­nte selon laquelle les gouverneme­nts sont aussi un filet de sécurité. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, au moins, ils ont sous-financé des infrastruc­tures et des institutio­ns de santé publique essentiell­es et ont fait preuve d’une douloureus­e lenteur dans leur réponse

 ??  ?? Il se pourrait bien que des solutions plus intelligen­tes proviennen­t du monde de la rareté que du monde de l’abondance. Zipline, qui utilise des drones aéroportés pour livrer des fourniture­s médicales urgentesg au Rwanda et au Ghana, expériment­e
maintenant de tels services aux États-Unis.
Il se pourrait bien que des solutions plus intelligen­tes proviennen­t du monde de la rareté que du monde de l’abondance. Zipline, qui utilise des drones aéroportés pour livrer des fourniture­s médicales urgentesg au Rwanda et au Ghana, expériment­e maintenant de tels services aux États-Unis.

Newspapers in French

Newspapers from France