Les cocktails au rhum et leur histoire
Sur une base de rhum, de sucre, de citron… et d’imagination
Pendant le confinement, les ventes de rhum n’ont pas baissé en grande distribution, loin de là. Selon le cabinet Nielsen, elles ont même augmenté entre le 12 et le 29 mars de 11 % !
Daïquiri, Mojito, Cuba Libre, Ti punch… on ne compte plus les cocktails stars réalisés à base de rhum. Très tôt, le rhum, ce spiritueux né dans les Caraïbes, s’est bu en mélange. Aussi aujourd’hui, la grande majorité du rhum consommé sur la planète l’est, sans surprise, en cocktail. Mais il ne suffit pas de mélanger du rhum avec d’autres ingrédients pour faire un bon cocktail. Il faut choisir le bon rhum, trouver les bons ingrédients et adopter les bons dosages.
Le rhum est un spiritueux formidable, car comme le whisky ou le cognac, il peut à la fois se boire (avec modération) pur, et mélangé avec d’autres ingrédients. En réalité, c’est surtout en cocktail qu’il est consommé à travers le monde, la mode des rhums premiums de dégustation étant assez récente. Remontons dans le temps. Les ancêtres du rhum, aussi appelés “killdevill”, “tafia”, ou “guildive”, étaient distillés à partir d’écumes, de résidus de la fabrication de sucre. Ces boissons fortes et rustres étaient probablement consommées pures, en sortie d’alambic de type vinaigrier. Elles étaient connues pour rendre fous, voire aveugles ceux qui en abusaient, et leur goût était réputé fort mauvais. Les consommateurs de “rhums” d’alors qui en avaient la possibilité (c’étaient surtout des esclaves, des colons sans le sou et des pirates), tentèrent probablement de l’adoucir avec quelque macération ou adjonction de fruits.
Mais il ne reste pas de traces de telles pratiques, aussi penset-on que ce sont les marins qui furent les premiers à déguster du rhum agrémenté d’épices ou de fruits. On transportait en effet de nombreux produits tropicaux marinant dans des tonneaux de rhum pour les conserver pendant les voyages à la voile jusqu’aux métropoles qui duraient plusieurs mois. Et les marins piochaient dedans. Un amiral anglais pourrait bien avoir inventé le premier cocktail “officiel”, il s’agit de l’amiral Vernon, surnommé Grogam, qui décida en 1740 de couper le rhum distribué aux équipages de ses bateaux avec de l’eau afin de lutter contre l’alcoolisme qui y sévissait, et du citron afin de lutter contre le scorbut. Le grog était né.
Du punch au cocktail
Ce furent encore les Anglais qui apportèrent un peu plus de sophistication au cocktail lorsqu’au XVIIe siècle, ils se mirent à consommer du “punch”. Du rhum (souvent en provenance de la Jamaïque et de la Barbade) était mélangé à des épices, parfois du thé, du sucre, du citron… dans de grands bols et était consommé par l’élite. Tous ces ingrédients étaient en effet forts onéreux à l’époque. “Cette façon de consommer un mélange d’alcool et de divers ingrédients dans de grands ‘bowls’ perdura jusqu’au XIXe siècle,
“Un cocktail est réussi lorsqu’il donne une impression de fraîcheur qui se dégage (sans les glaçons) et qu’un équilibre est atteint entre l’amertume et/ou l’acidité et le sucre”
raconte le spécialiste des cocktails et fondateur de Colada Cocktails Baptiste Bochet. Les cocktails tels que nous les connaissons naquirent plutôt entre fin XIXe et début XXe, lorsqu’on commença à faire les mélanges directement dans les verres (ou le shaker) et que le prix de la glace (et donc des glaçons) commença à baisser.” La fin du XIXe siècle fut aussi dans les colonies productrices de rhum, qui allaient devenir les Dom d’aujourd’hui, la période où l’on se mit à consommer le rhum en ti punch (rhum agricole, citron vert et sucre dans les Antilles). “À la Réunion, l’arrangé fait à partir de rhum macéré avec des fruits et/ou des épices devint la boisson identitaire de l’île, raconte Cyril Isautier, le directeur des rhums éponymes. Il s’agit en quelque sorte d’un cocktail qu’on prépare longtemps à l’avance.”
Cuba devient le creuset des cocktails
Le cocktail connut à partir du début du XXe siècle sa véritable heure de gloire à Cuba, avec l’apparition de cocktails devenus de véritables hits mondiaux tels que le mojito ou le daïquiri. “Certains disent que ce dernier a été inventé vers 1898 par un ingénieur américain appelé Jenning Cox, exploitant d’une mine près de Santiago de Cuba, raconte Adeline Druart, chef de produit senior Havana Club & Pacto Navio. Tombé à court de gin, il décida d’improviser avec du rhum léger cubain et créa un cocktail qui combla ses invités.” Mais celui qui a perfectionné le daïquiri d’une façon complètement originale s’appelait Constantino Ribalaigua. C’est ainsi qu’El Floridita, son bar, s’est rapidement fait connaître comme “le berceau du daïquiri”, et comme l’un des bars préférés d’Ernest Hemingway. Quant au mojito, le cocktail le plus consommé en France et dans le monde encore aujourd’hui, il a vu don destin étroitement lié avec la marque Havana Club et le partenariat noué en 1993 entre le groupe Pernod Ricard et l’État cubain. Parallèlement à la montée en puissance des cocktails à Cuba au début du XXe siècle, le mouvement Tiki naissait aux États-Unis. Les barmen Donn Beach et Trader Vic lancèrent dans les années 1930 une série de restaurants à thème polynésien qui connurent un grand succès et relancèrent l’intérêt pour des cocktails tels que le Mai Tai et le Zombie. Encore aujourd’hui, ce courant reste très fort en mixologie et fait la part belle aux rhums.
Quand les cocktails profitent du confinement
Aujourd’hui, les cocktails au rhum sont extrêmement répandus sur la planète. On peut aller dans des bars pour les consommer, mais on peut aussi tenter de les réaliser à la maison. La crise du Covid-19 et le confinement ont d’ailleurs permis à de nombreux Français de s’improviser mixologistes. En effet, les ventes de rhum n’ont pas baissé en grande distribution, loin de là. Selon le cabinet Nielsen, elles ont même augmenté entre le 12 et le 29 mars de 11 % !
Dans le même temps, nombre de vidéos ou d’articles expliquant comme élaborer des cocktails “at home” ont fleuri sur Internet. La Maison La Mauny a par exemple diffusé sur son site Internet les recettes de cocktails comme le ti punch, le planteur de l’île, le ti honey… Chez Trois Rivières, qui fait partie du même groupe, on a ouvert le concours Rhumbellion, d’habitude réservé aux barmen professionnels, au public. “Il s’agissait pour les membres de notre communauté de clients de réaliser des cocktails originaux à partir de références Trois Rivières et d’ingrédients du quotidien, de noter leur recette, de se prendre en photo, explique Benoit Tarnowski, ambassadeur de la marque. Puis d’envoyer le tout à un jury composé de la barmaid star de la Martinique La Loca et du vainqueur du premier concours Rhumbellion (qui officie au bar du Lutetia à Paris), Nicolas Battafarano.”
La Sainte Trinité du cocktail
Mais comment réaliser un cocktail réussi ? Beaucoup de ceux réalisés à base de rhum sont élaborés à partir de ce que le spécialiste des cocktails Baptiste Bochet appelle la Sainte Trinité : rhum, sucre et citron. D’abord parce que ces ingrédients étaient peu chers et faciles à trouver dans les Caraïbes, ensuite parce qu’ils permettent de donner une base équilibrée au cocktail. “Un cocktail est réussi lorsqu’il donne une impression de fraîcheur qui se dégage (sans les glaçons) et qu’un équilibre est atteint entre l’amertume et/ou l’acidité et le sucre”, révèle Baptiste Bochet.
Pour réaliser de bons cocktails, il faudra donc du rhum, du sucre de canne (ou sirop) et des citrons (verts de préférence). En ce qui concerne les rhums, une ou deux références de rhums légers jeunes et vieux, par exemple de chez Havana Club ou Bacardi, sont idéales. Ces “rones” se marient idéalement en cocktails car ils ne sont pas trop aromatiques et ne risquent pas de prendre le pas sur les autres ingrédients et d’ainsi briser l’équilibre de l’ensemble. Avoir un rhum anglais de type “lourd”, plus difficile à travailler, est aussi une option intéressante. Et pourquoi pas aussi un rhum épicé ? Les rhums agricoles seront plus difficiles à utiliser en cocktail car ils ont souvent énormément de personnalité et risquent de prendre le pas sur les autres ingrédients. Leur accommodement demande donc un peu plus de doigté et une adaptation des doses habituelles. Ils sont en tout cas indétrônables en ti punch ! Il faudra enfin disposer de verres de différentes formes (tiki, old fashioned, coupes…), d’un shaker, d’un doseur à alcool double et d’une cuillère à cocktail. Reste ensuite à donner libre cours à l’imagination et à tenter des expériences pour trouver les meilleurs accords. De nombreuses marques sortent donc régulièrement rhums imaginés pour fonctionner en cocktail et non être bues purs.