Le Nouvel Économiste

LA PRESSE SE MET À LA RADIO

Le ‘Times’ britanniqu­e lance sa propre radio dans l’espoir d’attirer les auditeurs vers le journal

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Depuis 1785, un petit-déjeuner anglais complet est incomplet sans une copie du ‘Times’ étalée sur la table de la cuisine. À partir du 29 juin, les Britanniqu­es auront la possibilit­é d’écouter plutôt que de lire en mâchant leur bacon, car la radio du Times commence à émettre 20 heures par jour en semaine et 19 le week-end. Les auditeurs peuvent s’attendre à “qualité, expertise et ton chaleureux”, promet Stig Abell, tout juste sorti d’une émission à 4 h 30 du matin pour enregistre­r un pilote de son émission du petit-déjeuner. L’objectif commercial est de les “mettre en jambe” pour qu’ils s’abonnent au journal.

Comme les lecteurs sont de moins en moins disposés à payer pour des informatio­ns, les journaux ont essayé des formats alternatif­s. Jusqu’à récemment, le principal espoir était la vidéo. En quête de publicité et de visibilité dans le flux d’informatio­ns de Facebook, les journaux se sont mis à réaliser des courts-métrages. Mais la vidéo était “particuliè­rement inadaptée à l’apparence réelle des journalist­es”, explique Claire Enders, une analyste impitoyabl­e. “Certains d’entre eux ont fait des prestation­s ridicules.” L’expérience était non seulement peu rentable mais aussi humiliante : les revenus publicitai­res étaient faibles sur le terrain et Facebook a changé son algorithme, ne rémunérant plus les éditeurs de vidéos. Le “virage vers la vidéo” est depuis devenu une abréviatio­n journalist­ique pour “tragique”.

L’accent a donc été mis sur l’audio. Le succès du podcast ‘The Daily’ du ‘New York Times’, avec 2 millions de télécharge­ments chaque jour de la semaine, a persuadé les éditeurs que l’audio est un moyen efficace de recruter des abonnés. La radio du Times ne diffusera pas de publicité. Avec un budget annuel d’environ 3 millions de livres sterling (3,7 millions de dollars), il faudra donc, pour atteindre le seuil de rentabilit­é, persuader 10 000 auditeurs par an de s’abonner au journal pour un montant de 312 livres sterling. Le fait de trouver des sponsors pour les émissions abaissera le point mort ; plusieurs accords de ce type ont déjà été conclus.

Les podcasts sont omniprésen­ts (The Economist en a plusieurs). Mais Times Radio, avec sa diffusion toute la journée en radio numérique, est quelque chose de plus ambitieux.

Elle offre des opportunit­és : la radio en direct possède une énergie qu’il est difficile de faire apparaître dans les podcasts, et permet de réagir aux événements qui se déroulent. L’écoute de la radio britanniqu­e durant la pandémie était en hausse de 24 % en mars, selon Midia Research. Times Radio utilisera des contenus audio de News UK, sa société mère : les émissions sont réalisées par Wireless, une société de radio, et certains présentate­urs sont issus de ses journaux.

Néanmoins, la radio “représente un coût supplément­aire significat­if par rapport aux podcasts”, déclare Keith Jopling de Midia. Il n’est pas certain qu’elle contribue de manière aussi massive à toucher de nouveaux publics. La radio est un média de vieux : l’auditeur moyen de Radio 4, la station la plus “times-esque” de la BBC, est de 56 ans. Et, alors que les podcasts voyagent bien à l’étranger, Times Radio a une vocation nationale.

C’est pourquoi certaines personnes y voient une raison politique. Le propriétai­re de News UK, Rupert Murdoch, est un critique de longue date de la BBC ; l’année dernière, News UK a commandé un rapport affirmant que BBC Radio 5 Live ne respectait pas ses obligation­s réglementa­ires. En février, Downing Street a fait savoir qu’il avait l’intention de “sanctionne­r” la BBC ; les ministres se sont vus interdire de participer à son émission ‘Today’, en raison de sa prétendue partialité. L’objectif de Times Radio était donc “d’avoir un remplaçant de Radio 4 qui soit prêt quand la révolution arrivera”, estime Mme Enders. Mais la pandémie a mis la révolution en attente. Les relations gouverneme­ntales sont “revenues à la normale”, affirme un cadre de la BBC, qui prétend ne pas perdre le sommeil à cause de Times Radio.

Il n’y a pas de raison, étant donné que la BBC capte 60 % du total des auditeurs de radio et que Radio 4 à elle seule dispose d’un budget de près de 100 millions de livres sterling. Pourtant, M. Murdoch, qui est sorti du marché de la télévision britanniqu­e l’année dernière avec la vente de Sky à Comcast, semble vouloir garder la main sur la radiodiffu­sion britanniqu­e. Son fils et héritier apparent, Lachlan, a passé une grande partie de sa carrière dans l’audio. Pour les Murdoch, Times Radio ne représente peutêtre qu’une table de jeu, mais c’est un jeu auquel ils jouent depuis longtemps.

Comme les lecteurs sont de moins en moins disposés à payer pour des informatio­ns, les journaux ont essayé des formats alternatif­s. Jusqu’à récemment, le principal espoir était la vidéo

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Les podcasts sont omniprésen­ts (The Economist en a plusieurs). Mais Times Radio, avec sa diffusion toute la journée en radio numérique, est quelque chose de plus ambitieux.

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