LES ENTREPÔTS, UN SECTEUR TRÈS CONVOITÉ
Prologis contre Blackstone : l’essor du commerce électronique fait des entrepôts un secteur très convoité
À la fin des années 1990, Hamid Moghadam, un promoteur immobilier d’origine iranienne, a fait un pari de 5 millions de dollars sur Webvan, un épicier américain en ligne. Ce fut un fiasco. Webvan a été l’une des victimes les plus spectaculaires du crash des dotcoms. Plus exaspérant encore, M. Moghadam a refusé l’opportunité d’investir dans une autre start-up de commerce électronique appelée Amazon, estimant que son activité était trop limitée aux livres par rapport à l’épicerie. Mais certains peuvent gagner même en perdant. Sentant une opportunité dans l’engouement pour le commerce en ligne, la société qu’il a cofondée, AMB, a vendu son portefeuille de centres commerciaux et acheté à la place des millions de mètres carrés d’espace
La société qu’il a cofondée, AMB, a vendu son portefeuille de centres commerciaux et acheté à la place des millions de mètres carrés d’espace d’entreposage sur le tarmac des aéroports américains. Deux décennies plus tard, la société qu’il dirige, Prologis, est le plus grand bailleur d’Amazon.
d’entreposage sur le tarmac des aéroports américains. “Nous nous sommes trompés d’entreprise, mais nous avons bien compris le trend”, dit-il. Deux décennies plus tard, la société qu’il dirige, Prologis, est le plus grand bailleur d’Amazon. M. Moghadam, qui a aujourd’hui 63 ans, domine le secteur des entrepôts dans le monde.
Diplômé de Stanford, il a débuté dans l’immobilier parce que personne d’autre en Amérique ne voulait l’embaucher pendant la révolution iranienne, et il a fait une carrière de pari audacieux. En 2011, alors que l’immobilier était encore ébranlé par la crise financière de 2007-2009, il a conclu un accord exceptionnel pour regrouper AMB et Prologis, un concurrent plus important, avec un total de 46 milliards de dollars d’actifs détenus et gérés. Depuis lors, la société d’investissement immobilier s’est développée dans le monde entier. Ses actifs s’élèvent à 125 milliards de dollars et sa superficie à 90 kilomètres carrés, soit un Manhattan et demi.
L’essor du commerce électronique pendant la pandémie du Covid-19 a contribué à soutenir le cours de ses actions ; sa capitalisation de 68 milliards de dollars est juste en dessous d’un niveau record. Pourtant, M. Moghadam n’est pas le seul à réaliser que l’humble hangar peut être un aussi bon investissement à l’ère du commerce électronique que les pelles l’étaient pendant la ruée vers l’or. Blackstone, le plus grand gestionnaire d’actifs alternatifs au monde, a investi plus de 25 milliards de dollars l’année dernière dans des entrepôts en Amérique et en Europe. Il considère la logistique comme son “investissement mondial le plus convaincant”. La bataille sur les friches industrielles est en cours.
Il est difficile d’imaginer que Stephen Schwarzman, le patron de Blackstone, parle avec autant de passion que M. Moghadam (qui possède une fraction de la richesse de M. Schwarzman) des détails de la logistique. Pourtant, la course entre le roi des entrepôts et le baron du capital-investissement vaudra la peine d’être suivie. Elle ne façonnera pas seulement l’avenir du commerce électronique. Elle changera aussi le paysage urbain.
Pour comprendre pourquoi, faites du vélo, comme nous l’avons fait le week-end dernier, dans la Lea Valley de Londres, un ensemble bucolique de péniches et de jardins potagers au bord de la rivière qui s’étend de l’East End couvert de graffitis au nord de la capitale. Arrêtez-vous au Ravenside Retail Park, où se trouvent des magasins fermés comme Mothercare, une marque britannique bien connue, et Maplin, un détaillant de produits électroniques. Ce parc est destiné à devenir le point de départ de l’apocalypse du commerce de détail. En janvier, Prologis a dépensé 51 millions de livres (68 millions de dollars) pour acquérir le site, juste avant que le Covid-19 n’accélère l’agonie de ses derniers locataires. Dans quelques années, une fois que ces derniers, ou leurs baux, auront expiré, Prologis espère transformer la zone en un entrepôt à plusieurs étages pour des sociétés de commerce électronique comme Amazon. Cela fait partie d’un schéma global. En Amérique, de tels centres logistiques surgissent des décombres de centres commerciaux morts.
Il est facile de mettre en stand-by l’activité d’entrepôt. Comme le dit un patron de l’industrie, les investisseurs le considéraient comme “quatre murs et un toit qui, espérons-le, ne se détérioreront pas” – en d’autres termes, comme vendable. Pourtant, M. Moghadam dit que c’est passionnant. La première tâche, dit-il, est de décider à quelle extrémité de la chaîne d’approvisionnement il faut se placer. Il s’est installé sur les marchés de consommation de masse dans le monde entier plutôt qu’à proximité des producteurs car, comme il le dit, “les consommateurs ne bougent pas, les usines oui”. C’est pourquoi ses entrepôts sont situés à proximité d’immenses zones urbaines où les terrains sont rares. Il faut également faire preuve de patience. En Amérique, il a fallu des décennies pour que le commerce électronique atteigne une part à deux chiffres des dépenses de détail. Les fermetures ont accéléré le mouvement. Avant la pandémie, environ un cinquième des entrepôts construits par
Prologis étaient destinés au commerce électronique, et le reste à d’autres formes de logistique. La part du commerce électronique atteint aujourd’hui 40 %, selon M. Moghadam.
La course à l’espace de stockage
Deux autres défis pour les promoteurs d’entrepôts consistent à fidéliser leur clientèle et à sécuriser un financement continu. Les analystes boursiers considèrent Blackstone au premier coup d’oeil comme un risque. Selon eux, la mentalité du capital-investissement “acheter, réparer, vendre” empêche les entreprises de logistique de nouer les relations à long terme qui leur permettent de se déplacer avec leurs clients dans le monde entier. Mais il ne faut pas sous-estimer l’endurance de Blackstone. Il a commencé à constituer son portefeuille d’entrepôts il y a dix ans. Il possède actuellement 80 millions de mètres carrés d’espace logistique dans le monde entier, et dispose de 45 milliards de dollars d’investisseurs destinés à l’immobilier. Prologis dit qu’il a plus de 13 milliards de dollars de “poudre sèche” [“Dry powder” ou liquidité disponible, ndt]. Il a également des stocks de surfaces disponibles qu’il a commercialisés lors de transactions récentes.
La pandémie pourrait rendre l’activité d’entreposage encore plus attractive. Alors que les locataires ont du mal à payer leur loyer, les créances douteuses augmentent. Mais contrairement à l’effondrement de l’immobilier d’il y a dix ans, les taux d’utilisation avant
Il y a quelques décennies, les entrepôts industriels abandonnés sont devenus des lieux de vie à la mode. Ceux de l’avenir pourraient même être des lieux de travail attrayants