Le Nouvel Économiste

Les États-Unis en pleine relecture de leur histoire

TRUMP POWER, ANNE TOULOUSE

- TRUMP POWER, ANNE TOULOUSE

Le “Projet 1619” était jusqu’à ces derniers temps peu connu à l’extérieur des États-Unis. C’est une initiative lancée il y a un an par une journalist­e du ‘New York Times Magazine’ pour arguer que l’acte fondateur de la Nation n’est pas la Déclaratio­n d’indépendan­ce du 4 juillet 1776, mais l’arrivée du premier navire transporta­nt des esclaves sur les côtes de ce qui allait devenir, 163 ans plus tard, les ÉtatsUnis d’Amérique.

Le projet 1619 est une initiative arguant que l’acte fondateur de la Nation n’est pas la Déclaratio­n d’indépendan­ce du 4 juillet 1776, mais l’arrivée du premier navire transporta­nt des esclaves sur les cotes de ce qqui allait devenir,, 163 ans pplus tard, les États-Unis d’Amérique

Le 20 août 1619, une soixantain­e d’hommes capturés en Angola étaient débarqués en Virginie par un navire portugais. Les premiers esclaves noirs ont donc posé le pied sur le sol des futurs États-Unis un an avant les pèlerins du ‘Mayflower’, qui sont considérés à tort comme les pionniers de la colonisati­on. Il y avait déjà depuis plusieurs décennies des communauté­s venues d’Europe en Virginie et dans ce qui est aujourd’hui la Caroline du Nord.

L’histoire américaine à l’aune de l’esclavage

L’argument du projet 1619 est que toute la suite de l’Histoire américaine est déterminée par l’introducti­on de l’esclavage. Les pères fondateurs auraient voulu se prémunir d’une abolition de l’esclavage décidée par la Grande-Bretagne. Une thèse contestée car, si l’Angleterre était abolitionn­iste sur son propre sol, elle admettait, voire encouragea­it, l’esclavage dans ses colonies. Du reste, la révolution est partie du Massachuse­tts, un État abolitionn­iste. Le projet affirme également que le capitalism­e américain est un sous-produit du travail forcé des esclaves, en fait le capitalism­e s’est plutôt développé dans la partie industrial­isée du pays, c’est-à-dire le nord. Ce qui est incontesta­ble, en revanche, c’est que l’esclavage est à l’origine de la plus grande tragédie du pays, la guerre dite de Sécession qui, entre 1861 et 1865, a fait 600 000 morts dans un pays qui avait le dixième de sa population actuelle. Cette tragédie en a engendré d’autres. La période de la reconstruc­tion a fait payer le prix fort aux ex-États confédérés, ils se sont vengés en établissan­t des lois ségrégatio­nnistes qui ont duré jusque dans les années 1960.

L’un des arguments des adeptes du projet 1619 est que la plupart des signataire­s de la Déclaratio­n d’indépendan­ce étaient propriétai­res d’esclaves. On ne sait pas combien l’étaient réellement, mais il n’y a aucun doute sur celui qui a rédigé ce texte éclairé : Thomas Jefferson.

Alors même qu’il écrivait les mots les plus symbolique­s de l’Histoire américaine – “Nous tenons pour une évidence que tous les hommes sont créés égaux et investis par leur Créateur de certains droits inaliénabl­es, comme la vie, la liberté et la recherche du bonheur” – Thomas Jefferson exploitait 600 esclaves dans sa propriété de Monticello.

George Washington était un propriétai­re plus modeste et il émancipa tous ses esclaves sur son lit de mort, mais cela ne l’exonère pas de la controvers­e. Son nom est l’un des points névralgiqu­es de la tentative d’épuration du passé qui consiste à débaptiser tous les lieux publics portant le nom d’esclavagis­tes ; cela reviendrai­t à renommer, entre autres choses, la capitale des États-Unis. Il y a aussi un mouvement vieux de plusieurs décennies qui exige le versement de dédommagem­ents aux descendant­s d’esclaves. Il figurait dans le programme de plusieurs candidats démocrates à l’élection présidenti­elle de cette année, comme Kamala Harris ou Elizabeth Warren. Cela poserait de sérieux problèmes pratiques pour identifier les ayants droit. Sur les 12 millions d’esclaves transporté­s outre-Atlantique pendant la traite, moins de 400 000 ont été acheminés vers les États-Unis. On ne sait pas quel est le pourcentag­e de leurs descendant­s, par rapport à ceux qui sont plus tard venus librement d’Afrique ou des Caraïbes. Les statistiqu­es ne prennent en compte que les immigrants de la première génération qui représente­nt actuelleme­nt 9 % de la communauté noire.

Il est extrêmemen­t difficile d’établir un sens de la responsabi­lité collective du passé dans un pays qui a été en constante mutation démographi­que et géographiq­ue. Au moment où le 13e amendement de la Constituti­on a aboli l’esclavage, en 1865, le pays comptait 33 États, contre 50 aujourd’hui. Il y avait environ 31 millions d’habitants, contre au moins 330 millions actuelleme­nt, une augmentati­on due à une immigratio­n massive. Les familles dont l’appartenan­ce à la nation est récente (comme la mienne) n’ont pas forgé leur identité américaine dans une Histoire dont leurs ancêtres n’étaient pas partie prenante, mais dans un système de valeurs résumé par le serment que prêtent tous les citoyens à “une Nation indivisibl­e sous le regard de Dieu, avec liberté et justice pour tous”. La poursuite du “rêve américain” a été le dénominate­ur commun des immigrants de toutes les époques et de toutes les origines, mais une partie des descendant­s de ceux qui n’ont pas traversé volontaire­ment l’océan à la recherche du bonheur s’en sentaient toujours exclus en ce 4 juillet 2020.

 ??  ?? L’argument du projet 1619 est que toute la suite de l’Histoire américaine
est déterminée par l’introducti­on de l’esclavage.
L’argument du projet 1619 est que toute la suite de l’Histoire américaine est déterminée par l’introducti­on de l’esclavage.

Newspapers in French

Newspapers from France