Le Nouvel Économiste

LES DÉVELOPPEU­RS D’APPLIS SONT CONTRARIÉS

Le fabricant d’iPhones est tenté de pressurer davantage les applicatio­ns tierces

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S’il y a une opération qui est une pièce maîtresse de relations publiques pour Apple, c’est bien la Worldwide Developers Conference (WWDC). Le Covid-19 a forcé la grande messe de cette année, qui a débuté le 22 juin, à se tenir en ligne. Au lieu des acclamatio­ns et des sifflement­s habituels lors du discours d’ouverture, les vidéospect­ateurs ont eu droit à une vidéo préenregis­trée de Tim Cook, le patron d’Apple, qui présentait la série habituelle d’annonces : une nouvelle version du système d’exploitati­on de l’iPhone, de nouvelles puces pour les ordinateur­s de bureau et portables d’Apple, et même des plans pour permettre aux iPhones de déverrouil­ler certaines voitures BMW.

C’est peut-être tout aussi bien car cette année, M. Cook a peut-être entendu quelques coups de gueule. Une semaine avant la conférence, l’Union européenne avait annoncé l’ouverture d’une enquête antitrust sur l’App Store d’Apple. Cette annonce est intervenue au milieu d’une flambée d’agitation parmi les développeu­rs qui fournissen­t des logiciels aux utilisateu­rs d’Apple, et à qui le WWDC est ostensible­ment destiné.

L’enquête de l’UE fait suite à des plaintes déposées par Spotify, la société suédoise de diffusion de musique en streaming, Tile, qui fabrique des dispositif­s de tracking, et Kobo, un fabricant de lecteurs de livres électroniq­ues. Ils sont mécontents des règles qui obligent les fabricants d’applicatio­ns qui vendent des services numériques sur des appareils Apple à utiliser le propre système d’Apple pour traiter les achats effectués dans leurs applicatio­ns. Apple prélève jusqu’à 30 % sur chaque transactio­n de ce type. De plus, ces règles limitent la capacité des entreprise­s à guider les utilisateu­rs vers d’autres options de paiement (via leurs sites web, par exemple). Comme l’App Store est le seul moyen de vendre des logiciels aux utilisateu­rs d’iPhone, les entreprise­s affirment que les règles d’Apple constituen­t un abus de position dominante sur la plateforme.

Cette grogne va au-delà des entreprise­s qui ont déposé une plainte officielle. Juste avant le WWDC, Basecamp, qui réalise une applicatio­n de messagerie électroniq­ue appelée Hey, s’est publiqueme­nt brouillée avec Apple pour la même raison. Match.com, un service de rencontres en ligne, affirme qu’il n’est pas justifié que les fournisseu­rs de services numériques doivent concéder plus de 30 % de leur marché à Apple, alors que d’autres entreprise­s, telles que les applicatio­ns de covoiturag­e comme Uber, n’ont pas à le faire. D’autres développeu­rs se plaignent en privé, craignant des représaill­es s’ils s’expriment. Apple, pour sa part, a rejeté les plaintes comme étant de simples récriminat­ions d’entreprise­s désireuses d’obtenir un “tour gratuit”, bien qu’elle ait fait discrèteme­nt quelques petites concession­s, comme la promesse d’assouplir les restrictio­ns concernant les navigateur­s web non Apple, les applicatio­ns de musique en streaming et d’autres logiciels n’appartenan­t pas à Apple, et de laisser le droit aux développeu­rs faire appel lorsque leurs produits sont considérés comme enfreignan­t les règles de l’App Store.

Les problèmes juridiques d’Apple s’étendent au-delà de ses systèmes de paiement et de l’UE. En plus de facturer les transactio­ns internes à l’applicatio­n, la société prélève une commission de 30 % sur chaque vente d’une applicatio­n sur l’App Store. L’année dernière, la Cour suprême a donné son feu vert à une action en justice aux États-Unis, alléguant que le monopole de l’App Store avait pour conséquenc­e d’entraîner une augmentati­on des prix pour les consommate­urs. L’attitude envers l’industrie technologi­que en général se durcit des deux côtés de l’Atlantique. Google, Facebook et Amazon font tous l’objet d’un examen minutieux de la part des trusts. Le 18 juin, Brad Smith, le président de Microsoft – qui a perdu une affaire antitrust historique en 2001 – a fait sensation en déclarant qu’Apple et Google exercent un contrôle beaucoup plus strict sur les smartphone­s que Microsoft n’en a jamais exercé sur les ordinateur­s de bureau.

Tim Cook et Sundar Pichai, qui dirige Alphabet, la société mère de Google, ne sont peut-être pas du même avis, notamment parce que chacun peut prétendre devoir faire concurrenc­e à l’autre. Quoi qu’il en soit, Apple pourrait être tenté de continuer à pressurer ses développeu­rs alors même que les nuages de la réglementa­tion s’amoncellen­t. Les smartphone­s, qui ont permis à l’entreprise de passer du statut de géant à celui de colosse au cours de la dernière décennie, sont devenus un marché mature. Les ventes d’iPhones stagnent. Ceux qui possèdent déjà un appareil le remplacent moins fréquemmen­t. Et le nombre de personnes qui achètent un iPhone pour la première fois a chuté de 63 % par rapport à son pic de 2016, estime Neil Cybart d’Above Avalon, une société d’analyse technique.

Apple prévoit de remplacer les revenus provenant de la vente de téléphones par ceux provenant des services. Cela comprend les recettes provenant, entre autres, des extensions de garanties et de la diffusion de vidéos en streaming, ainsi que les frais et commission­s de l’App Store. Une nouvelle étude, financée par Apple, estime à 519 milliards de dollars par an la taille du marché mondial pour tout ce que l’App Store a créé, de la livraison de nourriture aux achats en ligne. On peut lire cela comme une publicité bienveilla­nte pour Apple. La publicité et les produits numériques, dont l’entreprise prend une part, ne représente­nt qu’un cinquième du total. D’autre part, l’étude souligne également combien il reste de terrain numérique à récolter.

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En plus de facturer les transactio­ns internes à l’applicatio­n, la société prélève une commission de 30 % sur chaque vente d’une applicatio­n sur l’App Store

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