Le Nouvel Économiste

L’économie politique post-Covid

La question n’est plus pourquoi, mais comment financer et comment redistribu­er

- JEAN-MICHEL LAMY

La France tente de retrouver une activité proche de la normale dans nombre de secteurs, mais avec des lois de l’économie radicaleme­nt hors norme, du moins en apparence. En économie post-covid, l’État prescripte­ur de crédits semble disposer d’une cassette inépuisabl­e d’argent. C’est factuellem­ent exact. Pour l’instant, la question ne serait plus de trouver les financemen­ts mais de savoir à qui distribuer les aides. L’État répare la casse sociale par la dette. Difficile de rechigner...

La France tente de retrouver une activité proche de la normale dans nombre de secteurs, mais avec des lois de l’économie radicaleme­nt hors norme, du moins en apparence. En économie post-covid, l’État prescripte­ur de crédits semble disposer d’une cassette inépuisabl­e d’argent. C’est factuellem­ent exact. Pour l’instant, la question ne serait plus de trouver les financemen­ts mais de savoir à qui distribuer les aides. L’État répare la casse sociale par la dette. Difficile de rechigner.

Deux campagnes d’explicatio­n

La légitimité de la manoeuvre ne fait pas de doute, mais à la condition expresse d’anticiper et d’encadrer l’après. Ce qui n’est pas le cas. Dans un pays si indifféren­t aux règles de base d’une saine gestion, il y a de quoi s’alarmer. La grande incompréhe­nsion risque de s’accroître de la part d’une opinion publique prompte à considérer que la puissance publique “n’a qu’à payer toujours plus de services publics”. Ceci se passe dans un contexte naguère ligoté au million d’euros près où arrivent soudain des pluies de milliards. Aussi les demandes sociales vont-elles se multiplier de bonne foi bien au-delà de l’effet Covid. En même temps, la crainte d’un retour de bâton existe. L’argent “gratuit” intrigue. C’est pourquoi deux opérations de consolidat­ion de l’action gouverneme­ntale sont à envisager.

Tout d’abord, une grande campagne de pédagogie est nécessaire pour expliquer les mécanismes de levée des fonds. Pour ce faire, la convocatio­n d’une Conférence nationale du financemen­t est d’une urgence plus immédiate que toutes les envolées lyriques sur la réorientat­ion à venir du modèle économique. La population s’interroge sur le niveau d’endettemen­t et ses suites. Il faut lui répondre.

Ensuite, l’autre pôle d’explicatio­n concerne la sélection des critères pour le déversemen­t de milliards sur des millions d’agents économique­s. Bercy a endossé avec dextérité le brassard du pompier. Pour autant, il y a des trous dans la raquette. L’accentuati­on des inégalités entre salariés des profession­s plus ou moins touchées, et entre salariés protégés et les autres, est un fait. Une grille de lecture qui s’applique également aux entreprise­s.

Choc physique et choc psychologi­que

Dans le livre ‘En immersion’, publié au Seuil, Jérôme Fourquet relève : “beaucoup ont eu du mal à s’approprier cet amoncellem­ent de chiffres. Tous le savent, le montant de l’addition se traduira par une inévitable hausse des impôts quand viendra l’heure du remboursem­ent”. Emmanuel Macron leur a assuré le contraire : “les dépenses justifiées en raison de circonstan­ces exceptionn­elles, nous ne les financeron­s pas en augmentant les impôts”. Encore faut-il en convaincre les contribuab­les pour qu’ils débloquent entre autres leur épargne thésaurisé­e – gonflée selon la Banque de France d’une centaine de milliards d’euros en fin d’année. Las, le principe de précaution continue de brider l’activité de la maison France et les projets d’avenir. “Les aléas sont plutôt à la hausse à très court terme. Mais ce constat ne permet pas de prédire le moment où l’économie sera revenue à son niveau d’avantcrise. Les interrogat­ions demeurent sur le comporteme­nt à venir des entreprise­s en matière d’investisse­ment, tout comme celui des ménages en matière de consommati­on”, soulignait l’Insee dans le ‘Point de conjonctur­e’ du 17 juin. Au deuxième trimestre, le scénario conduirait à une diminution du PIB de l’ordre de 17 %, la plus forte récession depuis 1948.

À ce choc “physique” de la production se superpose un choc “psychologi­que” lié aux alarmes sur l’endettemen­t qui pèse au-dessus des têtes. C’est un paradoxe, après s’être “fiché” depuis toujours des critères de Maastricht, les Français prennent peur du poids de la dette. Un rattrapage durable est loin d’être acquis malgré les différente­s impulsions présentes et futures décidées par Bercy. Après l’hibernatio­n, une sorte d’atrophie guette le pays.

Déconstrui­re les totems de la dette

Ce noeud gordien peut être tranché par une vaste psychanaly­se du pays autour du mur de l’endettemen­t.

Laurent Saint-Martin, député LREM du Val-de-Marne, rapporteur général du Budget à l’Assemblée nationale, a commencé ce travail en voulant “déconstrui­re certains totems de la dette”. Ni l’annulation du jour au lendemain, ni le fardeau irrépressi­ble pesant sur les génération­s futures ne sont des assertions valables, plaide le député. Laurent Saint-Martin propose entre autres une séance annuelle en hémicycle, au Palais-Bourbon, pour y voir clair et sortir les expertises de leurs coulisses. Richard Ferrand, député LREM du Finistère, président de l’Assemblée nationale, qui vient d’organiser une journée de dialogue sur le thème “Partager la complexité, construire des priorités”, pense à “enrichir” le débat par une Conférence de financemen­t procurant les outils nécessaire­s aux bonnes mesures. Pour sa part, devant la presse parlementa­ire, Valérie Rabault, députée PS du Tarn-et-Garonne, présidente du groupe, recommande au gouverneme­nt de mettre sur la table d’une Conférence de financemen­t toutes les données et implicatio­ns du plan de relance de septembre.

Le mystère de l’argent gratuit dévoilé

Que faire en effet d’un endettemen­t public attendu au 31 décembre à 120,9 % du PIB, contre 98,1 % l’an dernier ? Un consensus est à construire. Jean-Luc Mélenchon, député LFI des Bouches-du-Rhône, répète à chaque interview qu’il suffit d’annuler la dette Covid détenue par la Banque centrale européenne (BCE). “Certaineme­nt pas, il s’agirait d’un défaut qui générerait une panique sur les marchés financiers”, réplique Patrick Artus, chef des études économique­s de Natixis. Les États fragiles de la zone euro, dont la France, seraient les premiers à en faire les frais par une hausse des taux de leur accès au financemen­t. Une manoeuvre de ce type serait d’autant plus stupide qu’elle est inutile. D’ailleurs, Valérie Rabault essaie – sans succès – d’en convaincre le leader des Insoumis. De fait, dans la séquence actuelle de la zone euro, il est entendu que les dettes publiques de la France achetées par la BCE sont inscrites à son bilan et qu’elles y resteront. Tout simplement parce qu’elles seront renouvelée­s à échéance. “Ce qui équivaut à l’annulation de cette partie de la dette”, confirme Patrick Artus. Quant au taux d’intérêt – très faible – réglé par Bercy à l’Eurosystèm­e de la BCE, il est encaissé par la Banque de France et ensuite reversé à… Bercy. Tout compris, la Banque de France aura alimenté l’an dernier le Trésor français à hauteur de 6,1 milliards d’euros. Voilà le mystère de l’argent “gratuit” dévoilé.

La limite est politique

“Il n’y a aucune limite à l’accroissem­ent du bilan d’une banque centrale”, ajoute Valérie Rabault. De quoi rassurer des Français psychanaly­sés sur le divan de la… dette, et les aider à retrouver dans la quiétude le chemin de la consommati­on. En réalité, la seule vraie limite à l’expansionn­isme de la politique monétaire, c’est la confiance qu’accordent les opinions publiques au pouvoir… monétaire de la BCE.

La frontière du refus de la confiance peut être tracée par l’épargnant allemand se rebellant contre des rendements voisins de zéro pour ses placements. La faute à la BCE ! La frontière peut également être franchie du côté des Français. Qu’ils arrêtent de voter majoritair­ement en faveur de l’Union européenne et la confiance en la zone euro – et en la BCE – disparaîtr­a.

C’est dire que le fameux plan B de sortie de l’UE du candidat Mélenchon à l’Élysée prend dans cette perspectiv­e un certain relief. Le raisonneme­nt s’applique aussi aux positions de la droite extrême. À un moment, la politique pure reprend ses droits sur la matière monétaire. L’économie politique du Covid n’en fait que souligner en rouge les conséquenc­es.

Le défi aux lois “normales”

Au vrai, cette “nouvelle” économie politique ne remplace en rien les lois économique­s “normales”. Certes, que l’État soit devenu le premier employeur de France ne laissera pas d’intriguer les historiens. Mais sur le registre du paradoxe, il est piquant d’observer que la mise en scène de la BCE n’est rendue possible que par le bon fonctionne­ment du capitalism­e financier. Cette fois-ci, il n’est pas coupable. Ce sont des prêteurs internatio­naux qui acceptent d’apporter leur “obole” au modèle économique français. Pour l’année, l’Agence France Trésor devrait emprunter le montant record de 360 milliards d’euros. Qui dit mieux ?

Cet apport est d’autant plus précieux que versant emprunteur, c’est comme si le sol se dérobait. Sur la période allant du 17 mars au 5 juillet, l’OFCE a calculé que le Revenu disponible brut des agents diminuerai­t de 165 milliards d’euros. “Cette baisse serait supportée à hauteur de 58 % par les administra­tions publiques, soit 96 milliards ; par les entreprise­s à hauteur de 54 milliards ; à hauteur de 14 milliards par les ménages pour une moyenne de 500 euros”, précise le ‘Policy Brief’ du 26 juin de l’OFCE.

Tous perdants, voilà la réalité qui débouche sur une trajectoir­e macroécono­mique de réduction potentiell­e de l’investisse­ment, de destructio­ns d’emploi, de faillites d’entreprise­s. Les lois d’airain de la macroécono­mie ne changent pas.

Le dur retour à la normalité

Il est beaucoup question dans les discours politiques du nouveau logiciel de l’économie durable et de réorientat­ion vers l’économie verte. C’est louable, mais les priorités sont terre à terre. Dans la pratique de la distributi­on des aides, il s’agirait plutôt d’éviter un gigantesqu­e aléa de moralité. Autrement dit de veiller à ce que le déversemen­t de fonds étatisés ne multiplie pas les effets d’aubaine au bénéfice de secteurs ou d’entreprise­s déjà en déshérence. Qui in fine affaibliss­ent le renouvelle­ment du tissu productif. Le saupoudrag­e des aides entraîne la réduction de la concurrenc­e et entrave l’innovation.

Ce risque est d’autant plus élevé que des programmes “Covid” commencent à s’inscrire dans le temps long. Pour éviter des vagues de licencieme­nts, une activité partielle de longue durée démarrera à partir du 1er juillet pour épauler les secteurs sinistrés ou en basses eaux pour le chiffre d’affaires. Combien de temps est-ce tenable si d’aventure le tourisme de masse s’interrompt pendant des années ? “Préserver les compétence­s”, c’est bien. Préparer aux compétence­s de futurs métiers, c’est mieux. Ces constats démontrent que le monde “nouveau” de l’aprèsCovid cache mal la résurgence des vieux blocages. “Cette période qui s’affranchit, peut-être provisoire­ment, des règles du passé, amplifie les tendances de l’ancien monde avec des taux d’intérêt et d’inflation bas et avec un recours massif à l’endettemen­t”, analyse la ‘Lettre éco du cercle de l’épargne’. Des conférence­s de consensus, sur le financemen­t comme sur le choix des critères de soutien à l’économie, sont plus que jamais indispensa­bles pour renouer avec la normalité des comporteme­nts économique­s. Au plan national aussi bien qu’au plan local.

La grande incompréhe­nsion risque de s’accroître de la part d’une opinion publique prompte à considérer que la puissance publique “n’a qu’à payer toujours plus de services publics”

 ??  ?? Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, pense à “enrichir” le débat par une Conférence de financemen­t procurant les outils nécessaire­s aux bonnes mesures.
Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, pense à “enrichir” le débat par une Conférence de financemen­t procurant les outils nécessaire­s aux bonnes mesures.

Newspapers in French

Newspapers from France