Le Nouvel Économiste

Dénis de confiance

Le retour de la confiance reste une idée neuve

- JEAN-MICHEL LAMY

Le nouveau chef du gouverneme­nt, Jean Castex, aura entre autres à gérer la République des dénis. Celui des électeurs abstention­nistes, qui récusent la démocratie représenta­tive. Celui du pouvoir politique, qui évite de tirer toutes les conséquenc­es macroécono­miques de la baisse de revenu en fixant pour unique objectif : “la croissance, la croissance”. Celui des partis et des ONG, qui chacun vivent avec un programme souvent déconnecté du réel. Celui d’une population, qui fait de moins en moins le lien entre assurance sociale et travail...

Le nouveau chef du gouverneme­nt, Jean Castex, aura entre autres à gérer la République des dénis. Celui des électeurs abstention­nistes, qui récusent la démocratie représenta­tive. Celui du pouvoir politique, qui évite de tirer toutes les conséquenc­es macroécono­miques de la baisse de revenu en fixant pour unique objectif “la croissance, la croissance”. Celui des partis et des ONG, qui chacun vivent avec un programme souvent déconnecté du réel. Celui d’une population, qui fait de moins en moins le lien entre assurance sociale et travail.

“Crise après crise, notre pays se fracture, la défiance s’installe. C’est en réalité la crise du manque de résultats que nous vivons”, conclut Gérard Larcher, président du Sénat. Le retour de la confiance reste une idée neuve.

L’accélérate­ur de destructio­n de la confiance

Au moment même où l’appareil d’État a pris comme jamais le contrôle des rouages économique­s pour sauver salariés et entreprise­s, l’État affiche une forme d’impuissanc­e publique. Le juste équilibre entre soutien aux entreprise­s et nécessité de l’adaptation à la donne économique post-Covid, au besoin par des plans sociaux, sera de moins en moins compris. Ce sera un accélérate­ur de destructio­n de la confiance. Comme l’a été la gestion initiale de la pandémie du Covid avec l’“affaire des masques”, inutiles puis indispensa­bles.

Le déni de confiance est un mal qui ronge les fondements de la République. Chef de l’État, Emmanuel Macron a décidé de le combattre en nommant un nouveau Premier ministre, Jean Castex, à la tête d’un gouverneme­nt largement reconfigur­é. En désignant un haut fonctionna­ire habitué à démêler des situations compliquée­s, le président de la République a choisi de franchir un pas supplément­aire dans la présidenti­alisation du régime. Emmanuel Macron assume la prise de risque d’un face-à-face direct avec le peuple. En cas de révolte sociale, “débrancher” le fusible Castex serait dénué de toute efficacité politique. En revanche, le patron de l’administra­tion – métier du Premier ministre de par la Constituti­on – est chargé de grimper les échelons de la confiance grâce à son sens du dialogue. C’est miser bien davantage sur le ressourcem­ent par la méthode que sur les vertus de la régénérati­on par l’offre politique. Le socle ne bouge pas. Un pari très délicat à remporter pour l’hôte de Matignon, compte tenu de l’accumulati­on de strates de défiance.

Les strates de défiance: dégagisme et séparatism­e

La plus visible concerne le dégagisme. À chaque élection c’est la grande disruption, comme si chacun devait à son tour avoir sa chance. C’est pourquoi le Rassemblem­ent national, et maintenant Europe Écologie les Verts, y croient ! Autre tendance encore plus perturbant­e, que relève dans ‘Le Monde’ la sociologue Anne Muxel, les jeunes sont fortement abstention­nistes dans tous les types de scrutin : “ils sont attirés par des formes plus directes d’engagement et non médiatisée­s par le vote”. À la dernière présidenti­elle comme aux européenne­s, seul un petit tiers des 18-24 ans s’était rendu aux urnes. Aux dernières municipale­s, des maires ont revêtu leur écharpe avec l’appui d’un inscrit sur dix. Six électeurs sur dix auront déserté le scrutin municipal de second tour, après une abstention record de 55,3 % au premier. Pour mémoire celle-ci n’était que de 27 % en 1989. Le séparatism­e multiforme est plus souterrain, mais il explique la volatilité d’une large part de l’électorat qui a fait sécession avec l’alternance entre une gauche et une droite de gouverneme­nt. Autrement dit, des partis ni démagogiqu­es ni populistes, mais en capacité de bâtir des coalitions électorale­s agrégeant des groupes sociaux à intérêts divergents. “C’est la fragmentat­ion de plus en plus marquée de notre société qui rend l’agrégation des intérêts insurmonta­bles”, déplore Jérôme Fourquet, l’auteur de ‘L’archipel français’.

Vote urbain et vote rural

Paradoxale­ment, les municipale­s auront encore renforcé les cassures. Elles s’observent entre vote “urbain” écolo et vote “rural” de droite. Ceux qui habitent au plus près de la nature ne sont guère séduits par les discours anti-5G ou pro-bicyclette. Bien au contraire, ils aspirent à sortir des zones blanches, à être équipés au plus vite en Internet 4G, à pouvoir circuler librement en automobile, pour des raisons purement pratiques d’ailleurs. Le “luxe” des pourfendeu­rs de PIB ou de croissance laisse de marbre les agriculteu­rs. Qui pour autant ne contestent pas les bienfaits de l’agricultur­e durable.

À Jean Castex, maire rural d’une commune de 6 000 âmes, de savoir mixer des camps opposés sans “consensus mou”. “L’écologie est une obligation”, dit le Premier ministre, mais visiblemen­t pas une ardente obligation. Ce sera plutôt une affaire d’intendance “intelligen­te”, par exemple pour l’isolement thermique ou l’écoulement des eaux.

Déni du pouvoir parlementa­ire

La tâche d’un chef du gouverneme­nt est également de prouver qu’il n’est pas dans le déni du pouvoir parlementa­ire. Députés et sénateurs, largement écartés de leur rôle d’apporteurs d’amendement­s aux projets de loi, compensent par la multiplica­tion de commission­s d’enquête. En principe, c’est l’Hémicycle qui devrait être le lieu privilégié de cette “guérilla”. “Le Parlement ne sert à rien”, laisse tomber Jean-Louis Bourlanges, député Modem des Hauts-de-Seine. Qui lui démontrera le contraire ? Pas grand monde a priori. En donnant la préférence au dialogue direct avec le “peuple” à travers les “150” de la Convention citoyenne pour le climat, l’Élysée fragilise un peu plus la confiance accordée aux élus par les électeurs. Même si les outils traditionn­els, décrets et lois, reprennent ensuite la main pour l’adoption des propositio­ns “citoyennes”.

L’incertitud­e du rebond

Mis bout à bout, ces ébranlemen­ts de l’édifice institutio­nnel de la confiance compliquen­t la gestion fine de la crise économique. À la tribune de l’Assemblée nationale, le 29 juin, Bruno Le Maire, concédait: “je veux tenir le discours de vérité. Il nous faudra au moins deux ans pour retrouver le nivevau de PIB que nous avions réussi à atteindre fin 2019”. Dans ‘La lettre de Rexecode’ de juillet, Michel Didier est beaucoup plus direct: “en France, le niveau de vie moyen (PIB par habitant) de 2019 ne serait retrouvé qu’en 2024”.

Après l’effondreme­nt, le rebond, selon Bercy, du PIB de 8 % l’an prochain est une illusion d’optique. La croissance du pays est en train de converger vers un potentiel de 0,7 % par an, une division par deux par rapport à l’avant-Covid. C’est une tragédie qu’il faut énoncer à haute voix pour mieux la contrecarr­er par un rattrapage massif mettant pleins feux sur la seule croissance. Vous direz, c’est le job de la nouvelle équipe Castex. En réalité, celle-ci n’osera pas fixer un tel objectif. C’est pourquoi l’exécutif parle de “reconstruc­tion économique, sociale, environnem­entale et culturelle”. Muscler prioritair­ement dans tous les recoins de la société la production de richesse est jugé trop rustique ! Cela paraîtrait trop… réducteur à une société politique ultra-sophistiqu­ée. Les écologiste­s récusent le thermomètr­e PIB ; les intermitte­nts de la vie démocratiq­ue restent prêts à des colères éruptives ; les opposition­s campent sur la thématique des inégalités et des licencieme­nts ; la CFDT reconnaît le bien-fondé “d’un pays sous cloche pendant trois mois” sous condition de… prolongati­ons en tant que de besoin ; “on ne sait pas ce qui s’est passé dans la structure des entreprise­s”, s’alarme Geoffroy roux de Bézieux lors des Rencontres “Aixen-Seine” organisées par le Cercle des économiste­s. Voilà le constat de base, l’incertitud­e est à la barre ! C’est la pire ennemie de l’investisse­ment et de la consommati­on.

L’arbitrage des aides

C’est pourquoi l’élan vers une confiance retrouvée est totalement stratégiqu­e. La “Dream team” de Castex a ses figures de proue chargées de redonner l’espoir d’un horizon dégagé. Hauts en couleur, l’avocat Eric Dupond-Moretti à la Justice et l’ancienne ministre Roselyne Bachelot à la Culture sont de ceux-là. A Bercy Bruno Le Maire s’affirme comme le grand “manitou” de la relance, pendant qu’Agnès Pannier-Runacher gagne ses galons de ministre de l’Industrie pour sauver ce qui peut encore l’être. Las, même une “Dream team” ne peut pas tout. Mission kamikaze dans un champ de ruines ? Dans certains secteurs comme l’aéronautiq­ue, l’événementi­el ou l’hôtellerie de luxe, assurément. Partout ailleurs, il s’agira de réintrodui­re dans le débat public, comme le réclame la Cour des comptes, le défi de la soutenabil­ité de la dette publique. L’argent gratuit venant de Francfort doit être sous contrôle. Ce qui suppose de tracer une ligne de démarcatio­n entre les aides purement conjonctur­elles et celles porteuses d’avenir. Bon courage aux ministres concernés !

Le nouvel équilibre Etat/ Collectivi­tés

L’Élysée pourra toujours agrémenter cet enjeu central par des zakouski, les accompagne­ments institutio­nnels dynamisant la démocratie participat­ive. Des convention­s citoyennes délocalisé­es sont possibles, des référendum­s à questions multiples également. L’outil le plus précieux n’en reste pas moins le nouvel équilibre des pouvoirs à trouver entre l’État et les collectivi­tés. À vrai dire, dans le jeu élyséen c’est la seule carte maîtresse. Mais l’expérience montre qu’Emmanuel Macron a du mal à se débarrasse­r du réflexe jacobin pour passer à une vraie pratique girondine… que tous les acteurs de la vie publique lui recommande­nt vivement.

“Le temps de la gouvernanc­e verticale, de la suradminis­tration, de l’hypercentr­alisation est révolu. S’il nous fallait une nouvelle preuve de l’inefficaci­té du système, la crise sanitaire nous l’a fournie. C’est la réactivité des collectivi­tés territoria­les qui a suppléé aux défaillanc­es de l’État”, plaide Gérard Larcher en présentant “50 propositio­ns pour le plein exercice des collectivi­tés locales”.

Le Cercle des économiste­s précise de son côté : “il est nécessaire de donner aux régions toutes compétence­s sur l’emploi, en s’appuyant sur les bassins d’emploi, et de leur permettre d’avoir leurs propres fonds d’investisse­ment”. Que l’équipe Castex franchisse ce Rubicon dans la future loi 3D (décentrali­sation, déconcentr­ation, différenci­ation) et la Macronie aura grandement avancé sur le chemin de la confiance des élus et des citoyens. Le temps est compté, ce n’est pas acquis. L’autre test majeur porte sur les contours d’un dialogue social revivifié. Mais sans grain à moudre, il n’y a guère de marge pour la fluidité. Et sans nouveau cap, pas d’éclaircie possible à attendre côté corps intermédia­ires. Or Emmanuel Macron l’a confirmé : “le projet de 2017 reste au coeur de ma politique”. Comme en témoignent le maintien même amendé des marqueurs retraite et assurance chômage.

Tout l’écosystème hexagonal est train d’être bouleversé, mais l’offre politique du sommet de l’État ne sera pas chamboulée, tout au plus adaptée. Le temps du Prince commande au temps politique. La preuve: l’urgence d’une présentati­on du plan de relance économique s’efface devant la préférence symbolique du jour de la fête nationale du 14 juillet pour le cadrage des annonces.

Le juste équilibre entre soutien aux entreprise­s et nécessité de l’adaptation à la donne économique post-Covid, au besoin par des plans sociaux, sera de moins en moins compris

Tout l’écosystème hexagonal est train d’être bouleversé mais l’offre politique du sommet de l’État ne sera pas chamboulée, tout au plus adaptée.

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Jean Castex : “Je ne serai pas l’homme du consensus mou”

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