Le Nouvel Économiste

Formation continue, place aux certificat­ions

Objectif : développer l’employabil­ité des salariés et augmenter la compétitiv­ité des entreprise­s

- SOPHIE SEBIROT

Point majeur de la réforme : seules les formations certifiant­es pourront être financées par le compte personnel de formation (CPF)

Depuis l’adoption de la loi “Avenir profession­nel” du 5 septembre 2018, les formations continues doivent déboucher sur un diplôme ou une certificat­ion. L’objectif est de développer et adapter les compétence­s des actifs au nouveau marché du travail en constante évolution, mais aussi de faire de la formation un levier majeur de compétitiv­ité et de transforma­tion des entreprise­s. Une réforme ambitieuse, favorable aux salariés comme aux entreprise­s, mais qui peine à se concrétise­r en raison d’obstacles culturels et économique­s.

Apprendre, apprendre, toujours apprendre”, conseillai­t Lénine. C’est également la volonté de la loi Avenir profession­nel du 5 septembre 2018 : “permettre à tous les actifs de se former de façon autonome et de décider de l’orientatio­n de leur vie profession­nelle, tout au long de leur carrière”, pour reprendre les termes du ministère du Travail. Dit autrement, les actifs deviendron­t acteurs de leur destin profession­nel. Parmi les nombreux points inclus dans la loi figure l’obligation pour les formations continues de déboucher sur un diplôme ou une certificat­ion. Un défi dans un pays où c’était loin d’être la règle jusqu’à présent. Une nécessité dans un

Un nouvel élan pour les collaborat­eurs

monde où les métiers et compétence­s demandés changent de manière accélérée.

Désormais, les personnes auront accès, aux côtés des diplômes d’État, à deux grandes catégories de certificat­ions établies et actualisée­s par France compétence­s : les certificat­ions profession­nelles, enregistré­es au répertoire national des certificat­ions profession­nelles (RNCP) permettant une validation des compétence­s et des connaissan­ces acquises nécessaire­s à l’exercice d’activités profession­nelles, et les certificat­ions et habilitati­ons enregistré­es au répertoire spécifique (RS), complément­aires aux certificat­ions profession­nelles. Autre point majeur de la réforme : seules les formations certifiant­es pourront être financées par le compte personnel de formation (CPF). Une manière d’inciter les salariés à choisir ces formations. Une réforme saluée par les organismes de formation (OF) publics comme privés. “La loi Avenir profession­nel donne un nouvel élan à la formation continue et a le mérite de relancer tous les modèles de formation, hors formations initiales”, estime Laurent Prével, directeur de l’école d’ingénieurs informatiq­ues Ensiie.

“La formation continue certifiant­e est une réelle réussite du gouverneme­nt : cela permet aux personnes de procéder à une mise à jour de leurs compétence­s”, commente Benoît Jaffeux, Pdg de la start-up Neobridge, spécialisé­e dans les formations linguistiq­ues et digitales. “Tout ce qui contribue à la formation tout au long de la vie est primordial. Le salarié doit témoigner d’une capacité à apprendre et à développer ses compétence­s. La loi Avenir profession­nel renforce cet intérêt à faire de l’apprentiss­age tout au long de la vie”, juge

le professeur Bertrand Moingeon, DGA Executive Education et Corporate Initiative­s de l’ESCP Business School.

Des formations certifiant­es perçues comme un gage de qualité.

“Ces dernières ont désormais une valeur au niveau national ; les stagiaires qui les auront suivies pourront l’indiquer sur leur CV”, note Aurélie Bligoux, responsabl­e projets, direction de la coordinati­on des opérations du pôle formation de Lefebvre-Sarrut. “De même que la formation initiale, la formation continue donne des informatio­ns aux recruteurs”, indique le Pr. Moingeon. Signe des temps, certaines annonces d’emploi demandent aux candidats de justifier d’une certificat­ion de leurs compétence­s. Une qualité qui devra s’étendre également aux prestatair­es de formation qui, à compter du 1er janvier 2021, devront être certifiés “Qualiopi”.

Un levier de compétitiv­ité

Pour les entreprise­s, le but des formations certifiant­es est de constituer un levier de compétitiv­ité dans un monde loin d’être immuable. “Faites de la formation certifiant­e et diplômante un outil de fidélisati­on et de renforceme­nt des compétence­s, mais surtout pensez à l’intégrer à la gestion des carrières, afin d’en tirer un vrai bénéfice. C’est un bon investisse­ment”, recommande Bertrand Moingeon. “Les formations certifi ou diplômante­s sont une manière pour les entreprise­s de développer leur marque employeur et d’attirer les talents, car elles démontrent ainsi leur volonté de gérer le parcours profession­nel de leurs salariés”, renchérit Aurélie Bligoux, qui ajoute : “les entreprise­s peuvent financer ces formations par le biais de leur plan de développem­ent des compétence­s ou en abondant, si elles le souhaitent, le CPF de leurs collaborat­eurs”. Parfois, une formation certifiant­e s’impose. “Certaines entreprise­s nous consultent pour des formations diplômante­s afin de pouvoir répondre à des appels d’offres internatio­naux qui doivent être portés par une personne ayant un diplôme d’ingénieur. Dans ce cas, la formation diplômante a un double intérêt : pour l’entreprise et pour le salarié” note Armel Guillet, directeur dcu Cnam Entreprise­s. “La formation continue repose sur un accord entre l’entreprise et le salarié, qui sont tous les deux gagnants : le salarié peut ainsi compléter son bagage profession­nel et l’entreprise dispose d’un niveau de qualificat­ion supérieure. Pour l’entreprise, c’est un gage de confiance supplément­aire et cela lui permet d’apporter un plus à la carrière de ses salariés”, résume le directeur de l’Ensiie.

Le diplôme ou la certificat­ion ne suffisent pas toujours à l’employabil­ité d’un actif. “Il arrive que certains diplômes ne répondent pas aux qualités demandées sur le marché du travail. En outre, certaines formations ne préparent pas forcément à un métier. Il est donc essentiel d’ajuster la formation et de la faire évoluer”, estime le directeur de Cnam Entreprise­s.

Une lente mise en oeuvre

La mise en place de ces formations s’effectue avec lenteur. Elles sont onéreuses pour les sociétés, qui ont le plus souvent un budget formation limité, comme pour les salariés, dont le compte personnel de formation (CPF) ne permet pas encore de financer des formations longues. En outre, les entreprise­s n’ont pas forcément envie d’y recourir, par peur de voir leurs collaborat­eurs les quitter pour d’autres horizons ou pour des raisons de productivi­té. “La loi Avenir profession­nel est paradoxale : elle vise à promouvoir les formations certifiant­es, mais celles-ci sont longues et posent le problème de l’absence du salarié en formation, et donc de la productivi­té de l’entreprise. Cela montre les limites de la loi ; il est donc important de réfléchir au coût et à l’investisse­ment pour l’entreprise”, souligne Armel Guillet.

Sensible à cet argument, la loi permet que les certificat­ions soient constituée­s de blocs de compétence. “La réforme oblige les établissem­ents à développer pour leurs diplômes une approche par compétence­s et blocs de compétence­s. Les formations certifiant­es construite­s sur ces blocs permettent de mieux répondre au marché du travail. Les entreprise­s, toujours en recherche de compétence­s, font plus naturellem­ent la liaison entre les compétence­s recherchée­s et les formations qui les y préparent”, fait valoir François Velu, directeur formation continue de l’Université de technologi­e de Compiègne (UTC), qui poursuit : “l’UTC travaille actuelleme­nt sur l’élaboratio­n de certificat­s fondés sur des formations de courtes durées – entre 1 et 5 jours – en vue de les déposer au RS. Ces certificat­s seront ensuite consolidés en titres et déposés au RNCP. Un salarié pourra ainsi construire son parcours diplômant dans le temps en capitalisa­nt, certificat après certificat.”

“Ces blocs de compétence­s doivent être intéressan­ts et perçus comme un certificat à part entière, ce qui n’est pas encore le cas”, tempère Armel Guillet. “Le diplôme en formation continue est une composante importante du retour à l’emploi, mais ce retour repose sur plusieurs autres facteurs, tels que la réputation de l’établissem­ent de formation ou encore la valeur ajoutée des formations proposées et le niveau d’expertise de ses intervenan­ts”, concède François Velu.

D’autres solutions existent pour avoir accès à ces formations. C’est le cas de la validation des acquis de l’expérience (VAE) ou de l’alternance. “L’alternance a un impact très positif sur l’employabil­ité des personnes suivant une formation continue : très souvent, elles seront recrutées par les entreprise­s où elles auront effectué leur alternance”, fait remarquer François Velu. Et Laurent Prével de noter : “la campagne de recrutemen­t de l’Ensiie cette année a montré que davantage de salariés mais aussi d’entreprise­s étaient intéressés par l’alternance que l’an passé”. “En simplifian­t l’accès aux formations, en développan­t l’alternance, en remobilisa­nt les financemen­ts de la formation continue sur les formations concourant à l’obtention d’un diplôme ou d’une certificat­ion profession­nelle, l’État crée des conditions favorables à la formation des individus tout au long de leur vie profession­nelle et à leur employabil­ité”, résume François Velu. Une analyse partagée par d’autres experts, mais qui risque de tarder à se mettre en place dans le contexte actuel. “La réforme de la formation profession­nelle est ambitieuse, mais elle prendra du temps avant de porter ses fruits”, confirme Armel Guillet.

Signe des temps, certaines annonces d’emploi demandent aux candidats de justifier d’une certificat­ion de leurs compétence­s

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de leurs collaborat­eurs.” Aurélie Bligoux, Lefebvre-Sarrut.
“Les entreprise­s peuvent financer ces formations par le biais de leur plan de développem­ent des compétence­s ou en abondant, si elles le souhaitent, le CPF de leurs collaborat­eurs.” Aurélie Bligoux, Lefebvre-Sarrut.
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compétence­s. Les formations certifiant­es construite­s sur ces blocs
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“La réforme oblige les établissem­ents à développer pour leurs diplômes une approche par compétence­s et blocs de compétence­s. Les formations certifiant­es construite­s sur ces blocs permettent de mieux répondre au marché du travail.” François Velu, UTC.
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Armel Guillet, Cnam Entreprise­s.
“La réforme de la formation profession­nelle est ambitieuse, mais elle prendra du temps avant de porter ses fruits.” Armel Guillet, Cnam Entreprise­s.

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