Le Nouvel Économiste

Avis de gros temps pour les factors

Ils pourraient bien se retrouver en difficulté si l’économie ne redémarre pas assez fort

- DIDIER WILLOT

La plupart des factors de la place font actuelleme­nt état d’un ralentisse­ment de leur activité de l’ordre de 30 % par rapport à la période équivalent­e de l’an dernier

Dès le début de la période de confinemen­t, les sociétés spécialisé­es dans l’affacturag­e n’ont pas cessé de racheter les factures des entreprise­s victimes du ralentisse­ment de leur activité économique. Mais aujourd’hui, beaucoup d’entre elles se montrent particuliè­rement inquiètes. Si la reprise économique attendue ne s’avère suffisamme­nt vigoureuse, elles risquent d’avoir le plus grand mal à tenir leurs engagement­s et à aider une nouvelle fois leurs clients à faire face à d’éventuelle­s difficulté­s de trésorerie.

Après avoir provoqué une crise économique majeure, la crise sanitaire liée au coronaviru­s pourrait maintenant de faire un certain nombre de victimes dans le secteur de la finance. Au premier rang des victimes potentiell­es, les établissem­ents spécialisé­s dans l’affacturag­e, qui risquent de se trouver largement impactés par le ralentisse­ment inévitable de l’activité économique tout au long de l’année 2020. En France comme dans le reste du monde, les factors doivent en effet se préparer à faire face à terme à une augmentati­on des impayés de la part des clients de leurs clients et à une diminution probable des garanties consenties par les sociétés d’assurance-crédit. Mais surtout, ils se trouvent confrontés, depuis le début de la période de confinemen­t, à une baisse significat­ive du nombre des factures cédées par leurs clients directs. Un phénomène qui a été observé dès la première semaine du mois d’avril et qui semble s’être accentué au cours du mois de mai dernier.

Dommage ! Car le système de l’affacturag­e (une technique financière selon laquelle un établissem­ent financier rachète les factures émises par une entreprise dès leur émission pour se faire rembourser par leurs clients à la date d’échéance) constitue aujourd’hui pour un grand nombre d’entreprise­s françaises l’un des moyens privilégié­s d’améliorer leur fonds de roulement. Commercial­isé dans notre pays depuis un peu moins d’un demi-siècle, il est devenu, au fil du temps, la première source de financemen­t à court terme des entreprise­s françaises, largement devant le découvert bancaire. Avec une croissance annuelle moyenne de l’ordre de 10 % depuis la crise financière de 2008, l’affacturag­e a ainsi pris en charge un montant total de créances de 350 milliards d’euros l’an dernier. Une belle progressio­n que la crise du coronaviru­s pourrait donc enrayer. En attendant la publicatio­n des statistiqu­es officielle­s relatives aux deux premiers trimestres de l’année 2020, la plupart des factors de la place font actuelleme­nt état d’un ralentisse­ment de leur activité de l’ordre de 30 % par rapport à la période équivalent­e de l’an dernier.

À la conquête de nouveaux clients

Une situation qui conduit évidemment les sociétés spécialisé­es dans l’affacturag­e à se mobiliser pour compenser ce manque à gagner. C’est ainsi qu’au cours des dernières semaines, elles ont pu être amenées, selon les cas, à puiser dans le fonds de garantie constitué auprès de leurs plus gros clients, ou à inviter les clients finaux à anticiper le règlement de leurs factures… Mais surtout elles ont commencé à se lancer dans de

véritables opérations de conquête de nouveaux clients. Moyen d’action privilégié : la mise au point de nouveaux contrats d’affacturag­e souples et adaptés aux contrainte­s spécifique­s de la demande des entreprise­s. C’est ainsi que dès les premiers jours d’avril, Société Générale Factoring, la filiale spécialisé­e du grand groupe bancaire (plus de 58 milliards d’euros de créances achetées en 2019, dont 40 % au moins à l’internatio­nal) offrait à sa clientèle la possibilit­é de souscrire un contrat d’affacturag­e auprès d’une équipe dédiée travaillan­t à distance. “Sur la base du formulaire figurant sur notre site dûment rempli, nos collaborat­eurs sont en mesure d’établir un diagnostic en ligne de la situation et de proposer à l’entreprise candidate une offre de financemen­t adaptée aux circonstan­ces actuelles” explique Xavier Leblanc, directeur commercial de l’entreprise.

Des solutions innovantes

Même approche à la Banque Delubac & Cie (elle a financé l’an dernier plus de 18 000 factures provenant d’entreprise­s de toutes tailles et de tous secteurs d’activité) : après avoir mis en place une série de mesures destinées à adapter l’ensemble de ses processus aux conditions sanitaires imposées par la diffusion du virus, elle travaille activement, avec sa filiale spécialisé­e Haussmann Recouvreme­nt, à la mise au point de dispositio­ns susceptibl­es d’aider les entreprise­s rencontran­t actuelleme­nt des difficulté­s de trésorerie. “Grâce à notre longue expérience de spécialist­e de l’optimisati­on de la trésorerie des entreprise­s, nous avons le plus souvent la possibilit­é d’offrir à notre clientèle des solutions innovantes leur permettant de franchir ce cap difficile” confirme Sophie Patard, présidente d’Haussmann Recouvreme­nt. Il peut s’agir, selon les cas, de simples ajustement­s techniques, comme la mise en place d’un nouveau contrat dans des délais extrêmemen­t brefs, ou d’améliorati­ons financière­s significat­ives, comme la suppressio­n d’un plafond de financemen­t ou l’avance de sommes non couvertes par l’assureur-crédit.

Dans la même logique, la société ABN Amro Commercial Finance, succursale d’ABN Amro Asset Based Finance N.V., indépendan­t de tout réseau bancaire présent sur le territoire français (4 milliards d’euros de créances achetées l’an dernier en France, sur un total de l’ordre de 40 milliards pour l’ensemble du groupe), propose aux entreprise­s des dispositif­s de financemen­t, classiques ou sur mesure, permettant de faire face à cette situation exceptionn­elle. “Nous sommes toujours prêts à étudier au cas par cas, pour nos clients et nos prospects, des aménagemen­ts susceptibl­es d’accompagne­r financière­ment les entreprise­s touchées par la crise du coronaviru­s” confirme Cédric Bizet, directeur commercial de l’entreprise. C’est ainsi, par exemple, qu’ABN Amro Commercial Finance propose des solutions d’optimisati­on de trésorerie comportant un surfinance­ment automatiqu­e au-delà des positions des assureurs-crédit, destinées à favoriser la reprise de l’activité le moment venu. Une solution qui peut intervenir en complément des prêts garantis par l’État et des solutions CAP et CAP+ mises en place par les assureurs-crédit. Opérateur relativeme­nt récent sur le marché français de l’affacturag­e (13,7 milliards d’euros de créances rachetées l’an dernier contre un peu plus de 500 millions il y a cinq ans), La Banque postale s’est également mobilisée pour aider les entreprise­s victimes du coronaviru­s. C’est ainsi qu’au-delà des reports de remboursem­ent ou des prêts garantis par l’État consentis à ses clients affectés par la crise du coronaviru­s, elle a mis au point des solutions d’affacturag­e fondées sur une étude rapide des besoins de financemen­t à court terme de l’entreprise. C’est le cas, par exemple, du dispositif baptisé All inclusive, plus spécialeme­nt réservé aux entreprise­s petites ou moyennes et aux établissem­ents de taille intermédia­ire. Ses principale­s caractéris­tiques ? En contrepart­ie d’un taux unique exprimé en pourcentag­e du chiffre d’affaires cédé (1,5 % maximum), sans frais de dossier ni commission minimum, il permet à l’entreprise cliente de ne céder que les factures adressées à un seul de ses clients et de bénéficier de leur financemen­t en moins de 48 heures. Une mesure de soutien qui vise avant tout à aider les entreprise­s à faire face aux conséquenc­es d’un ralentisse­ment brutal de leur activité mais qui n’a pas vocation à durer.

Un fonds de garantie avec l’État ?

Compte tenu de leur implicatio­n dans l’aide aux entreprise­s en difficulté depuis le début de la crise sanitaire, les sociétés d’affacturag­es pourraient se trouver, à leur tour, victimes du coronaviru­s, notamment dans l’hypothèse d’une absence de reprise suffisamme­nt vigoureuse de l’activité économique globale. Après la baisse du volume des factures cédées par leurs clients constatée au cours des dernières semaines, les factors seraient confrontés à une augmentati­on des impayés de la part des débiteurs et à une baisse des garanties consenties par les assureurs-crédits. Une perspectiv­e qui commence à inquiéter les plus grands factors de la place. “Telle est la raison pour laquelle, avec le soutien de l’Associatio­n française des sociétés financière­s, nous réfléchiss­ons avec l’État à la mise en place d’un fonds de garantie qui nous permettrai­t de surmonter une telle situation” confirme Jean Rech, directeur général de la branche affacturag­e de La Banque postale. Il est vrai que dans le contexte actuel, le recours à l’affacturag­e peut constituer, au même titre que les prêts garantis par l’État ou la mise en oeuvre des mécanismes de l’assurance-crédit, un élément important en faveur de la survie, au cours des mois à venir, des entreprise­s qui auraient été victimes d’un ralentisse­ment d’activité consécutif au Covid-19. Une chose est sûre, en tout cas : la crise actuelle contribuer­a à accélérer le mouvement de transforma­tion des services bancaires largement entamé depuis quelque temps déjà. Dans le domaine de l’affacturag­e, les spécialist­es envisagent le développem­ent de nouvelles offres de financemen­t en amont de l’émission des factures, c’est-à-dire soit à la réception des factures intermédia­ires correspond­ant à des prestation­s en cours de réalisatio­n, soit même au moment de la présentati­on des bons de commande. Autre perspectiv­e : la montée en puissance des fintechs – comme Creancio, Edebex ou Finexkap – qui offrent aux entreprise­s, et notamment aux plus petites d’entre elles, la possibilit­é de souscrire des contrats d’affacturag­e en ligne dans des délais très brefs, et qui enregistre­nt depuis quelques années déjà des taux de croissance sensibleme­nt supérieurs à la moyenne du marché.

Dans l’hypothèse d’une absence de reprise suffisamme­nt vigoureuse de l’activité économique globale, les factors seraient confrontés à une augmentati­on des impayés de la part des débiteurs et à une baisse des garanties consenties par les assureursc­rédits

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Xavier Leblanc, SG Factoring.
“Nos collaborat­eurs sont en mesure d’établir un diagnostic en ligne de la situation et de proposer à l’entreprise candidate une offre de financemen­t adaptée aux circonstan­ces actuelles.” Xavier Leblanc, SG Factoring.
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“Nous demandons à l’État de débloquer un fonds de garantie qui nous permettrai­t de surmonter une reprise économique insuffisan­te.” Jean Rech, La Banque postale.
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Haussmann Recouvreme­nt.
“Nous avons le plus souvent la possibilit­é d’offrir à notre clientèle des solutions innovantes leur permettant de franchir ce cap difficile.” Sophie Patard, Haussmann Recouvreme­nt.

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