Le Nouvel Économiste

LES PRÉMICES D’UNE REPRISE EN ‘V’

Les raisons d’un nouvel optimisme ne manquent pas

- MERRYN SOMERSET WEBB, ‘MONEY WEEK’, FT POUR LE

Jeudi dernier, des milliers de personnes sont descendues sur la plage de Bournemout­h – un endroit très populaire dans le sud du Royaume-Uni. Elles se sont baignées au soleil les unes à côté des autres, ont pique-niqué, nagé, bu, joué et laissé derrière elles des tonnes de déchets. Les autorités locales, paniquées par la propagatio­n potentiell­e du Covid-19, se sont déclarées “absolument consternée­s” par les “actions irresponsa­bles (…) de tant de personnes” – et ont rapidement émis 558 contravent­ions. Mais il y a une autre façon de voir les choses, avec des plages américaine­s tout aussi fréquentée­s. Il s’agit peut-être moins d’une catastroph­e en attente que d’un signe de la demande refoulée qui, dans la vie normale, rendrait probable une reprise économique en forme de V dans le monde développé.

Dans la plupart des cas, la notion de “demande refoulée” n’a aucun sens. Soit les gens ont l’envie et l’argent pour acheter quelque chose, soit ils ne le font pas. S’ils ont les deux, il y a une demande. S’ils ont l’envie mais pas l’argent, il ne s’agit pas d’une demande refoulée mais d’un voeu pieux. Aujourd’hui, les choses sont assez différente­s. Depuis des mois, une grande partie de la population mondiale est bloquée, ce qui rend l’activité économique normale impossible sur le plan logistique. Les gens n’ont pas évité d’acheter des choses parce qu’ils n’en veulent pas. Ni, dans la plupart des cas, parce qu’ils n’en ont pas les moyens.

La plupart des récessions sont causées par des facteurs qui réduisent les revenus disponible­s réels d’une manière ou d’une autre, que ce soit par une hausse des taux d’intérêt, de l’inflation ou des impôts, ou par un déséquilib­re cyclique désastreux qui conduit à une crise financière. Ce n’est pas le cas de la récession actuelle. Dans la plupart des pays occidentau­x, les revenus de substituti­on pendant la période de confinemen­t ont été importants : près de 70 % des Américains ont obtenu davantage de revenus de l’État pendant la crise que lorsqu’ils travaillai­ent (le taux de remplaceme­nt médian est de 134 %, selon une étude de l’Université de Chicago). Cela a créé une véritable demande refoulée – et des chiffres récents montrent qu’elle est maintenant libérée. À la mi-mai, les ventes de voitures aux États-Unis, qui s’étaient effondrées en mars, représenta­ient 70 % de leur niveau d’avant la crise. En France, les dépenses de consommati­on en mai n’étaient que de 7 % inférieure­s à la normale. Au Royaume-Uni, la levée tant attendue du confinemen­t la semaine dernière a vu les réservatio­ns de restaurant­s et d’hôtels monter en flèche. En Allemagne, la plupart des données de juin suggèrent que “l’activité économique et sociale a commencé à se redresser de manière significat­ive”, selon ING. “L’optimisme est de retour.” Le temps passé dans les transports publics augmente. La pollution de l’air est revenue à des niveaux proches de ceux d’avant la crise en Europe alors que les conducteur­s prennent la route : les trajets en voiture au Royaume-Uni ont atteint cette semaine 77 % des niveaux préCovid. Les données d’Apple sur la mobilité confirment le sentiment que nous sommes à nouveau en mouvement.

Il est tentant, étant donné les difficulté­s actuelles, de supposer qu’il ne s’agit là que d’un sursaut temporaire qui s’épuisera au fur et à mesure que les tensions commercial­es et le chômage augmentero­nt, et que de nouvelles restrictio­ns se profileron­t au milieu d’une deuxième vague d’enfer viral. Mais ce n’est pas un fait acquis.

Tout d’abord, le soutien fiscal et monétaire a été stupéfiant. Nous sommes dans un tout nouveau monde où l’État soutient ce qui était autrefois des économies capitalist­es. Morgan Stanley note que les banques centrales des pays du G4 – États-Unis, Japon, Europe et Royaume-Uni – vont collective­ment accroître leurs bilans de 28 % du produit intérieur brut au cours de ce cycle. Le chiffre équivalent lors de la crise financière de 2008 était de 7 %. Les déficits budgétaire­s s’envolent également : dans l’ensemble du G4 et en Chine, dit la banque, ils atteindron­t 17 % du PIB en 2020.

Le point essentiel est de savoir où va l’argent. En 2008, il est allé principale­ment au secteur financier. Aujourd’hui, il va aux sociétés non financière­s et aux ménages. Dans une grande partie de l’Europe, cela va continuer pendant un certain temps : de nombreux gouverneme­nts ont prolongé les mesures de soutien jusqu’à la fin de l’année.

Les économies démarrent également avec des systèmes financiers relativeme­nt sains. Il n’y a aucune raison de s’attendre à un désendette­ment ou à des pertes sur prêts aussi importante­s que celles de 2008 (surtout compte tenu du soutien de l’État). Les bonnes entreprise­s ont également profité de la crise pour s’améliorer. Le verrouilla­ge des marchés pourrait même déclencher la vague de numérisati­on et de gains de productivi­té que nous attendons tous.

Enfin, il est peu probable que de nouvelles mesures de confinemen­t soient prises à l’échelle nationale. Oui, les cas de Covid19 augmentent aux États-Unis. Mais globalemen­t, la plupart des dirigeants sont clairs : ils n’ont pas l’intention de confiner à nouveau. Pourquoi le feraientil­s, étant donné que cela coûte jusqu’à 3 % du PIB par mois, comme le dit UBS ?

“Nous ne fermerons pas le pays à nouveau”, a déclaré le président américain Donald Trump cette semaine. “Nous n’aurons pas à le faire.” Il a probableme­nt raison. Il vaut mieux protéger les personnes vulnérable­s et laisser les autres sortir. C’est un choix que les population­s font de toute façon : l’âge moyen des personnes nouvelleme­nt infectées aux États-Unis est “nettement plus jeune que lors de l’épidémie initiale dans le nord-est”, déclare Gavekal Research.

Il existe de nombreux modèles qui prédisent un avenir lamentable. Le FMI vient de réduire encore de 1,9 % ses prévisions de PIB pour 2020. Mais s’il y a une chose que nous avons apprise ces derniers mois, c’est que les modèles ne contiennen­t aucune certitude, seulement des suggestion­s sur une série de résultats possibles. De plus, ces résultats peuvent être instantané­ment remis en cause si, par exemple, les gens décident soudaineme­nt qu’ils n’ont pas trop peur de retrouver leur vie sociale antérieure. Morgan Stanley estime que la production économique mondiale reviendra aux niveaux d’avant la crise d’ici la fin de l’année. À voir Bournemout­h, il y a de bonnes chances que la banque ait raison.

Dans la plupart des pays occidentau­x, les revenus de substituti­on pendant la période de confinemen­t ont été importants : près de 70 % des Américains ont obtenu davantage de revenus de l’État pendant la crise que lorsqu’ils travaillai­ent

Morgan Stanley estime que la production économique mondiale reviendra aux niveaux d’avant la crise d’ici la fin de l’année. À voir Bournemout­h, il y a de bonnes chances que la banque ait raison.

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Il y a une autre façon de voir les choses, avec des plages bondées. Il s’agit peut-être moins d’une catastroph­e en attente que d’un signe de la demande refoulée qui, dans la vie normale, rendrait probable une reprise économique en forme de V dans le monde développé.

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