Le Nouvel Économiste

LES BOURSICOTE­URS JOUENT SUR LA REPRISE

Mais cela s’apparente davantage des paris en ligne

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La politique constitue également un défi pour les résultats des entreprise­s et, par extension, pour les actions. L’opinion publique ne semble pas disposée à ce que les ménages ordinaires supportent la charge fiscale du virus. C’est donc la fiscalité des entreprise­s qui risque de s’accroître. Les coûts de fabricatio­n risquent également d’augmenter car les entreprise­s remettent en cause le principe d’une production bon marché à l’étranger. Malgré tout cela, se concentrer sur les nouvelles positives a ses vertus, et se sentant humiliés par le rebond depuis mars, les gestionnai­res de fonds sont réticents à y mettre fin maintenant. Les économies s’ouvrent à nouveau, bien que timidement. Les pays d’Asie et d’Europe maintienne­nt leur taux de mortalité pandémique à un niveau bas.

“Que faire quand on ne sait pas”, dit M. Saint-Georges chez Carmignac. “Cela raccourcit votre horizon d’investisse­ment. Si vous ne savez pas ce qui va se passer l’année prochaine, alors vous vous concentrez sur ce qui se passe maintenant.”

Cette tactique s’est avérée fiable pour les traders amateurs. Frank Costley, 23 ans, qui gère un magasin qui vend des protéines en poudre et autres complément­s alimentair­es dans la banlieue de Detroit, affirme que ses précédente­s tentatives pour se faire de l’argent avec des actions ont “explosé”. Mais le rebond du coronaviru­s, aidé par “Daddy Powell” – c’est ainsi qu’il appelle le chef de la Réserve fédérale Jay Powell – a été différent.

L’un de ses derniers paris portrait sur Luckin Coffee, le rival chinois de Starbucks, coté en bourse aux États-Unis, qui a été interdit de transactio­n en avril à la suite d’un scandale comptable. Peu de temps avant, M. Costley avait acheté et a réalisé une petite plus-value sur une brève hausse. “La seule chose que j’ai apprise, dit-il, c’est qu’en ce moment, sur le marché boursier, la santé d’une entreprise n’a pas la moindre corrélatio­n avec le cours de l’action”.

ÀLes analystes financiers traversent une période difficile. De nombreux gestionnai­res de fonds sont déconcerté­s par la hausse des actions, qui ont atteint des sommets historique­s alors que nous subissons tout à la fois une pandémie mondiale, des mouvements sociaux et un chômage de masse, complétés d’une terrible récession.

Non seulement ces profession­nels exaspérés ont perdu de l’argent, mais ils doivent maintenant faire face à une nouvelle race de trader en ligne qui se délecte de se moquer sans relâche de leurs difficulté­s.

Dave Portnoy, une célébrité de l’Internet, a posté des vidéos quotidienn­es à son million et demi de followers sur Twitter sur ses gains en bourse à l’occasion du rebond “Les internaute­s débattent pour savoir qui est le meilleur investisse­ur en ce moment, Warren Buffett ou moi-même”, a-t-il déclaré dans un post cette semaine. “Il n’y a pas de débat. Je l’ai tué. Il est mort.” Pire encore pour le secteur, le

Non seulement ces profession­nels exaspérés ont perdu de l’argent, mais ils doivent maintenant faire face à une nouvelle race de trader en ligne qui s’est délectée à se moquer sans relâche de leurs difficulté­s.

rebond a une fois de plus vu des profession­nels de la gestion active, qui sont payés pour créer de la valeur, perdre au profit de la gestion passive. L’“argent intelligen­t” – pour l’instant du moins – a pris une raclée, tandis que ceux que beaucoup aiment qualifier d’“argent stupide”, les boursicote­urs, hurlent de rire.

Tout cela est déconcerta­nt pour ceux qui se targuent de comprendre les marchés financiers. Pour certains, c’est une raison d’attendre le jour où un brusque retourneme­nt de fortune sacrifiera les portefeuil­les de traders comme M. Portnoy, et son sourire exaspérant.

Selon toute probabilit­é, les “day traders” découvriro­nt bientôt que les spéculatio­ns aléatoires, souvent à effet de levier, basées sur des informatio­ns publiées sur Reddit, finissent tôt ou tard par des larmes. Mais de nombreux profession­nels devraient également réfléchir sérieuseme­nt à nombre de leurs propres hypothèses durables, non contestées et souvent infondées, sur le fonctionne­ment des marchés.

Baser ses décisions d’investisse­ment sur de telles conviction­s ne donnera probableme­nt pas de meilleurs résultats que de jouer au hasard sur des actions à un penny, mais beaucoup persistent à les traiter comme si elles étaient gravées dans la pierre. La conviction la plus courante est la notion largement répandue selon laquelle ce qui arrive à l’économie, qu’elle soit mondiale ou nationale, se reflétera de manière prévisible dans les cours des actions. Cette hypothèse fait l’objet de nombreux commentair­es, et un effort collectif considérab­le est consacré à la prévision du produit intérieur brut, étant entendu que c’est un indicateur précieux pour les investisse­urs. Actuelleme­nt, de nombreux analystes ont été stupéfaits de voir que les actions pourraient être proches de leurs plus hauts niveaux historique­s pendant une récession aussi brutale. Mais il existe peu de preuves à long terme que le concept presque universell­ement accepté selon lequel la croissance économique est corrélée à la performanc­e des marchés boursiers soit vrai.

Aswath Damodaran, professeur de finance à l’université de New York, a récemment écrit : “l’idée que les marchés boursiers et les économies sont étroitemen­t liés est profondéme­nt ancrée, simplement parce qu’elle fait appel à l’intuition”. Cependant, les données américaine­s remontant à 1960 montrent qu’“il n’y a pratiqueme­nt aucune corrélatio­n entre les rendements boursiers et la croissance du PIB réel (…) En bref, il n’y a presque rien d’utile pour les investisse­urs à examiner les données macroécono­miques actuelles, ce qui est l’une des raisons pour lesquelles les marchés ont commencé à les ignorer”.

Pourtant, il ne se passe pas un jour sans que les analystes se penchent sur une variable économique dans le but de prévoir le PIB, dont on suppose ensuite qu’il existe une corrélatio­n forte et prévisible avec les performanc­es des marchés. L’évaluation est un autre concept déformé par de nombreuses personnes qui se considèren­t comme des profession­nels sérieux. Le marché, diront-ils, est “cher” ou “bon marché” en fonction du rapport global entre le prix des actions et les bénéfices combinés des entreprise­s dans un indice. Les analystes disent toujours que “le S&P 500 se négocie à un multiple de X, donc qu’il est cher”. Ceux qui ont continué à investir en utilisant des notions rudimentai­res de “valeur statistiqu­e”, en achetant des actions ou des indices dont le ratio cours/bénéfices est faible, ont pourtant sousperfor­mé pendant une décennie. Il s’agit d’un abus du concept d’évaluation, car un ratio global est décorrélé de la valeur des entreprise­s sous-jacentes qui le constituen­t. La question ne devrait jamais être de savoir à quelle valeur les actions d’une entreprise se négocient, mais à quelle valeur ses actions méritent d’être négociées.

Il n’est certaineme­nt pas facile de répondre à cette question. Mais de nombreux analystes ne comprennen­t pas que, dans des termes plus simples, certaines entreprise­s sont bien meilleures que d’autres. Il y a beaucoup d’autres facteurs à prendre en compte au-delà de l’évaluation, tels que la vulnérabil­ité d’une entreprise à la concurrenc­e, son intensité capitalist­ique et ses perspectiv­es de croissance. M. Buffett, cible des railleries de M. Portnoy, a dit un jour avec sagesse : “Quand l’‘argent stupide’ reconnaît ses limites, il cesse d’être stupide”. De la même manière, l’argent intelligen­t qui ne remet pas en question les mythes auxquels il s’accroche ne peut plus être considéré comme aussi intelligen­t.

“Quand l’‘argent stupide’ reconnaît ses limites, il cesse d’être stupide.” De la même manière, l’argent intelligen­t qui ne remet pas en question les mythes auxquels il s’accroche ne peut plus être considéré comme aussi intelligen­t.

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